Actes du colloque
La Communication Médiatisée par Ordinateur : un carrefour de problématiques
Université de Sherbrooke, 15 et 16 mai 2001

Choix et utilisation d'outils de communication
dans la mise en place d'une formation à distance

Céline Riffaut
Université Aix-Marseille III

La mise en place d'une formation à distance n'est pas une chose aisée. L'entreprise est d'autant plus difficile lorsqu'il s'agit d'y intégrer les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Les outils technologiques utilisés doivent rester des outils (support de l'apprentissage) et ne pas être une fin en soi. Le principal défi est de bien doser les technologies utilisées, d'atteindre l'adéquation parfaite en la plate forme pédagogique, le domaine étudié et le public apprenant.


I. Composantes d'une formation à distance

L'élaboration d'une formation à distance relève de plusieurs facteurs essentiels, citons seulement trois aspect importants d'un tel dispositif (COCHARD J.M.).

1. Trois aspects d'une formation ouverte à distance

Aspect technique

Aspect pédagogique

Aspect organisationnel


Ces trois aspects sont essentiels à la réussite d'un dispositif de formation à distance mais, remplir toutes ces conditions n'est pas nécessairement un gage de réussite. Un autre facteur, non des moindres est en prendre en compte : l'étudiant.

2. Le facteur humain

Il s'agit là d'un élément très important dans la viabilité d'un dispositif : le fort taux d'abandon souvent constaté dans des formations à distance est difficile à parer.
Aussi, nombreuses sont les formations qui tentent de s'adapter aux besoins personnels de l'étudiant. Chacun doit avoir le sentiment que la formation répond précisément à ses besoins et objectifs, lui permettant la mise en pratique rapide de ce qu'il vient d'apprendre (Gil P.)
Deux éléments de solutions concourent, actuellement, à personnaliser les formations, pour mieux répondre aux attentes de chacun :

Parcours individualisé (LAMEUL G.)

Choisir les modules de cours à suivre, organiser son année de formation en fonction de ses propres contraintes permet l'épanouissement de l'individu en tant que tel, aussi bien au niveau personnel que professionnel. Toutefois il s'agit là d'un processus à double tranchant : à trop individualiser un parcours on peut s'exposer à un isolement plus important de l'apprenant durant sa formation. Chaque étudiant cheminant suivant un parcours qui lui est propre a ainsi beaucoup plus de mal à échanger avec les autres car il ne partage pas les mêmes préoccupations au même moment. L'apprenant n'a alors plus qu'un interlocuteur quasi unique : son tuteur.

Tutorat (JACQUINOT G.)

La mise en place et le fonctionnement de tutorat personnalisé permet à l'étudiant de sentir une présence durant son année, mais représente un coût non négligeable dans le budget d'une formation à distance. De plus trouver des tuteurs n'est pas une chose aisée, même correctement rémunérés les tuteurs compétents et suffisamment disponibles sont rares (COCHARD J.M.).

Cette personnalisation possède, bien sur, les avantages que nous lui connaissons, à savoir l'adaptation de la formation pour satisfaire au maximum les attentes de l'étudiants en tenant compte de ses compétences initiales et de ses progrès. Mais, toute médaille a son revers et il ne faut pas négliger certains aspects qui peuvent s'avérer néfastes.
Malgré les nombreux efforts réalisés, bien souvent, passé l'engouement du départ suscité par le coté ludique de la découverte du système et la façon différente d'apprendre, la motivation initiale s'émousse rapidement.
L'isolement physique de l'étudiant engendre tôt ou tard un sentiment d'isolement moral, facteur précurseur de la démotivation qui conduit inexorablement à l'abandon.
Le taux d'abandon étant très important dans une formation à distance, on est en droit de s'interroger sur la façon dont il faut extraire l'étudiant de son isolement "social" pour pouvoir entretenir sa motivation tout au long de a formation à distance.


II. Mise en place d'un dispositif de formation à distance

Le CRRM (laboratoire en sciences de l'information), propose depuis 3 ans une formation entièrement non présentielle, de niveau maîtrise. Le diplôme a été reconnu et habilité par le ministère pour la rentrée universitaire 1998. L'ouverture de cette formation a été l'occasion, pour le laboratoire, de transposer son savoir faire acquis en entreprise, notamment dans l'élaboration de système d'information et dans la gestion des connaissances et du savoir.

1. Contraintes de départ

Du fait du peu de budget de départ, la mise en place d'un tutorat personnalisé et suivi était quasi impossible, une réflexion sur les possibilités de déplacer le tutorat sur l'ensemble des étudiants s'est donc imposée. La naissance d'une communauté d'entraide étudiante s'est avérée nécessaire
Il s'agissait alors de déterminer par quels moyens on pouvait rompre l'isolement de chacun en créant puis entretenant la motivation collective par la création d'une communauté d'apprentissage (POUTS-LAJUS S., RICHE-MAGNIER M.)
L'articulation de la formation elle-même s'est avérée être un élément déterminant. Elle se compose de différents modules de cours (certains d'auto formation d'autres demandant des travaux collectifs) mis à disposition successivement suivant une progression pédagogique définie. L'ensemble des étudiants travaille le même module durant une période donnée, même si chacun le fait à son rythme.

2. Comment entretenir la motivation ?

Par un échéancier strict et très rythmé

Des tests réguliers à un rythme soutenu sont à remettre périodiquement (plusieurs tests tous les 15 jours), obligeant l'étudiant à travailler de façon régulièrement en minimisant les "temps morts" entre les différentes parties de la formation. Ces tests sont nombreux dans les modules d'auto-formation (apprentissage des outils, notamment) où l'étudiant doit acquérir un savoir-faire par la pratique et la mise en situation immédiate.

Par la réalisation d'un travail en groupe

Un travail de groupe dit coopératif est demandé dans un module transversal, faisant intervenir l'ensemble des connaissances acquises durant le formation ainsi que les compétences et les sensibilités initiales de chacun. Il permet, après avoir initié le dialogue, d'entretenir les échanges entre les étudiants.

Par la naissance d'une communication d'apprentissage

Le tutorat tel qu'il est perçu actuellement en formation à distance a été déplacé au niveau des espaces d'entraide étudiante. Le but étant de favoriser la naissance d'une réelle communauté d'apprentissage au sein de la formation en rendant les étudiants plus actifs à résoudre leur problèmes en groupe qu'en situation d'apprentissage tutoré où l'étudiant a plutôt tendance à poser sa question dès l'instant où il se sent bloqué sur un problème et à attendre des éléments de la solution que pourrait lui apporter son tuteur. L'intervention des enseignants dans les échanges entre étudiants est ici volontairement minimisée. Toutefois, ils suivent "dans l'ombre" les discussions, se réservant le droit d'intervenir en cas de non résolution des problèmes posés.

La création d'une telle synergie de groupe au sein de la communauté d'apprentissage requiert l'utilisation d'outils de communication appropriés. A noter la forte volonté de limiter l'effectif du groupe à une trentaine d'étudiants maximum (la promotion 2000-2001 compte 27 étudiants) qui permet les échanges les plus productifs. Un effectif plus important est plus difficile à gérer et peut nuire à la qualité, la quantité et la convivialité des échanges.

3. Choix des outils de communication

Une formation universitaire peut regrouper des individus d'horizons, de compétences, de parcours différents. Le choix des moyens de communication est primordial. Il faut toutefois garder à l'esprit que l'utilisation de l'outil, même si son apprentissage entre dans la cadre de la formation, n'est pas une fin en soi mais un moyen, il faut donc que chacun se l'approprie rapidement avant de pouvoir prétendre à commence sa formation proprement dite..
Cette appropriation qui doit être la plus naturelle possible, détermine d'elle même les critères de sélection .

Critères de choix

De part les compétences initiales hétérogènes en informatique de chacun au sein de la formation il a fallu définir des critères stricts de base dans le choix des outils, en tenant compte, par défaut, des compétences étudiantes les moins développées :

Ce dernier point, relatif à un outil adapté, fait intervenir d'autres critères plus généraux, pris en compte en fonction des besoins en communication de la formation :

Les critères de choix explicitement définis, nous pouvons maintenant envisager l'utilisation d'outils y répondant.

III. En pratique

Dans la formation non présentielle NTIDE du CRRM, différents outils de communication ont été mis à disposition des étudiants, en fonction des types d'informations destinées à être échangées. Ils peuvent être qualifiés de médiateurs entre les étudiants, véhiculant les informations échangées.

1. Moyens choisis :

Groupes de discussions

Il s'agit ici d'un outil asynchrone, ne nécessitant pas une connexion simultanée des étudiants, et de type pull où chacun effectue la démarche d'aller consulter les échanges en organisant ses connexions à sa guise de part son éloignement géographique et temporel.
Cet outil est destiné à une utilisation étudiante jouant un rôle de médiateur dans les échanges au sein de la communauté d'apprentissage créée en substitution d'un tutorat personnalisé. Les étudiants posent leurs questions et répondent à celles des autres, réfléchissent ensemble à différents problèmes rencontrés. Les propos échangés ici sont plus réfléchis (qu'en situation synchrone) et conduisent à des discussions relativement poussées de part la fonction asynchrone de l'outil qui permet de développer sa réflexion et ses arguments avant de répondre (HENRI F., LUNDGREN-CAYROL K.)
Un groupe de discussion a été ouvert par module de cours de formation permettant de cibler les sujets traités dans un groupe.

Liste de diffusion

La liste diffusion est un outil asynchrone de type push. Il permet à chacun de recevoir des messages directement dans sa boite aux lettres. Cet outil est destiné initialement aux enseignants, administrateurs de la formation voir même étudiant, d'informer l'ensemble de la promotion de tel ou tel événement.

Espace ftp

Par l'intermédiaire de répertoire commun, de façon asynchrone et suivant un processus de type pull, les étudiants peuvent travailler à la réalisation de travaux en commun (demandé dans un module de cours) en vue de leur publication sur le site de la formation
Notons que cet espace est aussi utilisé par les enseignants pour la récupération de certains travaux individuels des étudiants. Parallèlement à des répertoires communs, chaque étudiant dispose d'un répertoire personnel d'accès sécurisé.

Centre de ressources communes

Développer par le laboratoire. Cet outil permet aux étudiants de mettre en commun leurs ressources sous forme de fichiers ou de signets, il offre aussi différentes possibilités d'interrogation par l'intermédiaire d'un moteur de recherche, d'un annuaire ou d'une recherche dans le texte des documents indexés.
Les ressources peuvent être de deux sortes : signets (bookmark communs à la promotion), documents (article, présentation, fichiers sous différents formats déposés par les étudiants). Chaque ressource peut être annotée par les étudiants, leur offrant la possibilité de commenter les éléments déposés. L'étudiant, participe ainsi à l'enrichissement du dispositif de formation et devient lui-même le propre acteur de sa formation.

2. Fonctionnement et exploitation

Observation

On observe dans un premier temps différent type d'individus que l'on peut classer en trois catégories : les moteurs, qui connaissent déjà ou qui s'approprient rapidement et efficacement les outils : ce sont les preneurs d'initiatives du groupe ; les actifs, qui s'intègrent parfaitement dans la formation, s'approprient correctement les outils, sont actifs lors les échanges, mais ne prennent pas ou très peu d'initiative ; les passifs : petite minorité d'individus quasiment absents des échanges, soit parce qu'ils n'ont pu s'approprier correctement les outils, soit par manque évident d'intérêt pour la formation.

En début de formation, d'une manière générale les échanges sont difficiles à démarrer (notons que notre formation NTIDE ne comprend pas de regroupement en présentiel en début d'année). L'utilisation du système, sauf cas rares, n'a pas lieu de manière spontanée, par timidité, peur des remarques des autres...
Une première "amorce" du système consiste à demander à chacun de se présenter sur les groupes de discussions, ceci contribue efficacement au démarrage du dialogue. Les échanges sont ensuite plus faciles. Il s'agit de montrer que l'outil est valable et qu'il apporte un plus dans la formation.
Puis, chacun doit, dans le centre de ressources déposer des éléments, aller les consulter, afin qu'il prenne conscience du potentiel du système, de l'utilité du processus. Quelques ressources doivent déjà présentes, utiles aux étudiants pour permettre l'initiation du réflexe de consultation dans un premier temps puis de partage et de dépôt, d'apport dans un second temps.

Evaluation du dispositif

Des indicateurs ont été déterminés pour évaluer le fonctionnement d'un tel système. Certains indicateurs sont d'ordre quantitatif, d'autres d'ordre qualitatif.

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Figure 1
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Figure 2


La Figure 1 reflète la proportion des messages émis par les enseignants par rapport à ceux émis par les étudiants. 98% sont issus d'étudiants. L'objectif initial qui souhaitait favoriser les échanges étudiants sur les groupes de discussions est atteint. 4% des messages viennent d'intervention enseignantes. Il s'agit là de cas rares où les enseignants ont jugé opportun d'intervenir pour réorienter la discussion dans la bonne direction. Au regard des objectifs définis pour chaque outil de communication, les proportion devraient quasiment s'inverser pour la liste de diffusion. Or nous voyons, dans la Figure 2, que malgré une variation de proportion notable, les échanges sont plus nombreux de la part des étudiants que des enseignants. Ce déséquilibre s'explique par le fait qu'une étudiante, cette année, a commencé sa formation après les autres. Aussi, étant en décalage, elle a préféré poser ses questions sur la liste, sachant que chacun recevra le message (aspect push) alors que le groupe de discussion relatif à son sujet n'est plus utilisé par les étudiants plus loin dans leur progression. Chaque module de cours, ouvert à la suite du précédent, engendre l'utilisation d'un groupe de discussion différent. Le groupe de discussion du module précédent est alors , la plupart du temps délaissé et constitue une archive des messages postés.





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Figure 3
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Figure 4

La Figure 3 montre la proportion des réponses (ou réactions) apportées en fonction des questions (ou propositions) exposées dans l'ensemble des groupes de discussions. Le rapport prouve que les questions posées ne restent pas sans réponses puisqu'en moyenne on obtient deux réponses pour une question. Pour la liste de diffusion ce rapport est moindre (Figure 4), ce qui somme toute est logique car la plupart des messages postés sur la liste sont des données d'ordre informatif qui n'attendent de réponses ou réactions particulières. Ici encore, les données que nous aurions été en droit d'attendre initialement sont faussées par l'intervention d'une étudiante en décalage dans sa formation, ce qui n'enlève en rien le fonctionnement du système puisque même en utilisant un autre moyen de communication que celui adopté par le reste de la formation, les réponses et réactions des autres étudiants existent tout de même.

Ces chiffres et particulièrement les dernières (Figure 3 et Figure 4) ont pour but de montrer que non seulement les outils de communication sont utilisés mais qu'ils permettent de réels échanges puisque l'on peut noter en moyenne deux réponses ou réactions par questions ou propositions énoncée.


IV. Conclusion

Forts d'une expérience de trois ans dans le domaine, nous avons pu constater, à plusieurs reprises, que le travail en groupe, de même que la composition du groupe (hétérogénéité des parcours de chacun), joue un rôle très important dans l'entretien des échanges entre les étudiants. Toutefois les différentes promotions NTIDE n'ont pas encore dépasser la trentaine d'étudiants. La relative petite taille de ces groupes a permis de conserver un aspect suffisamment convivial pour offrir à tous la possibilité de s'exprimer et surtout d'être entendu. Au CRRM, nous ne sommes pas actuellement en mesure de pouvoir garantir les mêmes qualités ni même quantité d'échanges au sein d'une formation plus importante, une solution serait de fractionner des promotions en groupes plus restreints d'individus.

Le choix d'outils de communication est extrêmement difficile et ce qui s'avère bon une année n'est pas forcément vérifié l'année suivante. Le choix des outils doit être suffisamment strict et ciblé pour ne pas noyer l'apprenant sous des technologies qu'il ne pourra pas maîtriser et risquer un abandon quasi programmé dés le début de la formation. D'un autre coté, le choix des outils de communication doit offrir un panel assez large et flexible pour permettre à chacun des étudiants de s'approprier l'objet, l'outil, le mode de communication qui lui convient le mieux tout en restant en accort avec l'ensemble de la formation.

Nous avons tenté de faire apparaître, dans cette publication, que la motivation des étudiants reste essentielle à la réussite de la formation. Les moyens de communication adoptés sont primordiaux dans l'entretien de cette motivation.





Bibliographie :
COCHARD J.M. Les nouvelles technologies de l'Information et de la Communication, Applications à la formation ouverte à distance. Conférences organisée à l'Université d'Aix-Marseille III, le 12 avril 2001.

GIL P. E Formation, NTIC et reengineering de la formation professionnelle. Dunod, Paris, 2000

HENRI F., LUNDGREN-CAYROL K. Apprentissage collaboratif à distance, Presse de l'Université du Québec, 2001, p63

JACQUINOT G. Le tutorat dans la FAD. Cours : Nouvelles technologies pour la formation (Unesco) [en ligne] http://cvlium.univ-lemans.fr:8900/public/unesco (page consultée le 12/01/2001)

LAMEUL G. Un public à la recherche d'une relation plus humaine et plus coopérative avec le formateur dans la situation pédagogique à distance. In 2ème entretiens internationaux d'enseignement à distance, Poitiers, 1-2 décembre 1999, Tome I, pp.147-152.

MOTTET M., PERRAULT C. De bons vieux principes de base pour la conception d'un cours sur Internet. Clic, mai-juin 1998, N° 24, [en ligne] http://www.clic.ntic.org/clic24/Cours.htm (page consultée le 1/11/1999)

POUTS-LAJUS S., RICHE-MAGNIER M. Education et Technologies de l'information : des influences réciproques, L'école à l'heure d'Internet, les enjeux multimédia dans l'éducation, Observatoire des Nouvelles Technologies pour l'Education en Europe, [en ligne] http://services.worldnet.net/ote/text0020.htm (page consultée le 6 juillet 1999)