Cinéma et dernières technologies,

Sous direction de F Beau, P dubois, G Leblanc

Paris, INA/De Boeck,coll Arts et cinéma, 1998: pp153-168

Du cinéma éducateur aux plaisirs interactifs,

rives et dérives cognitives

L'histoire des techniques de communication nous enseigne deux choses importantes: d'une part, que les usages réels de ces drôles de machines ne recoupent pratiquement jamais les prévisions des inventeurs; d'autre part que chacune de ces nouveautés, à peine apparue sur le marché, est aussitôt investie d'une mission éducative - depuis le phonographe d'Eddison et la lanterne magique jusqu'aux autoroutes de l'information. Utopie des sociétés, alibi des marchands ou illusion des éducateurs?....... quoi qu'il en soit, les techniques de l'information et de la communication sont éducatives ou ne sont pas.

L'interactivité, ou le dernier despostulats fondamentaux et menteurs....

Les dernières nées n'échappent évidemment pas à la règle. Qualifiées de "technologies de l'intelligence"- en ce qu'elles ne traitent plus seulement la matière ni l'énergie mais les informations et les savoirs- elles entrent en concurrence avec les enseignants et tous ceux qui ont fait métier de former et defaire apprendre. Elles s'imposent, à l'heure actuelle, au moins dans les discours et les représentations, sinon dans les pratiques, et constituent ainsi la nouvelle version de ce que j'avais appellé en son temps les postulats fonda...mentaux ..... et menteurs.

Pierre Lévy, ce chantre du cyberespace, si souvent allégué, affirme que l'"hypertexte ou le multimédia interactif se prêtent particulièrement aux usages éducatifs....grâce à sa dimension réticulaire et non linéaire, qui favorise une attitude exploratoire, voire ludique, face au matériau à assimiler et que c'est donc un instrument bien adapté à une pédagogie active". C'est passer bien promptement des potentialités théoriques de la machine aux réalités attestées; c'est renforcer imprudemment une croyance tenace qui veut que l'exploration d'un hypertexte soit d'emblée plus facile que la lectured'un texte... ce qui est bien loin d'être prouvé; c'est enfin méconnaître la complexité d'un acte d'apprentissage car la construction des connaissances ne se réduit ni à une navigation, fut-elle libre, dans un océan de savoirs, ni à un échange de messages, fut-ce avec la terre entière... et qui plus est en temps réel!

Les trop rares recherches empiriques existantes sont claires sur ces points qui soulignent, entre autres, la "surcharge cognitive" que réprésente souvent l'aide à la navigation -énergie et attention sont détournées de l'enjeu de l'activité au profit de la seule navigation-, les différences existantes entre les individus - tous les apprenants ne sont pas égaux devant l'apprentissage autogéré - et enfin la diversité des tâches - il semble que les systèmes d'hypertextes conviennent mieux aux processus de résolution de problèmes qu'à l'acquisition de concepts par exemple. Plus généralement, un des problèmes fondamentaux que posent ces interfaces "intelligentes" c'est qu'elles doivent établir une communication entre la structure logicielle, forcément logique du système informatique et les structures cognitives souvent peu logiques de l'utilisateur: l'intelligence humainene se limite pas à la rationalité calculatrice de celle justement dite "artificielle".

Notre objectif ici n'est pas de faire ici ni l'éloge des anciens médias ni le procès des nouveaux outils de diffusion et de structuration des informations et des savoirs: ce serait oublier ce qu'ils apportent, chacun de spécifique, à ce problème hypercomplexe qu'est l'apprentissage. A égale distance de ce que fut, en son temps la position respective des iconoclastes et des iconophiles, nous voudrions rappeler ce que nous ontappris plus de cent ans de cinéma et cinquante ans de télévisionsur les multiples possibilités et difficultés offertes par les images et les sons pour apprendre, dans leurs combinaisons possibles avec le langage écrit ou parlé., et que les technologies interactives, aussi sophistiquées soient-elles, ne devraient pas oublier.

 

Voir et savoir..... ou comment réfléchir, en toute liberté, sur l'avenir du regard

Ce n'est sans doute pas un hasard si l'école - et avec elle les parents soucieux des performances scolaires -ont intégré l'ordinateur - et maintenant le multimédia interactif ou Internet - plus rapidement que le cinéma et la télévision. L'ordinateur et son langage numérique dérange moins la tradition rationaliste de la culture occidentale que l'image, longtemps considérée comme la préhistoire du concept, et tout juste bonne à "piéger" femmes et les illétrés

Bien plus, c'est au nom d'un mêmecritère que les parents adorent aujourd'hui ce qu'ils avaient autrefois brûlé : on se méfiait du cinéma et de la télévision, synonymes de spectacle et le divertissement alors qu'on adopte volontiers ces dispositifs interactifs justemment parce qu'ils sont"ludo-éducatifs". L'expression est, pour le moins, ambiguë: s'agit-il d'apprendre par le jeu ou bien encore s'agit-il d'apprendre sans s'ennuyer? Ou bien encore de vendre à la fois de l'éducation(notamment au parents) et du jeu (bien sûr) aux enfants?

Se méfier de ces discours trompeurs ce n'est pas pour autant renoncer aux analyses plus prospectives bien au contraire.Il faut éviter de verser dans la nostalgie voire dans l'assimilation hative et de donner sa préférence aux anciens médias, avant d'avoir étudié ce que sont ces NTIC et ce qu'elles peuvent apporter à l'apprentissage.

La seule fonction positive que l'école ait jamais unanimement attibué à l'image, c'est sa fonction de"substitut" de la réalité (reproduction du visible ou reconstructionde l'invisible). Des modèles ou des dessins de Coménius recommandés pour l'enseignement, au 17eme siècle, "chaque fois que l'on manque d'objets", aux multimédias, en passant par l'enseignement "par l'aspect" préconisé par Jules Ferry, et que sont chargés de proposer les premiers films éducatifs, l'image en pédagogie, quelles qu'aient été les évolutions dans ses modes de production, de stockage et de diffusion, a poursuivi, longtemps, sa mission essentielle qui était de "donner à voir" ce qui est inaccessible, quelles qu'en soit les raisons: c'était la "fenêtre ouverte sur le monde", la pédagogie du "comme si vous y étiez".

Un certain Collette, instituteur et directeur d'école à Paris, fervent apôtre du cinéma scolaire dans les années 20-30 et rédacteur régulier d'une rubrique sur "cinéma scolaire et cinéma d'enseignement" dans la revue Cinéopse écrivait: "La projection animée conduira l'enfant au delà de l'horizon qui l'enserre, et révèlera à ses yeux émerveillés une infinité de choses dont il ne pouvait soupçonner l'existence". Et voici, telles que les décrivait un Inspecteur de l'Académie, les avantages du cinéma - principes sur lesquels vivra et vit encore souvent aujourd'hui la pédagogie audiovisuelle : "s'il est vrai que l'image est un moyen puissant pour connaître et que voir c'est presque savoir, le cinéma en ajoutant le mouvement permet d'avoir une idée plus exacte des objets ou des phénomènes lointains qu'on n'a pas ou qu'on n'a plus ou qu'on ne peut pas avoir sous les yeux. Non seulement il nous les montre animés ou vivants, mais il permet même de les mieux connaître que dans la réalité puisqu'il peut les montrer à nouveau et les faire voir autant de fois qu'on le désire... Ainsi le cinéma peut contribuer à fixer des connaissances en même temps qu'il rectifie les images fausses qu'on se faisait de la réalité. A l'aide des données que nous trouvons dans des livres, par exemple, nous imaginions souvent un monde très différent de ce qu'il est effectivement.Le cinéma permet de rectifier les contructions fausses. Il suffit pour s'en convaincre d'entendre dire, au sortir d'une représentation: je ne pensais pas que ceci ou cela était ainsi...."

L'image a toujours été une source de malentendus pour la pédagogie et son utilisation l'occasion, aussi, de bien des dérives cognitives: la plus ancienne et la plus ancrée est sans aucun doute cette utilisation majoritairement référentielle, fondée sur l'hypothèse de l'analogie, qui pourtant ne contient qu'une vérité partielle, comme l'avait fait remarquer très tôt Michel Tardy : "il faut bien que l'on soit convaincu de la fidèlité de l'image pour entreprendre la réalisation de films didactiques sur la faune abyssale et sur les moeurs des pygmées et pour les présenter à des enfants qui ne sont jamais allés ni dans la forêt africaine ni dans les profondeurs sous-marines. Encore faut-il dire que l'entreprise soit légèrement suspecte si l'on songe que, devant les admirables photographies de la lune, les géologues n'arrivent pas oser prononcer définitivement sur la nature du sol lunaire, faute précisément d'y être allé voir" et de conclure; "loin de se substituer à la réalité,l'image, pour être didactiquement efficace, semble impliquer une connaissance directe et préalable de celle-ci".

Car l'image - photographique,cinématographique, ou télévisuelle - ne s'est jamais contentée de "donner à voir" le visible. En premier lieu, parce que l'image n'est pas "le" monde, tout au plus "un" monde. C'est maintenant un acquis, même dans l'enseignement. Si l'enseignement "par"l"'image s'était développée lentement au cours des XIXe et XXesiècles, pour s'amplifier avec le développement de la photographie et des autres techniques de reproduction, ce n'est que très récemment qu'est apparue la nécessité d'un enseignement "de" l'image. Le développement des travaux de sémiologiede l'image, (au début des années 60) et leur lente diffusion dans les sphères de l'école (à partir des années 70) a au moins eu pour effet bénéfique de rompre avec deux naïvetés: qu'il y aurait un monde positif "réel" à prendre, et une image transparente qui collerait à cette réalité.

Pour résister à cette tendance, à laquelle prédisposent l'idéologie de la représentation photographique et, plus généralement, le fonctionnemement des médias, il a fallu (et il faut encore) travailler "contre l'impression de réalité", contre l'illusion de la transparence, et apprendre àvoir dans toute image, un discours sur le monde, une organisation de formes où je lis le monde autant que je lis le monde en moi.

L'arrivée des "nouvelles" images n'en exigent alors que plus de prudence. Non plus "sensible" et écrite avec la lumière, (selon l'étymologie) mais générée par des nombres, l'image numérique sujette à toutes les transformations et trucages vient une fois de plus perturber le rapport "du voir au savoir. Non pas que le cinéma ou la télévision aient attendu le numérique pour inventer les innombrables trucages, nés, comme Méliès l'a bien prouvé, avec le cinéma lui-même. Mais le trucage de l'image numérique, et c'est bien là la grande différence, est (ou sera) à la disposition de tous, et en temps réel : chacun peut, sur son ordinateur- et bien sûr avec les logiciels adéquats-, transformer l'image de la Joconde ou recontextualiser un évènement..... à sa convenance.

L'électronique et l'informatique nous ont fait passer en effet de l'ére de la "reproduction technique" à ce que certains ont appellé l'ère de l'"intertextualité électronique":accès direct aux images et aux sons stockées en mémoire, contextualisation à volonté, mélange d'images d'origines diverses et manipulations multiples et en temps réel, productions d'images et de sons, comme de textes, par ordinateur, simulation de "mondes virtuels" ou de "réalités artificielles" dans lesquelles se mouvoir et avec lesquels jouer, simuler, se former, autant de"palimpsestes hétérogènes" comme les appellaient si joliment Peter Wollenqui résumait ainsi l'évolution de la situation: "dans les années vingt, Vertov avait décrit la caméra comme un oeil mécanique, à présent, c'est l'œil mécanique d'un cerveau électronique".

Autrement dit, l'image, dans ce cas, n'est plus représentation du"réel" mais traduction, et en conséquence, c'est une image "qui a la valeur de vérité de l'algorythme qui la produit" .Différente de l'image cinématographique, l'image de synthèse n'est pas une image montée, c'est une image sans hors champ,et, en conséquence, c'est une image qui ne cherche pas à être juste -comme on dit une pensée juste, selon Godard- mais à étre exacte: elle ne peut donc plus être ambiguë ou bouleversante, elle est sans équivoque, "elle ne se montre plus comme révélation du réel, mais comme hypothèse calculée à partir d'éléments du réel.... comme proposition d'autres images calculées par jeu devariations sur les paramètres".

Michel Gheude dit de l'image de synthèse qu'elle est sans ambiguité, et Wim Wenders nous explique lui, dans son "Odyssée de l'univers des images du 21eme siècle"- son film Jusqu'au bout du monde...- qu'il a été obligé de "réchauffer" ses images, tant la"haute définition est froide", en les rapprochant de la peinture - les impressionistes et surtout Vermeer- car la numérisation des images "tend à occuper toute la place...alors qu'elle devrait mieux montrer le monde, elle s'interpose entre lui et son regard."

Dimension esthétique mais aussi aspect éthique de ces nouvelles images. Les nombreux mensonges "audiovisuellement assistés" dont l'actualité médiatique s'est faite récemment l'écho entrainent (on pourrait dire annoncent?) la mise en doute de laréalité des images enregistrées : au grand dame de la pédagogie du "comme si vous y étiez" qui dénonce ce qu'elle ne peut plus, comme autrefois, adoré, soit l'administration de la preuve par le visible, ou "le savoir" par le"voir": il n'y a plus de vrai ni de faux, il n'y a plus que des faussaires.

Or, analogique ou numérique l'image, en un sens, est toujours construite : ce qui est en jeu, dans l'apprentissage,c'est la nécessité d'explicitation du processus de production.L'image numérique n'est ni plus "vraie", ni moins "vraie" que l'image analogique : elle instaure d'autres modalités d'exploration du voir et de l'entendre, mais aussi des autres sens par la création de ces mondes virtuels "à sentir", interfaces dites "à retour d'effort", grâce aux "gants", voire "aux costumes de données", qui permettent, avec des coussinets gonflables ou des systèmes "piézo-électriques" , de sentir sur la paume, les objets rencontrés "virtuellement" dans les mondes "virtuels" ainsi calculés, voire de rendre les sensations de lisse ou de rugueux, de froid ou de chaud : "le corps même s'explore et s'extorque par le calcul. On traque le regard et la main"dit Philippe Quéau, responsable de la manifestation internationale annuelle Imagina et d'expliciter : "ces applications annoncent une tendance à déréaliser le rapport du corps avec son environnement...déréalisation qu'il ne faut pas entendre dans un sens nostalgique...mais comme une occasion historique de désapprendre le réel naîvement empirique, de faire table rase de nos représentations du monde limitées par les contraintes physiques ou psychologiques"- limitations auxquelles la poésie et l'art, il ne faudrait pas l'oublier, nous a toujours permis d'échapper.

Autrement dit, c'est pour de mauvaises raisons,ou plus exactement trop rapidement, sans distinctions suffisantes entre les bonnes et les mauvaises raisons - théoriquement parlant bien sûr- que les images et les sons autrefois - comme maintenant les technologies interactives- ont été adoptés (ou rejetées) par l'école et hors l'école pour apprendre. Au détriment de certaines fonctions dont, là encore, certains acquis théoriques montrent le bien fondé, notammentle statut sémiotique intermédiaire de l'image entre "indice" et"symbole" (au sens peircien du terme) qui en fait un "signe total" au statut "transitionnel", toujours prête à se mêler "à" ou à se glisser "vers" le symbole abstrait ou, au contraire, vers l'empreinte réaliste, car, comme le disait Peir celui-même "l'icône est la façon la plus parfaite de représenter la pensée". Elle permet la reconnaissance de la "bonne forme" et joue donc un rôle important dans la structuration des savoirs, elle permet d'accéder autrement à la compréhension, de se glisser différemment dans la mémoire et de s'y accrocher, pour la fixer et entretenir l'imagination.

Voir et s'émouvoir... ou peut-on pleurer devant un cédérom?

Pour les contemporains des frères Lumière, le cinéma est la représentation la plus parfaite du réel, ce qui n'exclue ni la scénarisation ni la dramatisation. La tradition pédagogique a maintenu longtemps cette croyance, et cette pratique. Ainsi, parmi les autres fonctions attribuées à l'image en pédagogie, la fonction dite "de motivation" a été traditionellement invoquée ,au point que des générations de programmes éducatifs ont été conçus, réalisés et utilisés comme "hors d'oeuvres alléchants" pour "motiver" les élèves à apprendre, à charge ensuite à l'enseignant et à l'apprenant de reprendre, hors cadre, leur sérieux métier de professeur et d'élève.

C'est bien cette caractéristique de l'image comme mobilisatrice de l'affect ou de l'imaginaire, et plus particulièrement du film comme fascination - qui justifia le titre donné à cette première revue de cinéma, Le Fascinateur dont la mission était - je cite- d'"apprendre à tous les lecteurs l'art defasciner un auditoire par des récréations utiles, spécialement parles projections fixes, le cinématographe, la photographie et la phonographie"

La dérive cognitive corrolaire de cette reconnaissance, ce sera d'une part, la méconnaissance du rôle desreprésentations imagées dans l'élaboration des fonctions cognitives et son statut préconceptuel: de là toute une tradition pédagogique de confiance dans le verbe,et de méfiance envers l'image en ce qu'elle a à voir avec l'affectif et l'imaginaire et la scission entre intelligible et sensible.

Les dispositifs multimédias en ce sens en rendant possible un véritable tissage de la pensée figurative et des langages mathématiques et logiques permettraient cette fusion de l'intelligible et du sensible: c'est confondre, à n'en pas douter, la modèlisation de la perception et la mise en correspondance des différentes moyens d'appropriation du réel et de conaissance.

Essayant de décrire "comment on écrit pour l'interactivité" un concepteur faisait remarquer que le dispositif interactif - justement parce qu'il présuppose une action, un geste réfléchi - prive l'interactant de la posture propre à la consommation onirique du spectateur de cinéma ou de télévision. Cela nous renvoie, au plan didactique, à ce qui avait été autrefois tenté, sans grand succès d'ailleurs, avec l'enseignement audiovisuel programmé qui consistait à arrêter le flux cinématographique ou télévisuel pour proposer à l'apprenant quelques questions à choix - etperplexité- multiples.

Cette privation du régime de consommation onirique (ou au moins impliquante, voire identificatoire) dans le cas des programmes interactifs et plus généralement le blocage de l'émotion suscité par la nécessité d'agir (car l'interactivité suppose une action) pose le problème du positionnement spécifique de l'interactant face aux aspects affectifs, voire émotifs de la médiation. Peut-on pleurer devant un cédérom, se demandait un spectateur nostalgique? En tout état de cause, la privation du régime de consommation onirique explique peut-être ce recours au jeu,si souvent constaté, dans les interactifs, le jeu et l'apparente futilité "demeurant le ressort le plus éprouvé pour susciter l'entrée en interactivité".

Cependant, à voir notamment la fascination et la jubilation des joueurs de jeux vidéo (et même l'obstination des élèves explorant un Cédérom ou un hypertmédia éducatif), on peut légitimement se demander, si ces dispositifs interactifs ne génèrent pas une autre modalité émotive et impliquante - ce que d'aucun appelle "le bonheur interactif".

Dans le spectacle cinématographique le spectateur choisit la "passivité" comme mode de relation à l'image, passivité physique s'entend, puisqu'il vient, dans l'obscurité pour s'asseoir et voir, jusqu'à se perdre dans les images - condition même de l'interaction active, productive, signifiante ou interprétante. Avec - et pas "devant" - les jeux vidéo, et plus généralement avec les multimédias interactifs, l'implication est d'un autre ordre : d'une part, on a le sentiment non plus de "parcourir" l'image mais de l'"appeler", de la transformer, voire de la créer; d'autrepart, pour que la machine avance il faut agir - geste sur le clavier, l'écran ou manipulation de la souris - et cette motricité, dont découlent d'autres mots, d'autres sons et d'autres images nous donne l'impression contradictoire - mais à la base de tous nos rapports à l'image, nous dit Serge Tisseron - d'une double relation "d'enveloppement"et de "transformation" par rapport à l'image et ce, indépendamment de sa charge représentative. Le "pari du multimédia interactif", serait ainsi de maintenir un équilibre entre ces deux tendances de notre rapport à l'image, au service de la dynamique du jeu, de la découverte, voire de l'apprentissage.

Cette nouvelle conception de l'image, en tout état de cause, nous permet d'entrevoir les fondements du "lien interactif", comme nouvelle modalité du plaisir d'agir pour comprendre et pour apprendre.

 

Apprendre et faire ... ou du "vivre avec" à l' "expérimenter par"

Un autre argument traditionnellement avançé en faveur de ces nouveaux dispositifs interactifs, c'est qu'ils réintègrent l'activité du spectateur : après la passivité devant la télévision, c'est l'interactivité grâce à l'ordinateur!

Selon un processus de transposition mécanique de l'instrument à son usage, le caractère unidimensionnel du dispositif de communication cinématographique et télévisuelle a longtemps été transposé sur la relation qu'entretient le (télé)spectateur avec l'écran qui devient du même coup, un spectateur passif. Inversement il aura suffit de modifier ce caractère unidirectionnel de la communication, ce qui est le cas avec les technologies interactives, pour transformer mécaniquement le spectateur passif en "interactant".

C'est oublier que l'activité mentale et imaginaire peut être beaucoup plus intense que l'interactivité par la machine et, en tout état de cause, que l'interactivité machinique peut, au mieux la favoriser, au pire la bloquer, jamais s'y substituer: il faut se méfier des glissements subreptices de l'interactivité à l'interaction.

J'ai rappellé l'intérêt qu'il y a, de ce point de vue, à faire une distinction entre l'interactivité que, selon les auteurs, on peut appeller machinique, fonctionnelle, ou transitive, soit, celle qui permet à l'utilisateur de rétroagir sur le programme (logique et ergonomie des opérations à effectuer sur le clavier et l'écran), et l'interactivité mentale, intentionelle, "intransitive", celle qui permet à l'utilisateur de réagir mentalement, qui concerne la partie du logiciel qui gère la communication entre l'utilisateur et l'auteur du logiciel, présent à travers ses choix de contenu certes, mais aussi, et surtout, ses choix de structure et donc de navigation, de rhétorique, de contrat énonciatif...

Plus précisément encore, il convient de distinguer, dans la struturation d'un multimédia interactif, le niveau fonctionnel des modalités interactives (soit les aspects concrets et matériels de l'interaction utilisateur-apprenant avec la machine) qui n'ont à priori rien de spécifique au domaine de l'apprentissage et le niveau signifiant des scénari d'interaction (soit les aspects pédagogiques de l'interaction utilisateur-apprenant avec les contenus d'enseignement) qui, à priori, n'ont rien de spécifique au support utilisé : ces deux niveaux interagissent de telle sorte que chaque option de conception à un niveau a des conséquences sur l'autre - autre façon de dire qu'un choix de réalisation est toujours une option prise sur l'activité mentale supposée de l'interprétant.

C'est l' "interactivité intransitive" - plus proprement appelée interaction interprétative - qui permet au spectateur "de déployer une activité sensorielle, affective et intellectuelle qui contribue à déterminer l'interprétation du message" : l'autre, qui est liée biensûr, l'interactivité machinique ou transitive, celle par laquelle le spectateur devenant acteur rétroagit sur le programme, ne la remplace pas.

Le spectateur devenu acteur ou la participation du spectateur au spectacle est d'ailleurs un vieux rêve que toutes les techniques de représentation ont essayé de réaliser, dans la limite de leur spécificité d'ailleurs. Le cinéma lui-même s'y est essayé. Abraham Moles avait bien raison ainsi de remarquer, dès 1984 que les modes de réception du cinéma, fondés sur "la Contemplation, dans les temples obscurs de l'Illusion", avaient barré la route à l'une des innovations du cinéma moderne ou expérimental, qui, bien avant l'arrivée de l'image numérique avait cherché à développer une autre modalité de relation du spectateur à l'oeuvre, plus aléatoire, plus active, plus créative, préfigurant ainsi celui qu'il appelle "le jeune adolescent des clubs électroniques", animé par le démon du jeu et de la compétition.....mais aussi maître de ses moyens intellectuels, contrairement peut-être à une opinion répandue par les normes de l'école.

Car il y a bien un sens où cette interactivité est une caractéristique fondamentale et distinctive:s'il est vrai que deux lecteurs, deux spectateurs ne liront jamais en fait le même livre ni ne verront le même film. (fiction ou documentaire) parce qu'ils les interpréteront différemment, deux "navigants", ne liront jamais le même hyperdocument (fiction interactive, hypertexte ou hypermédia) parce que, par leurs cheminements respectifs, ils ne "produiront", en fait, jamais le même texte : dans un cas il y a différentes interprétations, dans l'autre cas, manifestations de textes différents.

C'est que la véritable nouveauté du dispositif tient non seulement à la possibilité d'interaction de l'utilisateur mais à la capacité réactive du média : les spectateurs de la double version du film d'Alain Resnais, Smoking, Nosmoking ne s'y sont pas trompé.: si deux versions il y a eu, elles ont été toutes deux proposées à l'appréciation, variable d'ailleurs, des spectateurs, mais en aucun cas construites en "inter-action" avec eux.

La force de l'image, ses pouvoirs spécifiques c'est le leurre, l'illusion qu'elle permet d'entretenir où peut se jouer, en toute quiétude pour le spectateur éclairé,cette scène psychique particulière du clivage, le "je sais bien, mais quand même".Le cinéma particulièrement, compte tenu des conditions de réception spécifique qui sont les siennes, favorise cette "expérience" par procuration que constituent aussi bien les fictions cinématographiques - je sais bien qu'on me raconte une histoire mais j'y crois quand même, du moins le temps de la projection, et de façons différentes, en fonction de styles et d'indices variables selon les époques et les lieux -, que le traitement documentaire (je sais bien que je n'y étais pas, mais un autre y était pour moi, qui me donne à "partager" son expérience, pas toujours seulement du "visible", mais parfois aussi du processus d'intelligibilité qui peut l'accompagner, plus ou moins authentiquement...). La télévision elle aussi, nous a habitué à entretenir avec la réalité "représentée" tout une gamme de relations, à travers ses multiples scénarios du réel.

Mais, même lorsqu'elle ne s'applatit pas sur le référent (comme souvent en pédagogie), même lorsqu'elle ne se limite pas aux "fictions du visible", l'image cinématographique ou télévisuelle, même décalèe et jouant sur le réel perçu, contre le réel perçu, pour rendre "intelligible" et pas seulement "visible" une certaine réalité, même dans ces cas très rares, elle ne peut jamais m'offrir qu'une expérience "non contingente".

Les psychologies américains Olson et Bruner,nous ont rappelé dans un article important comparant l'apprentissage par expérience directe et l'apprentissage par expérience médiatisée, qu'il y a en fait trois modes d'expérience correspondant aux trois formes de représentation - et qui correspondent d'ailleurs aux étapes successives de l'évolution : l'active (action directe), l'iconique(les modèles) et la symbolique (utilisation de divers systèmes de symboles). Et de citer l'exemple "du poêle chaud" pour lequel il y a trois façons d'apprendre qu'il est chaud: en le touchant (appentissage par expérience directe), en voyant quelqu'un reculer après l'avoir touché (apprentissage par observation) ou en vous entendant dire qu'il est chaud (apprentissage par symbole verbal ou instruction).

Autrement dit il convient de distinguer l'apprentissage par expérience contingente, directe ou dirigée par l'instruction (comme dans le cas des environnements structurés, expériences de laboratoire ou simulations, jouets éducatifs, procédésautomatiques), l'apprentissage par l'observation (démonstrations, films et animation), enfin, l'apprentissage par systèmes de symboles (communication écrite et orale). D'ou le tableau proposé par le psychologue:

(voir tableau repris à part)

 

Où se situe la spécificité de l'expérience d'apprentissage interactif? Sans aucun doute dans l'expérience contingente dirigée par l'instruction (en tout état de cause par le dispositif interactif conçu comme tel), parmi les réalisations technologiques de la catégorie "simulations". Ces nouvelles technologies offrent en fait des expériences sensorielles et des environnements d'apprentissage extrèmement différents. Le rapport à la réalité et la mobilisationdes activités cognitives qu'elles présupposent semblent notamment devoir être pensés dans de nouvelles catégories.

Dans un article important où il essaye d'analyser, sur l'exemple des reality-shows, l'émergence d'une nouvelle logique des rapports au réel, Jean Louis Weisberg oppose les techniques de représentation qui travaillent au plus près de la restitution "équivalente", aux techniques de simulation qui tentent de proposer une réalité "intermédiaire", plus proche de la réalité expérimentale parce que disponible à une confrontation plus ouverte: le "revivre avec" de l'expérience photographique, mieux cinématographique et télévisuelle, confrontée à "l'expérimenter par" des dispositfs interactifs et autres mondes simulés.

Au-delà des discours prophétiques ou apocalyptiques, peu productifs, sur l'évolution du monde et de la société, il semble nécessaire de souligner moins qu'une rupture,une certaine continuité dans nos rapports au "voir", au "croire" et, en conséquence, ajouterons-nous, au "savoir".

Les nombreux mensonges "audiovisuellement assistés" dont l'actualité médiatique s'est faite récemment l'écho entrainent (on pourrait dire annoncent?) la mise en doute de la réalité des images enregistrées: au grand dame de la pédagogie du "comme si vous y étiez" qui dénonce ce qu'elle ne peut plus, comme autrefois adoré, soit l'administration de la preuve par le visible, ou "le savoir" par le"voir": il n'y a plus de vrai ni de faux, il n'y a plus que des faussaires

Déjà les travaux de l'anthropologue anglo-saxon Goody sur les effets cognitifs et sociaux del'écriture - une des premières technologies intellectuelles - permettaient de faire l'hypothèse que, de la même façon, les nouvelles technologies de l'information et de la communication seraient suceptibles de modifier les modes de construction et d'acquisition des savoirs et donc les modalités d'apprentissage.

Plus précisément encore on peutimaginer comment, notamment par la simulation et l'interactivité, les hypermédias pourraient favoriser un rapport plus directement opératoire, "sensori-moteur" à l'expérience d'apprendre que ne le permettaient - du moins pour ceux qui ne l'ont pas fréquentée suffisamment tôt dans leur environnementsocial ou culturel- la culture du livre et même la culture audiovisuelle qui, même si elle 'implémente" directement des matériaux mobilisant simultanément différents modalités de communication, n'introduit pas, ce qui fait la spécificité de l'interactivité, soit directement, l'action du corps et du geste.

Les quelques données empiriques disponibles confirment déjà la pertinence de cette hypothèse comme en témoigne l'analyse des catégories verbales ("faire","expérimenter", "sentir", "essayer", "résoudre", "réussir" "créer"...) utilisées par des lycéens de 16 à 18 ans pour rendre compte de leur expérience d'"apprentissage" avec les hypermédias (à la maison notamment), par comparaison avec la dite expérience sans hypermédia, c'est à dire à l'école - du moins pour ceux, rares, qui acceptent de parler d'"apprentissage" pour ce type d'expériences, plus généralement vécues sur le mode de la distraction, tant est prégnant le modèle scolaire qui seul, à leurs yeux, renvoie au terme d'apprentissage.Ecole où, disent-ils, l'ordinateur n'est pas utilisé, à leurs yeux, dans toutes ses possibilités. Par ailleurs, il semble bien que ces gros consommateurs de technologiesnouvelles soient, pas contre, de faibles consommateurs de télévision(1o heures et plus contre 2-3 heures par semaine), mais en revanche qu'ils ne soient pas ces solitaires asociaux, frôlant l'autisme, que tout une littérature prophétique nous avait promis, lors de l'apparition de l'ordinateur dans les classes et les familles.

Grâce au multimédia, l'école pourrait favoriser cette articulation entre l'apprendre "par le faire" et l'apprendre "par observation et instruction", entre les savoirs corporels et les savoirs abstraits, si souvent dissociés voire même opposés, au point de constituer un critère de "distinction" dans les parcours scolaires. Plus généralement encore, on peut entrevoir, notamment avec les interfaces à retour d'efforts - déjà disponibles avec les jeux, pour le grand public, comment cette mobilisation des savoirs du corps pourrait être exploitée à des fins autres que ludiques.

 

Jansénisme pédagogique et hédonisme culturel

Du cinéma éducateur aux multimédias interactifs, l'argument principal en faveur (ou en défaveur) de ces nouveaux moyens d'apprendre à toujours été qu'ils venaient rompre avec une conception trop janséniste (ou judéo-chrétienne) de l'apprentissage.: qu'il s'agisse du "pittoresque reconnu au film", de la "récréation utile", ou du "ludo-éducatif" qui semble bien constituer la caractéristique des nouveaux dispositifs technologiques.

Citons le Bulletin de l'Enseignement Primaire du département de la Somme d'aôut-septembre 1926 où paraît le rapport annuel de Monsieur l'Inspecteur d'Académie Molitor : "La parole du maître est bien impuissante à éveiller des idées exactes sur des choses qu'il ne peut montrer, mais le film montrant ces choses exactement est presque aussi inefficace que la parole seule, s'il n'est commenté et expliqué d'une manière méthodique; c'est l'effet conjoint de la leçon orale et de la représentation pittoresque qui produit le maximum d'efficacité".

De la même façon, et à propos des hypermédias, on loue cette capacité à mobiliser tous les sens à la fois, en exploitant les diverses modalités d'expression, qui ferait de ces nouveaux médias, des dispositifs qui permettent "d'apprendre en s'amusant", ou"sans s'en apercevoir".

Si la spécificité des ces nouvelles technologies est en cause, elle n'est pas la seule. La conception intrumentaliste de l'innovation technique a ses limites, surtout en éducation: les nouvelles figures de l'apprenant et les nouvelles formes d'apprentissage ne sont pas crées de toute pièce, par les machines,on peut même penser qu'à l'inverse - ou tout autant- elles sont le signe, l'indice, le symptôme de lentes évolutions culturelles et sociales. On a souvent répété, après Umberto Eco,qu'à partir de la fin des années 80, que la "néo-télévision", moins distante, moins didactique, plus soucieuse essentiellement d'entretenir un contact avec son public avait remplaçé la"paléo-télévision", essentiellement pédagogique et véritable"fenêtre sur le monde".

L'expérience comme les travaux de recherche permettent de dire, que loin d'être moins pédagogique, cette nouvelle télévision est le reflet, différé, du nouveau modèle pédagogique, né de mai 68, et issu de la remise en question des rapports au savoir et aux lieux de savoir. Quand les sociologues de la communication Livingstone et Luntdécrivent "l'épistémologie des formes de savoir" propres aux nouvelles émissions du type "talk show", on ne peut qu'évoquer les comportements"naturels" actuels des apprenants: renversement des hiérarchies entre le savoir de l'expert et l'expérience profane, notions sorties de leur contexte et transformées par la médiatisation, exposition des problèmes sans recherche desolution ni de conclusion tranchée - l'essentiel, pour les téléspectateurs, comme pour le groupe-classe, c' est de communiquer: à chacun ses opinions, pourvu qu'on les exprime; valorisation du vécu et de l'émotionnel au détriment de l'abstrait et du rationnel.

L'analyse de Jean Louis Weiberg, que nous évoquions précisément soulignait de son côté, dans l'apparition des "talk show", cette tentative d'oublier l'écran et ses bords, de transformer le spectacle en expérience: différence de logique dans notre rapport au voir et au croire. Il est peut être en train de se passer pour la connaissance, ce qui se passe pour les autres dimensions des mécanismes sociaux : uneévolution en profondeur des frontières entre le privé et le public. Le savoir comme l'homme est devenu "incertain" et il faut peut-être désormais le mettre en scène socialement pour se l'approprier individuellement: c'est ainsi en tout cas que pourrait s'expliquer l'engouement et le développement des ces forums sur Internet et l'émergence du concept d'"intelligence collective"

Cette nouvelle représentation de la modalité d'apprendre par plaisir interactif et coopératif interposé, s'accorde bien avec ce que des spécialistes de différentes disciplines analysent, à l'heure actuelle, à la suite de la réflexion ouverte par Lyotard comme une des caractéristiques de la société dite "postmoderne".Maffesoli la résume par la notion d'"éthique de l'esthétique": remise en question de la primauté de la raison dans les processus de connaissance de la réalité, importance de la jouissance qui peut être vécue comme une façon de s'approprier le monde, valorisation du sentiment tribal où les émotions partagées et la prise de parole permettent de s'identifier à une communauté, rôle du ludique comme marque de la "logique de l'identification"opposée à "l'identité", réévaluation de la logique del'expérience sensible contribuant à un hédonisme du quotidien où "ce qui est primordial en la matière, c'est le sentiment de vie, la sensation du vivre" -l'opposé, devrait-on ajouter, de ce qui est- non pas par nature - mais dans les conditions actuelles de son fonctionnement, et malheureusement pour la gande majorité desélèves, l'expérience de l'école.

S'il est vrai que s'ébauche ainsi une nouvelle manière d'être, que "le frivole, l'émotion, l'apparence... toutes choses que l'on peut résumer par le mot esthétique.....ont profondémént modifié la politique, la vie de l'entreprise, la communication, la publicité, la consommation.....", on voit mal comment cette vague de fond aurait pu éparger un des désirs fondamentaux de l'homme, son rapport au savoir,"conçu comme une activité humaine spécifique" et, en conséquence, comment les lieux institutionnels dont la fonction principale est de transmettre des savoirs pourraient ne pas en être ébranlés. La télévision, par ses évolutions vers les modalités interactives actuelles a déjà modifié les attentes et la disposition à apprendre, des enfants, des élèves et de tous ceux qui sont en posture d'apprendre et ce, d'autant plus qu'ils ne sont pas les héritiers de la culture "cultivée".

En tout état de cause, au paradigme de la transmission des connaissances succède un modèle interprétatif et relationnel de la connaissance. Dans la société médiatique, comme l'affirme, avec un certain optimisme, le philosophe italien Vattimo "à la place d'un idéal émancipateur modelé sur l'autoconscience épanouie, sur le parfait discernement de l'homme qui sait comment les choses se passent... s'installe un idéal d'émancipation basé plutôt sur l'oscillation, la pluralité et, en définitive, sur l'érosion du "principe de réalité" lui-même. "

Le temps fera-t-il quelquechose à l'affaire? On peut le penser si l'on songe aux années qu'il a fallu au cinéma pour, "d'un diverstissement d'ilotes" devenir le "7eme art",puis, être légitimé. Il est vrai qu'il faut que des créateurs s'approprient les nouveaux outils et les nouveaux langages pour que se manifestent, dans tout leur ampleur les renouvellements perceptifs et esthètiques. Constatant que l'écriture multimédia est encore balbutiante, certains n'hésitent pas à dire que, ce qu'"un syntagme provisoire et éphémère" appelle actuellement le livre électronique, deviendra "un spectacle mis en scène, un ouvelopéra s'adressant à tous les sens". D'autres, soulignant la dépersonnalisation de l'information à la différence du livre et des cédéroms dans les nouveaux réseaux du Web prédisent qu'avec la baisse du coup, le web deviendra bientôt un phénomène aussi important que la télévision, la différence fondamentale étant que l'utilisateur aura l'initiative..

L'expérience cinématographique et télévisuelle, en permettant de "vivre avec" a pu et peut encore offrir des occasions d'élaboration cognitive différentes de celles que proposent ces nouveaux dispositifs qui vont jusqu'à permettre l'"expérimenter par": il faut se méfier des glissements progressifs du ludique au didactique et les plaisirs interactifs pas plus d'ailleurs que les spectacles didactiques, ne dispenseront jamais du difficile accès à la maîtrise cognitive.

GenevièveJacquinot-Delaunay

 

Retour Textes Gramme