Place de l'informatique dans l'enseignement secondaire :
réflexions introductives

Éric Bruillard
 

Des savoirs et notions aux compétences informatiques à l'école, le cas de la France

   Au cours du temps, l'informatique, en tant qu'objet de savoir, a connu diverses fortunes dans l'enseignement scolaire. Le point le plus saillant est le passage progressif de notions et de savoir-faire à acquérir à des listes de compétences. Nous détaillons ici le cas français, en ayant conscience que des solutions différentes peuvent exister dans d'autres pays  [1].

   En 1994, Michel Lucas, au nom du groupe technique disciplinaire informatique (au sein du conseil national des programmes de l'époque), propose un cadre assez complet pour l'enseignement d'un ensemble de notions et savoir-faire informatiques à l'école primaire, au collège et au lycée.

   En 1995, le programme de technologie collège intègre des enseignements autour des technologies de l'information et de la communication et plus précisément en sixième sur la technologie de l'information. Le programme décrit des activités, des notions et des compétences attendues. Dans le nouveau programme de technologie de 2005  [2], il est précisé que la technologie « contribue à construire des savoirs et savoir-faire par l'acquisition d'un vocabulaire technique spécifique ; par la connaissance du fonctionnement des matériels et logiciels ».

   Dans le texte paru en juin 1999 au bulletin officiel sur la réforme des lycées  [3] l'annexe III, la formation aux TIC au lycée prévoit des activités, des savoir-faire et des « notions sous-jacentes aux activités et savoir-faire » (fichier, structure de l'ordinateur, système d'exploitation, structuration et traitement de l'information, communication, éléments juridiques).

   Avec la généralisation du B2i (brevet informatique et internet)  [4], il ne s'agit plus que de compétences. La présentation récente de ces brevets  [5] laisse penser qu'il y a une sorte de programme avec une progressivité à étudier, mais il est précisé que : « Pour chaque niveau, le B2i est acquis lorsque 80 % des items sont validés (en dehors des items optionnels pour ce qui concerne le B2i lycée) et qu'au moins la moitié des items de chacun des domaines est validée ». Un dossier récent d'Educnet (2007) fait le point sur les différentes attestations actuelles de compétences.

   Un moment important est la publication du socle commun de savoirs et de compétences en 2006. À cette occasion, un nouveau sigle est introduit, les TUIC, c'est-à-dire les techniques usuelles de l'information et de la communication, qui sont présentées comme un des piliers du socle  [6]. Ce qui est à acquérir est décliné en termes de connaissances, capacités et attitudes.

   Toutefois, les modalités d'acquisition de ces compétences restent floues : la simple répétition d'utilisations est-elle suffisante ? La question qui se pose reste celle des conceptualisations qui peuvent être nécessaires pour que les élèves puissent développer des usages créatifs et responsables des technologies qu'ils ont à disposition et des modalités de construction de ces conceptualisations (Baron et Bruillard, 2001).

   Ce que l'on peut dire : l'école conserve un rôle important pour donner aux élèves une culture informatique et diminuer certaines inégalités ; la programmation est globalement exclue, mais des formes plus faibles (création de macros avec les tableurs ou les calculatrices par exemple) demeurent utiles ; la frontière est difficile à cerner entre des formations à l'informatique et des formations aux technologies de l'information et de la communication.

   Dans l'annexe du BOEN du 19 avril 2007  [7], traitant d'une introduction commune à l'ensemble des disciplines scientifiques, la notion d'information intervient comme titre dans le « socle commun de connaissances et de compétences ». Le changement de discours par rapport aux textes précédents, puisque des concepts informatiques sont clairement mentionnés, nous conduit à en reproduire un long extrait.

« La révolution informatique procède de la capacité de traiter rapidement une immense quantité d'information, pour la transmettre et l'échanger, la stocker, la contrôler, la visualiser. La science informatique, de nature à la fois mathématique et expérimentale, s'intéresse à trois concepts en interaction permanente : numérisation (représentation d'objets ou concepts par des nombres) ; algorithmique (comment calculer) ; programmation (comment commander un ordinateur ou un système via un ordinateur).

Sans savantes définitions, il est possible d'acquérir de ces principes quelques schémas mentaux corrects, au-delà du simple usage des objets informatiques du quotidien. Ainsi l'algorithmique élémentaire des nombres, celle de la manipulation d'images, couleurs, textes et sons, celle de la recherche, visualisation transmission d'informations abordent la compréhension des principes et du bon usage des dispositifs informatiques, et développent sur le nouveau monde numérique le regard adéquat d'enfants et adolescents qui y sont si réceptifs.

L'introduction de ces concepts informatiques, au carrefour de toutes les disciplines, demande expérimentation et invention pédagogique. »

   Comme il est bien précisé, cet ambitieux programme n'est pas encore mis en place.

   Une question méritant d'être approfondie est alors celle de la nature épistémologique de l'informatique en tant que discipline d'enseignement supérieure.

Informatique : une discipline en évolution

   Si les technologies issues de l'informatique ont connu un essor très important et que les machines actuelles, l'informatique, en tant que science, a également évolué. Jacquart (2000) fournit un tour d'horizon des thématiques de recherche en informatique, leur grande diversité illustrant une intrication forte entre technique et science. On peut alors se poser la question, à la lumière de ce qu'est devenue l'informatique (Nicolle, 2002), de ce qu'il faudrait que les élèves connaissent.

Une informatique fille des mathématiques ?

   Il reste néanmoins une tradition forte de proximité avec l'enseignement des mathématiques. On peut le constater avec le travail effectué par la commission de réflexion sur l'enseignement des mathématiques  [8], le bulletin 429 de l'APMEP (dossier Mathématiques et informatique). Une conférence-débat récente à l'Académie des Sciences (mardi 15 mars 2005)  [9] revient sur l'intérêt de l'enseignement de la programmation : « Au lycée il sera proposé d'introduire un véritable enseignement d'informatique formant aux notions essentielles d'algorithme et de programme » (Maurice Nivat).

   Le lien entre informatique et mathématiques est complexe, mais l'informatique n'est pas réductible aux mathématiques. Restent des questions liées à la modélisation, à des formes d'expérimentation liées aux instruments informatiques, encore peu présentes dans les programmes du second degré.

Trois visions complémentaires de l'informatique

   En effet, circonscrire l'informatique, compte tenu de ses évolutions, n'est pas chose aisée. Elle s'est beaucoup développée et a transformé en profondeur de très nombreuses activités humaines, et sans doute aussi elle-même.

   On peut distinguer trois grandes manières de voir l'informatique.

   La première, la plus classique, est celle qui correspond au traitement automatique de l'information à l'aide de machines, dans le triptyque données, traitement, résultat. C'est le domaine de l'algorithmique, et on s'intéresse au temps de traitement, au coût éventuel en ressources, à la terminaison, etc. Maurice Nivat montre bien que les algorithmes ne se limitent pas aux mathématiques, faisant de l'informatique une discipline à part entière qui instrumente les mathématiques contribuant à son évolution, dans l'association du calcul et du raisonnement (Dowek, 2007). Il faut des machines, mais les humains ne sont pas associés au traitement, intervenant en amont ou en aval mais pas pendant le traitement.

   La seconde est liée au développement de la micro-informatique et correspond à l'introduction de l'humain dans la boucle de traitement. On a alors, côté humain, un cycle perception action, et côté machine, traitement et présentation d'un état courant. C'est le domaine de l'interaction et c'est l'activité humaine qui devient centrale. L'interprétation que l'humain fait de ce que lui montre la machine est très importante, cette dernière produisant des illusions pour l'action. On parle parfois d'artefacts sémiotiques, puisqu'il s'agit d'interpréter des signes. Ce sont également ce qu'Anne Nicolle appelle des processus à durée indéfinie.

   Enfin, une troisième vision est liée au développement des réseaux de communication et surtout d'internet. C'est le domaine de l'informatique sociale, de la coopération d'acteurs ou d'agents (humains et non humains), voire de l'intelligence collective, d'une informatique plus relationnelle, en interaction large avec l'environnement, communication et traitement étroitement associés dans des formes collectives de traitement.

   Ces trois approches ou visions se complètent, s'hybrident, dans des temps souvent courts, on peut lancer des traitements, on interagit avec un système d'exploitation, un traitement de texte ou un tableur, on est connecté à divers réseaux physiques ou sociaux.

   On en revient alors à la question de ce qu'il faudrait apprendre à l'école. Les différentes interventions vont illustrer les tensions et les implications de ces différentes visions de l'informatique en vue de son enseignement.

Les différentes contributions à cette partie

   D'abord Maurice Nivat, dans un texte au titre décalé (Vaches et informatique) argumente sur ce qu'il considère le coeur de l'informatique, c'est-à-dire les algorithmes et la programmation. Classer, trier, ranger, chercher, mettre en ordre sont des opérations complexes qui nécessitent la mise en oeuvre d'algorithmes, dans le sens d'une décomposition en suite d'opérations simples qui seront réalisées de façon séquentielle ou simultanée  [10].

   Puis Jean-Pierre Archambault, président de l'EPI, rend compte des travaux du groupe ITIC et une ouverture possible vers un enseignement de l'informatique en lycée. Il commence par donner un certain nombre d'arguments justifiant la mise en place d'un enseignement de l'informatique et rend compte des différentes démarches qui ont été effectuées  [11].

   En complément de ces deux interventions, une table ronde a été organisée sur le thème : ce qu'il faudrait enseigner (apprendre) en informatique et quelle informatique dans l'enseignement obligatoire. L'objet en était de confronter des points de vue différents sur ce que peut être l'informatique actuelle ouvrant sur des questions d'enseignement.

   Le choix a été fait de privilégier des formes d'informatique associée à l'humain :

  • interaction humain-machine pour Michel Beaudouin-Lafon, promoteur d'une interaction instrumentale extension de la manipulation directe ;
  • sciences de l'information et de la communication et culture informationnelle pour Éric Delamotte ;
  • systèmes d'informations et génie logiciel, approche directement inspirée de la sémiotique de Peirce pour Bernard Morand.

   Les visions de l'informatique exposées sont complémentaires. L'informatique n'est pas uniquement la science des algorithmes mais une science de la conception de logiciels au service d'une demande sociale (Morand), une science de la nature (Beaudouin-Lafon) qui est largement devenue une science expérimentale, avec des pratiques sociales qui permettent d'identifier des enjeux culturels, économiques et politiques et de les décrire, sur lesquels une science comme l'informatique peut difficilement faire l'impasse (Delamotte).

   Cela ouvre le débat, il est nécessaire qu'il se poursuive.

Éric Bruillard
IUFM de Créteil,
UMR STEF, ENS Cachan - INRP

Paru dans Informatique et progiciels en éducation et en formation, sous la direction de Georges-Louis Baron, Éric Bruillard et Luc-Olivier Pochon, 2009, coédition ENS de Cachan, IRDP et INRP.
Ce livre est issu du colloque Didapro 3 organisé à l'université Paris Descartes en 2008.

Références

Baron Georges-Louis, Bruillard Éric (2001). Une didactique de l'informatique ? Revue Française de Pédagogie, n° 135, p. 163-172.

Baron Georges-Louis (1989). L'informatique, discipline scolaire ? Paris, PUF, Pédagogie d'aujourd'hui, 230 p.

Dowek Gilles (2007). Les métamorphoses du calcul. Une étonnante histoire des mathématiques. Paris : Le Pommier, 226 p.

Educnet (2007). B2i, C2i... autres attestations informatique et Internet. Mis à jour le 23 janvier 2007.
http://www.educnet.education.fr/dossier/b2ic2i.

Jacquart René (2000). Informatiques, enjeux, tendances et évolution. Hermès Sciences Publications, Paris, 467 p.

Lucas Michel (1994). Enseignement d'un ensemble de notions et savoir faire informatiques à l'école primaire, au collège et au lycée. Problématique générale. Note n° 16 - 11 juin 1993 (GTD Informatique). In Georges-Louis Baron et Éric Bruillard (dir.), Informatique, formation des enseignants : quelles interactions ? Actes du séminaire ouvert, sessions de 1992-1993, INRP, Paris, p. 75-89.

Nicolle Anne (2002). L'informatique en éducation entre science et technique. In Georges-Louis Baron, Éric Bruillard (éds.), Les technologies en éducation. Perspectives de recherche et questions vives. Actes du symposium international francophone, Paris, 31 janvier et 1er février 2002, INRP, MSH et IUFM de Basse-Normandie, p. 177-190.

NOTES

[1] En Suisse par exemple, la technologie n'est pas une branche figurant au programme, ce qui a induit d'autres stratégies pour intégrer certains apprentissages de l'ordinateur. Le lecteur peut se reporter à la quatrième partie du présent ouvrage qui, outre le cas du tableur, fournit des indications sur la place de l'informatique dans différents pays.

[2] http://www.education.gouv.fr/bo/2005/3/MENE0402727A.htm.

[3] http://www.education.gouv.fr/bo/1999/25/ensel.htm.

[4] http://www.education.gouv.fr/bo/2006/42/MENE0602673C.htm.

[5] ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/bo/2006/42/MENE0602673C_annexes.pdf.

[6] http://www.education.gouv.fr/bo/2006/29/MENE0601554D.htm.

[7] Programmes de l'enseignement des mathématiques, des SVT, de physique-chimie du collège. Arrêté du 6 avril 2007. Annexe 1 - Introduction commune à l'ensemble des disciplines scientifiques,
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/bo/2007/hs6/MENE0750668A_annexe1.pdf.

[8] http://smf.emath.fr/Enseignement/CommissionKahane/ RapportInfoMath/RapportInfoMath.pdf.

[9] « L'enseignement de l'informatique de la maternelle à la terminale »,
http://www.academie-sciences.fr/conferences/seances_publiques/pdf/ debat_15_03_05_programme.pdf.

[10] Maurice Nivat, « Vaches et informatique »,
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0804e.htm.

[11] Jean-Pierre Archambault, « Un programme informatique pour le lycée »,
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0906e.htm.

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Association EPI
Octobre 2009

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