Actes du colloque
La Communication Médiatisée par Ordinateur : un carrefour de problématiques
Université de Sherbrooke, 15 et 16 mai 2001

Les dimensions proxémiques recomposées de la communication interactive

Vincent Mabillot
Université Lumière Lyon II

Cette présentation s'inscrit dans le champ de la médiation à partir de travaux que j'ai mené sur l'usage et l'écriture multimédia, initialement sur les jeux vidéo. Il en ressort par ailleurs que la construction de l'usage et de ses significations peut être considéré dans une théorisation plus globale des faits de communication.
Cette considération serait liée, à travers ce que l'on nomme usuellement l'interactivité, à la formalisation du rôle performatif et énonciatif du “ destinataire ” (terme désuet que nous allons remplacer par celui d'acteur).
Le fonctionnement des médias interactifs opère une relation singulière entre les acteurs et l'élaboration des contenus, la représentation symbolique du discours. Ces relations productives participent à des relations médiatées entre les acteurs qui ne sont pas sans évoquer des relations intersubjectives, disons plus “ traditionnelles ”.
Je propose dans un premier temps de vous faire part de quelques notions relatives à la communication interactive et ses particularités énonciatives. Dès lors, nous appréhenderons les médiations interactives sous l'angle d'une mise en scènes, où le pluriel de scène est la marque d'un ensemble de ruptures et de proximités entre les différentes positions des acteurs du dispositifs.
Dans la seconde partie, nous illustrons cette approche à partir de l'observation de dispositifs communication rencontrés sur Internet. Nous remarquons que si ces dispositifs produisent des “ effets ” particuliers sur les relations proxémiques liant les acteurs dans la sphère de la représentation, nous montrerons aussi que cette dernière n'est pas sans interaction avec ce qui se passe dans la sphère de l'expérience.

Interactivité et énonciation

Pour que se déroule une médiation interactive, il est nécessaire que l'utilisateur soit actif et par ce fait participe à la construction d'une représentation de l'énoncé. Une partie du contenu est indéfinie. On ne se contente pas d'activer la matérialisation d'un contenu, mais bien de participer à son énonciation signifiante. L'interactivité est envisagée, ici, par rapport à la production de l'énoncé plutôt que par rapport aux propriétés potentielles d'un système technique. Ainsi l'ordinateur n'est pas forcément un média interactif tandis que d'autres dispositifs le deviennent par leur contexte d'usage.
Les médiations interactives sont alors le lieu d'un faire et de sa représentation symbolique au travers de la production d'un énoncé médiatisé, d'une énonciation performative.
Le système fonctionne selon des règles élaborées par des acteurs postulant de l'usage qui sera fait du dispositif (concepteur de l'infrastructure technique et logiciel), et à l'aide de données complémentaires fournies par un plusieurs utilisateurs. Ce n'est pas l'existence et la persistance du support qui le définit, mais la manière et ses conditions d'utilisation.
Nous retenons alors plusieurs essentiels de l'usage des dispositifs interactifs :
La relation entre les actes et leurs représentations opère des processus transférentiels entre la sphère de l'expérience et la sphère symbolique. L'utilisateur s'engage dans une méta-représentation. Il devient l'acteur opérateur de son fonctionnement et une partie de la représentation par la projection (au moins partielle) de son action repésentée.
Il convient de proposer trois propriétés de l'usage des dispositifs interactifs :
La perméabilité sémiotique, la multimodalité des dispositifs, la proxémie spéculaire.
Les analogies entre le faire et sa représentation opèrent une continuité entre la sphère de l'expérience et celle du symbolique. La perméabilité est relative à une des sphères : Dans certains cas la représentation est dépendante des actes (par exemple le pointeur quitte l'écran en suivant le geste), dans d'autres cas, la sphère de l'expérience est relative à la représentation (c'est notamment le cas, lorsque le pointeur est bloqué sur un rebord de la fenêtre et que l'utilisateur doit repositionner sa souris pour en reprendre le contrôle).
Les conditions d'utilisation (contexte, multiplicité des systèmes d'interface, évolution des compétences des utilisateurs, déroulement de la médiation) définissent autant de modalités de perméabilités relatives qui se juxtaposent et se succèdent.
Perméabilité et multimodalité nous invite à aborder les médiations interactives en terme de mise en scène de “ l'actuel ” : Les éléments qui servent à illustrer le rôle de l'acteur sont alors à considérer comme un ou des personnages de l'acteur. Parallèlement, ce qui n'est pas la marque de son personnage, est à considérer comme la marque de d'autres personnages, et par voie de conséquence, de d'autres acteurs.
La proxémie spéculaire est la combinaison de trois proxémies : de l'acteur à son personnage, des personnages entre eux, des acteurs entre eux. Le dispositif de médiation joue alors le rôle d'un miroir où se projette une communication entre acteurs, d'où le choix du terme de spéculaire.
Rappelons que la proxémie est une approche théorique de Edward T. Hall [la dimension cachée] qui décrit l'existence de sphères invisibles au sein desquelles se régulent les communications et les relations à autrui en fonction de la proximité que l'on a avec lui. En fonction du degré de proximité, et d'implication relationnelle, la présence d'une personne dans une sphère trop proche conduit à des situations de stress, de défense...
L'investissement et le choix de dispositifs de médiation interactive correspond à des projets communicationnels permettant à leur acteurs de médiatés dans le temps et l'espace leur relation avec d'autres acteurs en acceptant ou en refusant certaines proximités.

Les figures proxémiques recomposées sur Internet

Une caractéristique promue par les discours sur Internet fût de considérer que le réseau des réseaux abolissait les différences de statut et devait permettre à chacun de s'exprimer. La communication électronique au travers d'un réseau coopératif devait participer à l'élaboration d'une vaste de communauté de partage de connaissances, de liberté d'expression et de mise en proximité.
A ces discours de l'utopie “ cybernétique ” ont été substitués des discours sur la disparition de cet esprit au nom d'un pragmatisme démographique  (on ne pouvait pas espérer que la communauté mondiale soit à l'image d'une communauté singulière de chercheurs) et d'une suspicion de le prise de contrôle du réseau par des intérêts économique et politique.
Sans nier l'impact du transfert de certaines activités économique et politique sur Internet et sans tomber dans un utopisme forcené, l'étude des proxémies sur ce réseau nous conduit à relativiser ce manichéisme et accepter la coexistances de projets communicationnels paradoxaux (qui se concurrencent et collaborent).
Je vous propose tout d'abord de distinguer quelques dispositifs de médiations sur Internet pour ensuite considérer leur impact ou leur relation avec la “ vie réelle ”.

Le choix des “ modalités ”

Internet n'est pas un média en soi, mais un réseau permettant de faire circuler des données numériques. Les dispositifs se différencient au niveau des conditions de production et d'accès à ces données, leur médiatisation.
Nous retenons deux critères différenciateurs illustrés de quelques exemples sur lesquels nous reviendrons: l'accessibilité des énoncés et la temporalité de l'usage.
En terme de proximité, l'énoncé consulté maintient une séparation des entre producteurs et récepteurs. En revanche les énoncés partagés augmentent la proximité car les acteurs co-produisent un contenu


Nous schématisons ces dispositifs les présenter dans le tableau suivant:
Accessibilité énoncé\Temporalité
Asynchrone
Synchrone
Consultée
Web “ traditionnel ”, FTP...
Streaming audio vidéo, webcam..., P2P
Adressée
Courriel
Notification de présence messageries instantanées (ICQ, AIM...)
Partagée
Forums
IRC, Chat


La version du web à laquelle nous nous référons devient désuète, de plus en plus vite le web achève d'être l'espace unifié d'accès aux différentes modalités de communication. Nous nous limitons ici aux sites de publication de documents électroniques finalisés, liés entre eux par des passerelles hypertextes. Le visiteur doit se rendre sur le site et ne peut que suivre les liens définis par l'auteur. L'interactivité se limite à un feuilletage de document dont l'enchaînement reste prescrit par l'éditeur. Le web correspond à un transfert d'une publication sur un modèle éditorial. Il y a peu d'interactivité et du point de vue des relations entre acteurs. Il y a transposition du modèle auteur(producteur)/lecteur(client). Ainsi expliquera-t-on qu'assez rapidement la presse papier a transféré son activité sur le web. D'autres producteurs de services télématiques (notamment les opérateurs du Minitel en France) ont considéré le web comme un espace de convergence amélioré par la possibilité de diffuser des contenus de qualité et de complexité esthétique supérieure.
En revanche le web à l'origine est un système de publication partagée si on dépasse l'échelle du site. Conçu pour permettre des références croisées et associatives entre des documents déposés sur plusieurs serveurs. Il est aussi un espace de publications “ persos ” reliées. Relativement simple à concevoir, le web permet à de nombreux auteurs de publier et de relier leurs travaux entre eux constituant ainsi un fond documentaire de plusieurs millions de pages gratuites. Ils ont de fait concurrencer des services commercialisant des contenus.
L'interactivité s'implémente sur un site à partir du moment où l'auteur laisse au moins une adresse pour le contacter, le site devient un espace d'appel.
De gros investissements ont permis aux offreurs de services payants de tenter de légitimer leur statut d'auteurs par la production de contenu. Il reste toutefois difficile d'instituer une rétribution directe des contenus. Le modèle économique le plus adapté aujourd'hui est celui de la publicité valorisée par l'évaluation de l'audience. Ce modèle est soumis à un besoin de générer de l'événementiel coûteux sur les sites pour fidéliser l'audience.
Le streaming (diffusion d'un flux) maintien un modèle de dispositif auteur/audience. Toutefois comme pour le web (peut-être plus encore), les opérateurs traditionnels (télévision, radio...) sont concurrencés par des micro-auteurs. Ces derniers profitent d'un coût de production/diffusion abordable sans les limites de support de transmission imposant un partage et une régulation entre opérateurs (comme c'est le cas pour l'attribution de fréquences hertziennes). S'ajoute que si la diffusion technique est aisée, la nature du réseau, et notamment les contraintes de débits entre serveurs et clients ont empêchés les opérateurs de se démarquer techniquement par une offre plus spectaculaire. Pire, les contraintes de réseau ont laisser la place à des modes de micro-distribution efficaces mettant l'industrie audio-visuelle dans une situation de détournement des produits sans précédents notamment par l'intermédiaire des échanges pair à pair (Peer2peer) combinés avec l'utilisation de système d'encodage et de compression accessible pour le grand public (comme le MP3 pour le son et le divx pour la vidéo).
Si les grands opérateurs sont menacés par un modèle d'échange nouveau, leur force promotionnelle plurimédiatique préserve aujourd'hui la nature de leur activité. Néanmoins comme pour le web, les technologies de flux multiplient le nombre d'acteurs-auteur qui sont aussi et avant tout des utilisateurs: l'exemple de napster montre que les utilisateurs récupéraient plus de musique qu'ils n'en distribuaient (en ne partageant qu'une partie de leur stock de fichiers). Néanmoins la multiplication de ces petits offreurs “ pour rien ” à créer le plus grand et le plus variés de tous les catalogues musicaux disponibles à un instant t.
Malgré les tentatives de déplacer la problématique dans le réel juridique et un apparent succès, les acteurs de l'industries du disque n'ont pour l'instant obtenus qu'une contrainte des activités de Napster. Parallèlement les utilisateurs opérateurs ont déserté Napster pour d'autres systèmes d'échange P2P sans pour autant aller vers les sites d'achat en ligne.
Ce dispositif reste le plus utilisé sur Internet. Il repose sur un système d'échanges asynchrones adressés.
La mise en scène de l'interactivité et de la proxémie spéculaire s'observe à trois niveaux.
Dans le cadre du courriel il serait aussi intéressant de détailler le fonctionnement des listes de discussions (les listes de diffusions étant à mi chemin avec un modèle de dispositif consultatif).
Plusieurs logiciels offrent aux internautes de signaler leur connexion au réseau aux personnes connaissant leur identifiant (leur pseudo ou numéro).
Le pseudo tient lieu de personnage. Ce personnage n'est pas accessible par tous les internautes, seuls ceux qui connaissent de son existence voient sa présence. Par ailleurs l'internaute disposent généralement de fonctionnalité signalant sa disponibilité (disponible, connecté mais entrain de manger, connecté mais absent) voire de se connecter discrètement en étant “ invisible ” pour les autres connectés.
La notification de présence est une des fonctionnalités de ce type de logiciel qui permettent par ailleurs d'autre modalités de communication entre connectés (chat, P2P...). Il me semble toutefois que lorsque l'internaute s'engage dans une de ces modalités, la nature du dispositif évolue.
Le développement des messageries instantanées correspond à une évolution de l'investissement du réseau par les utilisateurs: Il marque le renforcement de la présence de l'internaute en durée de connexion, car il considère qu'il y a une forte probabilité que quelqu'un qu'il connaît soit connecté en même temps que lui. L'acteur et son personnage “ internaute ” se superposent dans leur présence.
L'internaute à des relations qui se stabilisent avec d'autres internautes. En même temps le pseudo, le filtrage des “ amis ” et la notification de présence ont des fonctions de distanciation entre le personnage et l'acteur. La plus part des utilisateurs d'ICQ ne fournissent que peu d'éléments identifiants dans la définition de leur profil. La plupart se limitent à publier le minimum d'information requise: numéro d'ICQ, pseudo et une adresse email “ paravent ”. Ensuite on trouve parfois des informations sur l'âge et une localisation géographique approximative. Plus un utilisateur est expérimenté moins il donne d'information sur “ l'acteur ” .
Le développement des messageries instantanées correspond aussi à une évolution sociale de l'accès au réseau. Il correspond l'individualisation des usages. L'utilisation des messageries instantanées nécessite que le titulaire du nunéro soit confiant sur l'utilisation de son ordinateur, que ses proches ne “ joueront ” pas son rôle avec ces “ contacts ”.
Les forums d'Internet sont les héritiers des newsgroups et des bbs (bulletin board services – babillards). Ils sont de l'ordre des dispositifs consultatifs asynchrone. Ils s'en différencient en permettant aux lecteurs de déposer un sujet ou de répondre à un sujet existant.
Les pseudos sont de rigueur en dehors des forums dont l'accès est restreint à des participants identifiés et accrédités. Les forums sont des espaces publics. Il est laisser à la discrétion des acteurs de choisir de laisser des informations permettant de les contacter en dehors du forum.
Les forums pour exister nécessite la participation d'un communauté dynamique. On observe (comme le montre Guillaume Latzko-Toth a propos des IRC) que certains “ personnages ” jouent des rôles particuliers au sein de la communauté. Il y a d'une part les opérateurs acteurs du fonctionnement du forum et d'autre part des animateurs. Selon les forums, ces rôles sont tenus par les mêmes personnes. Il est fréquent que les opérateurs soient des animateurs qui ont dû “ mettre la main à la pâte ” pour lancer le forum.
Les forums prennent souvent le relais de liste de discussions dans lesquelles la multiplication des contributions devient envahissante pour les participants. Les forums permettent alors aux acteurs de se “ brancher ” sur ce qui se dit en fonction de leur disponibilité. Toutefois il en résulte que la communauté partage moins l'évolution des débats dans son ensemble.
La richesse des forums reposent sur le nombre de visiteurs actifs permettant d'enrichir les problématiques.
En outre le forum constitue une mémoire de la communauté qui est parfois restructuré à l'aide d'outil comme des moteurs de recherches ou la constitutions de FAQ (Foire Aux Questions).
La synchronicité joue un rôle prépondérant dans la proximité entre les personnages. Que l'on soit dans des salons (zones de dialogues collectives) ou dans un PV (dialogue privé restreint à deux participants), la réactivité crée un effet de proximité.
Ainsi celles ou ceux qui ont des difficultés à contribuer rapidement peuvent se sentir exclus.
Les personnages intervenants dans la fenêtre de dialogue sont signalés comme dans un texte de théâtre, leur pseudo précédent leur réplique. S'ajoute comme nous l'avions vu avec le courriel des choix de marquage typographique qui augmentent l'identification des contributions. Dans une autre partie de la fenêtre, les pseudos connectés au salon sont listés. Certains ayant des activités de modération de salon sont signalés par la présence d'une icône ou d'un caractère spécifique.
A partir de cette zone que l'acteur gère une partie de ces relations directes avec d'autres personnages (engager un PV, ignorer les interventions d'un utilisateur...).
La zone où l'acteur compose ses interventions lui est propre. Selon les logiciels et les systèmes de chats utilisés, la gestion de cette zone est plus ou moins riche. Certains utilisateurs vont en plus utiliser des commandes pour changer de pseudo en cours de session, changer de style typographique, utiliser des scripts qui génèrent des enchaînement de caractères créant des effets visuels, des dessins.
Je renverrais là encore au travaux Guillaume Latzko-Toth sur la constitution et l'évolution de ces communautés dans lesquelles les participants réguliers adoptent des raccourcis textuels communs, un jargon spécifique...
Ces codes de groupes entre les personnages permettent au-delà des pseudos de reconnaître par leur “ personnalité ” les membres reconnus du salon.
Si la synchronicité a un amplificateur de proximité entre les personnages quand elle intensifie les situations de complicité. Elle est aussi un facteur discriminant pour les utilisateurs qui ont besoin d'un délai pour contribuer (pour des raisons techniques ou pour construire un argumentaire).
Par le jeu des pseudos-masques chacun est en mesure d'essayer d'interprêter un rôle idéalisé en décalage avec la réalité de l'acteur. Cette compétence d'interprétation nécessite plus qu'un choix de pseudo, mais un ensemble de comportements discursifs qui collent au personnage. Le moindre hiatus laisse apparaître la présence d'un acteur décalé de la perception de lui qu'il a donné aux autres au travers de son personnage.

En conclusion

Ce survol est partiel. Il néglige d'autres dispositifs qui se développent, comme par exemple les jeux en réseaux. Il ne prend pas en compte le développement de zones d'internet où les différents protocoles sont réunis autour d'une thématique ou d'une communauté.
L'analyse des proxémies spéculaires et perméabilités entre acteur et personnage rétablit une forme d'intersubjectivité médiatée. Il est intéressant d'observer la relativité de ces dynamiques scéniques selon une connaissance entre acteurs réelle puis “ cyber ” ou une connaissance “ cyber ” puis réelle.
Si au sein de la première communauté d'Internautes composée de chercheurs et de quelques passionnés d'informatique et de cybernétique où il existait une proximité et une culture de l'échange horizontal, la généralisation de l'utilisation d'Internet dans le contexte de l'entreprise instaure de nouveaux enjeux relationnels dépendant de position économique et stratégique. L'entreprise introduit dans le réseau des logiques concurrentielles avec des positions d'acteurs hiérarchisés. Il existe dès lors des distances sociales plus fortement marquées dans le réel. De fait l'identité des acteurs lorsqu'elle est marquée au niveau des personnages va se traduire par une proximité des personnages reflétant la proximité que les acteurs auraient dans le réel. Ainsi les messages (et en particulier les mails) sont beaucoup plus empreint de marque de politesse que ne l'étaient des messages plus conviviaux. De fait l'augmentation démographique de la fréquentation d'Internet à provoquer un anonymat des individus au sein de la population.
Lorsque les utilisateurs connaissent l'identité de l'acteur avant son personnage, le personnage devra être le reflet de ce qui est connu de l'acteur et des relations qui sont établies. Toutefois Internet permet une fréquence des échanges en limitant les contraintes de la distanciation spatiale ou temporelle. L'asynchronie permet de poursuivre des échanges en dehors d'une adéquation temporelle.
De plus l'exigence technique, et notamment l'utilisation du clavier crée des difficultés de s'exprimer “ comme on veut ”. Les utilisateurs qui sont handicapés par l'interface vont alors adopté des stratégies d'énonciation facilitantes, comme l'emploi de formules abrégées, d'un style plus direct. Elle contribue à diminuer les effets de distanciation énonciative lié aux formules de politesse.
Ainsi la fréquence des échanges et la modification des habitudes énonciatives contribue-t-elle à relayer et accélérer les relations originelles.
Si certaines relations préexistent à leur médiatisation, elles sont de plus en plus nombreuses à prendre leur source sur Internet.
Tant que les acteurs n'ont pas une connaissance de certaines caractéristiques techniques (en dehors de cas de manipulation avancées), ils ne peuvent pas avoir une connaissance des acteuirs qui se trouvent derrière les personnages. La construction de l'acteur va donc spéculer, au travers des représentations et comportement des personnages, les acteurs qui sont “ derrière ”.
L'absence d'une représentation concrète facilite généralement la proximité entre les personnages en mettant entre parenthèses les implications de statut “ réels ” qui ne sont pas connus.
Si les dispositifs asynchrones créent des temps où cette proximité est relativisée, les systèmes synchrones produisent des effets qui “ débordent ” plus facilement dans la sphère de l'expérience. La superposition du temps de l'acteur et du temps du personnage opère un glissement du personnage sur l'acteur.
Les chats deviennent des lieux particulièrement empathiques où l'instantanéité produit des effets de sincérité.
Mais il convient de souligner le terme “ effets ”.
En revanche, de nombreux “ chateurs ” témoignent que ce passage par des bavardages précédent la connaissance physique permet de dépasser certains a priori d'une rencontre et de l'image première de l'autre. Ils n'ont plus à faire à des inconnus. Au travers de leurs échangent ils ont construit une histoire commune.
Cette persistance de l'histoire commune initiée par les personnages se retrouve dans les autres modalités. Dans les dispositifs consultatifs, elles se traduit plus en terme de notoriété tandis que dans les autres elles valorisent beaucoup plus la construction d'une expérience intersubjective.
Certaines positions énonciatives vont ainsi être maintenues en dehors du dispositif médiaté: Par exemple des échanges où le statut économique ou social a été absent ne les réintroduiront pas lors d'une relation dans le réel. En cela on retrouve une persistance des relations qui s'établissent dans un cadre et se retrouvent transférer dans un autre cadre. Par exemple d'une situation de loisir à une situation de travail, la première relation cadre ou oriente la seconde.

A partir des six exemples présentés rapidement, j'espère avoir esquissé les contours de certains effets des mises en scène de l'interactivité sur Internet. Ces propos restent superficiels, et je l'espère, s'inscriront dans une préoccupation et des problématiques abordées par notre communauté de chercheurs.
Je souhaite qu'elle contribue à éclairer la socialité des médiations et la compréhension de leur adéquation avec les projets communicationnels des utilisateurs qui les investissent.
Il me semble qu'elle peut notamment apporter un éclairage sur l'instabilité des logiciels et la stabilisation des usages. Des dispositifs, comme Napster, ont ouvert la voie à certaine forme d'échange et de partage. Les injonctions de justice peuvent freiner leur développement mais ils répondent à des usages communicationnels qui dépassent les projets économiques de certains opérateurs. Si le logiciel risque de disparaître, la ferveur communicationnelle qu'il a révélé s'est transférée et se transférera vers des dispositifs de substitutions.
De la même façon, la planétarisation ( et donc l'augmentation de l'audience potentielle) ajoutée à la disponibilité de protocoles de communications rapides et partagés facilitent la communication et l'apparition de communautés temporaires et souples. Elles permettent la circulation d'informations et de propositions d'action concertées avec une flexibilité déroutante. En ce sens Internet et ses jeux de proximité à facilité l'émergence de ce qu'Hakim Bey[] définit comme les TAZ (Zone d'Action Temporaire) qui permettent aussi bien la coordination des actions des militants contre une mondialisation libéralisme économique à Seattle, à Québec ou à Gènes, que l'organisation de rave party “ sauvage ” réunissant 25000 personnes sans que le lieu ne soit connu avant les 6 dernières heures précédant le début de la fête.