Didapro

Actes en ligne des premières journées francophones 
de didactique des progiciels
(10 et 11 juillet 2003)

Éditeurs

Bernard André
Georges-Louis Baron
Éric Bruillard

© INRP/GEDIAPS

Didapro@inrp.fr

Mis en ligne le 2 octobre 2003
Dernière mise à jour le 15 octobre 2003

Feuille de styles, catalyseur de l’interdisciplinarité ?

François Sass

Résumé

Feuilles de styles, textes structurés et hiérarchisés, typographie et mise en page, des apprentissages complémentaires qui devraient être rapidement intégrés dans les différentes disciplines concernées.

Si les premières feuilles de styles sont apparues en 1975, leur utilisation dans les logiciels est loin d’être généralisée et l’apprentissage de cette utilisation est souvent reporté aux formations dites « de perfectionnement ». Pourtant, dans un contexte pédagogique, il me semble que le concept de feuilles de styles devrait être plus rapidement abordé d’autant plus qu’il peut devenir un catalyseur de l’interdisciplinarité en faisant intervenir au moins trois disciplines : le français, l’éducation artistique et l’utilisation des logiciels.

Par son omniprésence dans les différents traitements de documents, la feuille de styles devient incontournable et se trouve d’une certaine manière à l’intersection de ces disciplines. Mon expérience de formateur m’a permis de constater qu’une approche basée sur les champs couverts par ces disciplines permet de renforcer les compétences des élèves, étudiants et enseignants, dans une utilisation plus raisonnée des logiciels, dans la structuration du contenu de leurs documents, mais aussi dans leurs perceptions de ce que pourrait être un texte ou un écran correctement présentés.

J’illustrerai mon propos par une situation d’apprentissage concrète dans laquelle la feuille de styles intervient en partie comme solution au problème de la rédaction de documents par plusieurs auteurs, à savoir :

« une vingtaine d’enseignants sont chargés de rédiger des documents qui seront assemblés et mis en page par une secrétaire. Les auteurs utilisent déjà un traitement de texte pour leur production personnelle et ont acquis une pratique « autodidacte » du produit. Pour éviter les problèmes prévisibles lors de l’assemblage des différents documents, une formation destinée aux auteurs a été mise en place.  »

Cette situation d’apprentissage peut être adaptée à la formation des élèves de l’enseignement secondaire supérieur et de l’enseignement supérieur.

Les contenus fondamentaux de la formation que j’ai proposée sont:

Ces différentes parties sont développées ci-après en supposant que les lecteurs sont familiarisés avec les concepts utilisés, qui ne seront pas détaillés.

La représentation formelle des textes

On peut porter 2 regard croisés sur la notion de texte : le texte vu par l’utilisateur (un être humain gérant le sens du texte) et le texte vu sous l’angle du traitement de textes (un logiciel qui traite le texte de manière formelle). Les différences entre traitements sémantiques (tenant compte du sens) et formels (ne tenant pas compte du sens) sont fondamentales dans la compréhension des rapports que l’utilisateur doit avoir avec son logiciel. Pour illustrer mon propos, je considère les éléments d’un texte connus des utilisateurs et leur « traduction » pour un traitement formel :

Sémantique

Formel

Caractère

Les jeux de caractères, le texte considéré comme une suite finie de nombres, chaque nombre représentant soit un caractère imprimable, soit une instruction pour le traitement de texte.

Mot

Un caractère formel doit être défini, pour séparer un mot d’un autre : l’espace. Mais il existe d’autres caractères séparateurs formels qu’on peut faire découvrir par des exercices

Paragraphe

Un caractère formel doit être défini pour séparer un paragraphe d’un autre : le retour chariot.

Ligne

Un caractère formel doit être défini pour séparer une ligne de texte d’une autre : ce caractère est inséré par le traitement de texte, sauf le caractère saut de ligne forcé dans un paragraphe.

Page

Un caractère formel doit être défini pour séparer une page de texte d’une autre : ce caractère est inséré par le traitement de texte, sauf le caractère saut de page forcé dans un texte.

Une des conséquences de ces premières considérations est que l’espace et le retour chariot ne peuvent pas être utilisés pour faire la mise en page d’un document, puisque leur rôle est de séparer formellement les éléments d’un texte : pas de « double return », ni de « double espace » pour gérer la mise en page. Il est évident que le respect de cette règle doit être adapté au traitement de texte utilisé : dans les traitements de texte rudimentaires, on est obligé d’utiliser le double return pour séparer visuellement les paragraphes et les espaces multiples pour indenter, voire centrer un paragraphe, mais ce n’est pas le cas avec les traitements de texte actuels, qui offrent des capacités de mises en page avancées.

Cette approche a permis aux enseignants de produire des textes moins « pollués » par les espaces, les retours chariots, les tabulations, etc. multiples, surtout dans la mise en page des textes dans les tableaux utilisés pour les textes présentés pour la lecture en vis-à-vis comme dans le tableau ci-dessus.

Structurer un document

Si le regard croisé « sémantique-formel » permet de comprendre et de justifier une partie des comportements appropriés lors de l’encodage du texte, le regard croisé sur le fond et la forme (mise en page) montre l’importance de l’interaction entre ces deux composantes du texte.

La structuration d’un texte en caractères, mots, lignes, paragraphes, pages est insuffisante et il suffit de prendre n’importe quel texte pour se rendre compte qu’il est composé d’autres éléments structurels qui créent une hiérarchie. La structuration hiérarchisée d’un document est une des compétences visées lors de l’élaboration d’une communication écrite (en français comme dans les autres langues) et avant même de se poser la question de la mise en page d’un document, il s’agit de prendre des décisions à propos de sa structuration. A titre d’exemples, l’auteur peut décider que son texte sera structuré de la manière suivante :

Ces décisions ne sont pas figées dans le temps et des adaptations peuvent être envisagées durant le processus de création du texte. Il faut toutefois veiller à éviter une structuration complexe dans laquelle le lecteur risque de se perdre. Quelques règles simples et non contraignantes peuvent être proposées, comme : pas plus de 4 niveaux de titre, pas plus de 3 niveaux de paragraphe, pas plus de 2 niveaux de mise en évidence des mots dans un paragraphe, etc.

Cette approche a permis aux enseignants de définir une structure commune pour tous les documents produits.

Les règles de base de la typographie

La mise en page d’un document doit refléter sa structure hiérarchisée afin de la rendre perceptible sans effort pour le lecteur. Les principes de base de la typographie et de la mise en page sont d’une aide précieuse pour atteindre cet objectif. Il serait prétentieux de prétendre qu’il est possible de résumer tous ces principes en quelques lignes et je suggère au lecteur de se référer à la bibliographie proposée en annexe. La lecture des ouvrages consacrés à la mise en page est intéressante d’autant plus que plusieurs ouvrages de vulgarisation destinés aux « apprentis metteurs en page » ont été publiés depuis que l’ère du numérique a mis à la portée d’un plus grand nombre la possibilité de réaliser sa propre mise en page.

Dans les établissements scolaires, les compétences dans le domaine de la typographie et de la mise en page peuvent être trouvées ou développées, ne serait-ce que par des professeurs des cours artistiques. Il ne s’agit évidemment pas de transformer tous les professeurs et élèves en typographes/metteurs en page, mais de leur présenter les quelques éléments de base de cette discipline afin de les aider dans leur travail de présentation des documents.

A titre d’exemples, je ne citerai que quelques règles élémentaires, dont certaines sont quasi naturelles : ne pas multiplier le nombres de polices différentes, utiliser les espacements au lieu des « fioritures graphiques » pour mettre les titres et les paragraphes en évidence, choisir une taille de police adaptée à la largeur des colonnes, choisir une police lisible adaptée au type de public cible, éviter d’utiliser plus de 2 types de justification …

Les professeurs ont apprécié les quelques éléments de typographie abordés durant la formation pour la production de tous leurs documents en général et dans le cadre de leur travail en particulier.

L’utilisation des feuilles de styles

Je n’ai pas fait de recherche sur les origines exactes des feuilles de styles dans les logiciels et je ne peux que faire référence à une expérience personnelle. J’ai découvert le concept au début des années 1980, lors de l’utilisation d’un logiciel de PAO. J’ai ensuite pu continuer à l’exploiter lors d’un travail de programmation pour un imprimeur (il s’agissait de produire un texte balisé pour la mise en page d’un catalogue à partir d’une base de données), puis dans différents traitements de texte utilisés au fil des années (comme Wordperfect, Amipro, Word), dans différents logiciels de PAO (Ventura, PageMaker, Quark Xpress), et finalement dans la publication Web au travers des Cascading Style Sheet et de XML avec XSL, sans oublier les tableurs et autres logiciels qui ont intégré le concept.

Un style peut être défini comme un ensemble de règles de mise en page (voire d’instructions de traitements) ; chaque style est identifié par un nom. Une feuille de styles est un ensemble de styles. La séparation entre le contenu (fond) et la mise en page (forme) est une des constantes présentes dans l’utilisation des feuilles de styles: un fichier pour contenir le texte, un autre pour contenir les règles de mise en page à appliquer (actuellement, ces fichiers peuvent être regroupés dans un seul, mais la séparation existe toujours conceptuellement). Cette séparation implique que le texte contienne des indications non sur la mise en page, mais sur une référence au nom du style qui devra être appliqué à un élément particulier du texte (paragraphe, sélection d’une partie, …) . En d’autres termes, le texte mis en page à l’aide d’une feuille de styles doit être balisé. Le logiciel, appelé processeur du document, est chargé d’interpréter les 2 fichiers pour présenter le document à l’écran et l’imprimer correctement. Cette séparation est occultée lors de l’utilisation des traitements de texte comme Word (qui a déjà vu le balisage d’un texte au format Word ?), mais est très visible pour des documents traités avec les logiciels de PAO et pour les textes présentés pour le Web.

L’exemple le plus visible et lisible de cette séparation est le langage HTML et les feuilles de styles CSS (pour les autres formats de documents, le codage des informations n’en permet pas une lecture aussi aisée mais le principe est exactement le même) ; le tableau ci-dessous reprend des extraits d’un document HTML et de sa feuille de styles associée :

Texte Html

Feuille de styles nommée styles.css

Les balises de mise en page sont reprises en gras dans le texte. La balise link permet d’établir le lien avec la feuille de styles.

<html>
<head>
<link href="styles.css" rel="stylesheet" type="text/css">
</head>
<body>
<h1> Titre principal<h1>
<h2>Titre de niveau 2</h2>
<p>ceci est un paragraphe ceci est un paragraphe ceci est un paragraphe ceci est un paragraphe</p>
<p>ceci est un paragraphe ceci est un paragraphe ceci est un paragraphe ceci est un paragraphe</p>
<p class=obligatoire>ceci est un paragraphe important ceci est un paragraphe important ceci est un paragraphe ceci est un paragraphe important </p>
<p>ceci est un paragraphe ceci est un paragraphe avec <em> un mot important</em> ceci est un paragraphe ceci est un paragraphe </p>
</body>
</html>

Les règles des styles sont dans le cas des CSS directement lisibles, même la syntaxe est très abordable.

.obligatoire {
color : Black;
border : thin solid Red;}
em {
font-weight : bold;
font-style : normal;}
p {
font-family : Arial, Helvetica, sans-serif;
font-size : 12px;
display : block;
width : 70%;
text-align : justify;
position : relative;}
h1 {
font-size : 24px;
font-weight : bold;
color : Maroon;}
h2 {
font-family : Arial, Helvetica, sans-serif;
font-size : 14px;
font-weight : bold;}

Cette séparation physique correspond parfaitement à la méthode d’élaboration d’un texte proposée (fond, structure hiérarchisée …) et l’utilisation des feuilles de styles vient naturellement au service de cette approche.

Le groupe d’enseignants a pu définir une feuille de styles unique partagée par tous les enseignants et utilisée dans le document final obtenu par la fusion des documents de chacun.

Les avantages et inconvénients des feuilles de styles

Une feuille de styles correctement élaborée devra permettre une gestion de la mise en page d’un document dont la structure aura été pensée au préalable. Le texte étant balisé, les modifications de mise en page seront effectuées par l’intermédiaire des modifications de la feuille de styles. Outre un gain de temps et une plus grande facilité de correction, cette approche garantit une cohérence de la mise en page (tous les éléments du même niveau hiérarchique dans le texte auront la même mise en page).

Par définition, les logiciels sont plus efficaces lorsqu’ils doivent traiter des informations correctement structurées. Les feuilles de styles créent une structure dans le document et elles permettront de mettre en œuvre des fonctionnalités d’automatisation des traitements du documents : tables des matières, index et autres, références à des styles dans les têtes et pieds de page …

Les feuilles de styles peuvent être partagées par différents auteurs travaillant sur des documents qui devront être assemblés.

Un auteur peut définir autant de feuilles de styles que de types de documents qu’il doit gérer : lettres, syllabus, rapports, roman, etc.

L’utilisation des feuilles de styles peut s’apparenter à une activité de programmation déclarative : définir un ensemble de règles qui seront appliquées ultérieurement à des éléments d’un document. Cette activité est en opposition avec une pratique courante qui consiste à faire une mise en page directe en cours d’encodage en utilisant les fonctionnalités des logiciels (changer de polices, d’alignement …) et elle apparaît comme plus complexe, voire inutile aux yeux de nombreux utilisateurs.

Si, en théorie, il faudrait définir autant de styles qu’il y a de règles de mise en page pour un document, on se heurte rapidement à des problèmes de gestion du nombre de styles, de leurs noms, etc. Il faut dès lors trouver un équilibre entre l’utilisation des styles et les interventions directes (appelées locales) sur un élément de texte.

A titre d’exemple, on peut imaginer un style « énumération » pour les listes à puces dans un texte (voir la liste à puces à la page 3 dans ce document). Ce style comprendra la règle de mise en page suivante : espace de 0 après le paragraphe. Cette règle convient pour tous les paragraphes de la liste sauf le dernier, qui doit, par exemple, avoir un espace de 10 points. Faut-il dans ce cas de figure créer un style « énumérationdernier » , appliquer localement la mise en page souhaitée,  créer un style texte courant particulier avec un espace de 10 points avant le paragraphe ? Je n’ai pas de réponse absolue à cette question.

Conclusions

Contrairement à une pratique habituelle, je pense que l’apprentissage de l’utilisation des feuilles de styles devrait être abordée le plus rapidement possible dans une formation. Cet apprentissage sera d’autant plus efficace et accepté qu’il est mené en parallèle avec l’apprentissage de la structuration d’un texte et de quelques règles de base de la typographie. Dans un processus d’apprentissage, une collaboration interdisciplinaire peut être envisagée, par exemple entre les professeurs de français, d’arts et de traitement de texte ou informatique.

Les utilisateurs débutants ont une tendance naturelle à employer les facilités offertes par les logiciels pour faire une mise en page lors de l’encodage (sans passer par les feuilles de styles, en invoquant directement les fonctions de mise en page). Il s’agit de leur montrer le plus tôt possible les avantages liés aux feuilles de styles, même pour des documents « légers » et de les amener à une utilisation plus raisonnée et efficace des logiciels.

Bibliographie

Modes d’emploi, manuels de référence et aide en ligne des logiciels : Word, WordPerfect, OpenOffice, Ventura, PageMaker, Quark Xpress, Powerpoint, Excel.

Pierre Duplan – Roger Jauneau, « Maquette et mise en page », Editions du Moniteur, 1986

Damien Gauthier, « Typographie, guide pratique », Pyramyd, 1998

Roger C. Parker – Lise Thérien, « Mise en page, un guide de conception graphique sur micro-ordinateur », Les éditions Reynald Goulet, 1991

Yves Perrousseaux, « Manuel de Typographie française élémentaire », Atelier Perrousseaux éditeur, 2001

Yves Perrousseaux, « Mise en page et impression », Atelier Perrousseaux éditeur, 2001

www.gutenberg.eu.org/pub/gutenberg/publicationspdf/21-styles.pdf

http://www.w3.org/style/css


François Sass
Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique
Chargé de mission, cellule informatique et télématique Responsable du secteur informatique (enseignement secondaire) Rue Guimard, 1 1040 Bruxelles francois.sass@segec.be

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Éditeurs : Bernard André
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