Actes du colloque
La Communication Médiatisée par Ordinateur : un carrefour de problématiques
Université de Sherbrooke, 15 et 16 mai 2001

Les outils de la CMO dans une expérience de séminaire en vidéoconférence : concurrence ou complémentarité ?

Claire Roberge
Université du Québec à Montréal

La technologie remplace t-elle l'enseignement en présentiel ou ajoute-t-elle au contexte éducatif ?
De nouveaux modèles se mettent-ils en place (reconnaissant les apports technologiques) ?
Précisément, y-a-t-il enrichissement de l'offre pédagogique avec l'usage de la CMO ?

Nous tenterons de répondre à ces questions sans toutefois conclure sur l'objet de cette problématique ; celui-ci nécessitant tout un ensemble de données que cette étude ne prétend pas avoir déterminées. Une réponse trop générale ne situerait pas bien les enjeux. Suite à l'évaluation du séminaire GPB[1], nous préciserons les rôles joués par les dispositifs techniques utilisés dans cette situation précise.

Dans un premier temps, nous ferons état de différents cas d'usage de la vidéoconférence[2]. Deuxièmement, nous préciserons le fonctionnement des choix technologiques expérimentés durant le séminaire GPB. Ensuite, nous constaterons certains usages de ceux-ci par les professeurs et les étudiants. Vérifiant au-delà d'une complémentarité possible, ces dispositifs participent-ils à concurrencer l'enseignement traditionnel ou font-ils présence plutôt d'un regard différent sur l'enseignement ?

Trois cas[3] en éducation: Variations sur un même thème (la vidéoconférence) :
Premier cas : Un professeur externe, un site. Ce cas se rapproche d'une situation de campus virtuel où aucun professeur n'est présent en classe avec les étudiants. Les étudiants sont dans une salle et le professeur, à l'externe, dans une autre salle. Selon les étudiants, le cours était semblable a une cassette enregistrée, pas d'interactivité : "La communication était donc perçue comme artificielle[4]." Nous pouvons affirmer que, dans ce sens, la technologie n'est pas concurrente au présentiel.

Deuxième cas : Un professeur, deux sites.
Un enseignant donne le cours en deux sites, celui local et celui à distance où un autre enseignant (accompagnateur) est présent. Ici, c'est cet enseignant qui s'est plaint. Les groupes n'interagissent pas. Nous remarquons un souci pour la pédagogie employée. La technologie ne peut pas d'elle même construire l'enveloppe pédagogique nécessaire à l'apprentissage des étudiants. Elle n'est donc pas concurrentielle, mais pourrait ajouter à la pédagogie si les professeurs considéraient les caractéristiques particulières de la technologie employée.

Troisième cas : Trois professeurs, trois sites.
Ce cas nous intéresse particulièrement : le séminaire GPB est le seul cas où il est spécifié que l'usage de l'Internet et le présentiel sont aussi présents. Les dispositifs techniques ont été choisis en fonction des choix pédagogiques des trois professeurs impliqués. La technologie a donc joué un rôle plutôt complémentaire. Elle n'a pas concurrencé le présentiel qui était aussi présent.

Le premier cas ne faisait que copier un enseignement magistral sans autres considérations. Le deuxième rend compte de la nécessité de considérer les caractéristiques de la technologie employée puisque celle-ci sans déterminer la pédagogie en soi influence le déroulement des séances. Le troisième cas considère les avantages de la technologie (et les désavantages) en tentant de maximiser une pédagogie participative. Les acteurs échangent via l'usage de ces dispositifs. Une volonté à enrichir l'enseignement est présente et le fonctionnement de la technologie est observé.

Fonctionnement des choix technologiques durant le séminaire GPB
La vidéoconférence en RNIS (Réseau numérique avec intégration de services)
De courtes précisions sur le fonctionnement du dispositif de la vidéoconférence : "Le principe de la vidéoconférence consiste à faire circuler en temps réel sur un réseau des informations contenant principalement de l'image, du son, des données [...] Ces informations sont capturées par un ensemble de matériels périphériques (caméras, micros, etc.) puis, sont traitées et compressées par des composants appelés Codec (Codeur-Décodeur).[5]" Le Réseau Internet (IP, internet protocol) n'offre pas, pour l'instant, un débit garanti.
Pour une rencontre en trois sites (le cas du séminaire GPB), un Codec respectif est nécessaire ainsi qu'un RNIS central. Ce pont multipoint est une machine numérique qui reçoit le data et le distribue selon des protocoles d'image et de son. La distribution audio se mets en œuvre facilement. Pour la distribution vidéo, le son basculant l'image a été la solution utilisée. Lorsqu'une personne parle, son image est diffusée sur les autres sites. En retour, elle obtient l'image du dernier site qui a parlé. Le signal vidéo du site fournissant le signal audio le plus fort est distribué.
Pour la gestion de l'appareillage, la présence d'un technicien qualifié est absolument nécessaire. Une collaboration entre celui-ci et les étudiants, mais surtout avec le professeur (celui-ci ne peut pas tout gérer) permettra une meilleure opération du projet.

Netmeeting choisit au départ pour permettre le transport de documents et le partage de présentation Powerpoint sera très[6] peu utilisé puisqu'un des trois sites n'en fera pas usage.

La liste de discussion créée pour permettre une distanciation face au contenu des séances permettant un recul ainsi qu'une continuité entre les séances. Dans ce contexte international, elle a permis des échanges de documentation. Pas de protocole discuté puisqu'elle avait été créée pour le séminaire, les participants en tenaient compte. Liste fermée, c'est-à-dire à l'usage des participants du séminaire.

Le site créé pour offrir aux étudiants une banque de données et des informations additionnelles sur le cours. Un lieu de discussion, un chat, était possible, mais la liste, construite dès la troisième séance, s'avéra plus efficace. (Des difficultés dues au décalage horaire entre les pays, à l'accès à un ordinateur et au coût de connexion plus élevé en France ont été confirmées).

Les usages de chacun des dispositifs variaient selon le niveau d'accès des participants à cette technologie et aussi selon les caractéristiques propres de ces dispositifs techniques.

Les usages des dispositifs techniques
L'évaluation du projet GPB[7], sur l'usage des dispositifs techniques et sur le développement d'une pédagogie appropriée a été faite pour observer l'impact présent ou futur d'applications semblables en enseignement. Dans le cadre de cette étude, nous tiendrons compte surtout du rôle joué par ces dispositifs techniques et de leurs usages en ce séminaire où trois professeurs (un, en chaque lieu), trois universités, trois cursus constituaient le contexte au départ.

La vidéoconférence, pour résoudre le problème de la distance, est une technologie absolument nécessaire si cet objectif veut être rencontré. Les protocoles suivants ont été choisis par les professeurs :
-Protocole à partir de l'usage du dispositif du RNIS (on l'a vu, le son basculait l'image) ;
-Protocole à partir de l'usage pédagogique favorisé soit : une gestion pédagogique. Un tour alternatif des trois sites pour des périodes de question après chaque présentation a été instauré. Le rôle des professeurs en tant que modérateur (celui qui coordonne les échanges) ou co-modérateur (celui qui signale les demandes d'interventions en son site) s'est avéré essentiel.
Nous remarquons que même si la technologie de la vidéoconférence a servi à vaincre la distance physique (malgré les pannes techniques), les professeurs en instituant des échanges entre les trois groupes ont permis de contrer une certaine distance psychologique.

Nous constatons que le site avec tous ses services web et la liste de discussion demeurent accessoires puisque plusieurs étudiants n'avaient pas accès ou très peu à un ordinateur branché. Tout de même, les commentaires recueillis sur leurs désirs d'échanger tendent à annoncer que la liste de discussion pourrait devenir un lieu encore plus participatif. Différents types d'interventions sur la liste ont été possibles. Certainement, ceux-ci ajoutent au contenu du séminaire. La liste a parfois servi à compléter un aspect vu en séance. Un des professeurs a émis ce message : «Nous n'avons pas eu beaucoup de temps, hier, pour discuter de la politique concernant le développement de la société de l'information en Europe, ni de la comparer avec ce qui se passe au Québec et au Canada. Pour ceux que la question intéresse, je rappelle que la banque de données de notre site contient des références pertinentes sur le sujet.[8]» Loin de concurrencer le mode présentiel et le contenu du séminaire, le message de la liste permet de reconsidérer le contenu. Un autre exemple de complémentarité au niveau du contenu et aussi au niveau de l'échange, le message suivant d'un étudiant : « Le site du séminaire a été utile grâce à la richesse de ses liens. Il m'a permis également d'entrer en contact avec un étudiant de Grenoble s'intéressant également à la communication politique.[9] » Des liens, des échanges se font via la liste. Plusieurs échanges sont des offres d'informations liées directement au sujet du séminiare : Analyse comparée des politiques de culture et de communication. Quelquefois aussi des messages font référence à un contenu précis discuté en séance. La présence de ces échanges externes (en temps asynchrone) aux séances de vidéoconférence (en temps synchrone) nourrit le déroulement du séminaire. Ce qui motivait les étudiants[10] à participer sur la liste : 81% (21)[11], le contenu, 66% (21) ont trouvé l'intervention des autres étudiants motivante, 76% (21) ont trouvé que la possibilité d'échanger avec des étudiants de deux autres sites était stimulante. Pour le site web, 67% (21) ont trouvé que la banque de données était utile et 60% (23) auraient aimé le visiter plus souvent[12].

Concurrence ou complémentarité 
"Il arrive que des dispositifs techniques sont imposés aux enseignants. Ce qui rend les appropriations beaucoup plus difficiles. Et alors, la liaison ne se fait pas bien entre la technologie et la pédagogie. Un professeur passionnant mais inconfortable avec la technologie communiquera probablement moins bien avec ses étudiants. Ce n'était pas le cas ici[13]." Les professeurs ont expérimenté un modèle précis permettant de rencontrer leurs objectifs. Ils ont justifié la contribution du dispositif et défini son rôle. Ils ont réussi à enrichir l'offre pédagogique.

Les étudiants voudraient plus d'échanges entre eux et, entre eux et les professeurs, donc plus de temps de discussion en vidéoconférence. Il semble que c'est surtout en temps réel qu'ils désirent ces échanges : 90% (21) des étudiants ont apprécié la participation (interactivité dans son sens large : réponse, question, commentaire) des étudiants, 86% (21) les échanges entre professeurs et étudiants, 76% (21) entre professeurs et, 86% (22) ont apprécié l'usage de la technologie. "Travailler avec les autres, acquérir de l'autonomie, l'un ne va pas sans l'autre. [...] Ce n'est pas juste le plaisir d'échanger qui est présent. Les étudiants gagnent, d'après eux, non plus seulement au niveau du contenu mais aussi au niveau d'une qualité d'apprentissage social et personnel[14]."
Ce que nous retenons principalement est cette volonté de la part des étudiants à vouloir participer aux échanges. Nous croyons que la présence des professeurs, un en chaque site, a permis de les intégrer à cette dimension participative. Les dispositifs techniques, la liste et le site web, ont ajouté à cette possibilité. Leurs potentiels respectifs ont été reconnus par les acteurs. "L'innovation sociale (pédagogique, organisationnelle) est encore nécessaire et plus difficile à réaliser que l'innovation technique[15]." C'est à plusieurs niveaux : culturel, organisationnel, économique, social et technique que s'inscrit le séminaire GPB. Une organisation à la fois pédagogique (on l'a vu dans la gestion structurelle des séances) et à la fois sociale (trois groupes échangent) a été concrétisée en ce séminaire expérimental.

Nous croyons qu'il faut considérer la CMO en tant que possibilité, c'est-à-dire qu'au même titre qu'une communication en présentiel, la communication médiatisée par ordinateur n'est pas garantie. Au sein d'expérimentations en enseignement, tel le séminaire GPB, il faut reconnaître les avantages de la technologie et ses limites. Ce faisant, il devient possible de concevoir de nouveaux modèles d'enseignement en exploitant les possibilités techniques pour servir une pédagogie appropriée permettant de maximiser l'apprentissage de l'étudiant. Le modèle expérimenté au sein de GPB est différent des modèles existants. Il est particulier à un contexte déterminé. La qualité de l'environnement des étudiants a été favorisée par la longue et étroite collaboration des professeurs impliqués qui ont bien orchestré les liens entre la technologie et la pédagogie.

Nous concluons que la CMO au sein du séminaire expérimental GPB :
-Ajoutait des usages nouveaux à un enseignement traditionnel en présentiel ;
-Ces usages étaient reliés au contenu du séminaire ;
-Un aspect de complémentarité était présent via la liste et le site web (échanges asynchrones, informations disponibles, etc.) ;
-La vidéoconférence a permis les échanges de trois groupes en trois lieux. Ce qui n'est pas peu dire : à partir de cette possibilité seulement, d'autres considérations technologiques ou pédagogiques ont été considérées.

Au-delà de cette complémentarité, nous ne constatons aucune concurrence au présentiel puisque que celui-ci était fortement présent (présentations des professeurs, présentations des étudiants, périodes de questions). Nous observons par contre un éveil vers de nouvelles possibilités dans les usages de la CMO en enseignement. Sans négliger la qualité d'un enseignement en présentiel, mais plutôt en ajoutant des usages pertinents à celui-ci (tout en rendant possible des échanges académiques à distance) ; nous croyons que la CMO a permis ici de considérer l'expérience pédagogique de façon différente. Toutefois, la réflexion créative chez les participants demeure essentielle pour bien cerner les besoins et les particularités de situations spécifiques.



[1] Le projet GPB est un séminaire à distance expérimental entre Grenoble, Montréal et Paris. Ce séminaire était offert, en hiver 2000, à des étudiants au doctorat à Montréal et, en France, à des étudiants au DEA. Une évaluation fut ensuite complétée pour l'été 2000 et un rapport présenté : Tremblay, Gaëtan et Claire Roberge, Le projet GPB : séminaire à distance expérimental entre Grenoble, Montréal et Paris, de janvier à avril 2000, Université du Québec à Montréal, septembre 2000, 65 p.
[2] Le terme vidéoconférence est d'usage au Québec. En France, le terme visioconférence est utilisé.
[3] Les cas suivants ont été retenus du rapport mis en ligne (www.educnet.education.fr/) par le ministère de l'éducation en France : Ologeanu, Roxana, Usages de la visioconférence dans l'enseignement supérieur, Educnet, septembre 2000, 103 p.
[4] Ibid, p. 14.
[5] Groupement d'intérêt scientifique, enseignement supérieur sur mesure médiatisé, La visioconférence : usages, stratégies, moyens, juin 2000, GEMME, p. 29
[6] Netmeeting fut utilisé durant la première séance. Par la suite, son usage fut interrompu.
[7] Tremblay, Gaëtan et Claire Roberge, Le projet GPB : séminaire à distance expérimental entre Grenoble, Montréal et Paris, de janvier à avril 2000, Université du Québec à Montréal, septembre 2000, 65 p.
[8] Ibid, p. 44.
[9] Ibid.
[10] 23 étudiants ont répondu aux questionnaires de l'évaluation sur un total approximatif de 30-35 étudiants. (Le séminaire étant facultatif à Grenoble, le nombre de participants y fluctuait.)
[11] Le chiffre entre parenthèse à côté du pourcentage est celui du nombre réel de répondants sur les 23 étudiants ayant répondu aux questionnaires. Le pourcentage est calculé à partir de ce nombre réel.
[12] Beaucoup d'autres données et commentaires de l'évaluation sont disponibles dans le rapport pour les intéressés. Le rapport est disponible via le site du Gricis à l'adresse suivante : www.uqam.ca/gricis
[13] Tremblay, Gaëtan et Claire Roberge, Le projet GPB : séminaire à distance expérimental entre Grenoble, Montréal et Paris, de janvier à avril 2000, Université du Québec à Montréal, septembre 2000, p. 63.
[14] Ibid, p. 36.
[15] Groupement d'intérêt scientifique, enseignement supérieur sur mesure médiatisé, La visioconférence : usages, stratégies, moyens, juin 2000, GEMME, p. 41.