Actes du colloque
La Communication Médiatisée par Ordinateur : un carrefour de problématiques
Université de Sherbrooke, 15 et 16 mai 2001

Affordances et artefacts communicationnels: application de la « thérapie brève » de P. Watzlawick aux communications médiatisées par ordinateurs

Jean Jacques Devèze
CRIC (Centre de Recherche en Information et Communication), Université de Montpellier I

Introduction

“ Neutre, mais pas innocente ! ” Chacun s'accordera à reconnaître dans cette formule de Balle [1] à propos des nouvelles technologies informatiques les termes d'une antinomie sémantique. Comment en effet satisfaire à un principe de neutralité et exercer tout à la fois une influence allant dans le sens d'un arbitrage d'arrière plan ? Cette définition paradoxale qui n'est pas sans rappeler le célèbre paradoxe d'Epiménide [2], caractérise particulièrement bien selon nous l'approche de ces objets “ intelligents ” qui peuplent désormais nos environnements de travail. Il est en effet fréquent d'aborder les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC) dans leur dimension purement utilitaire en les réduisant à un statut de chose inerte. Ce sont des analyses d'impacts qui traitent sous cet angle des questions relevant de la problématique générale du changement dans les organisations. Et cette réduction s'observe non seulement dans le contexte des usages mais aussi sur le plan théorique et conceptuel.

La problématique de l'opposition : matérialisme, symbolisme

Lorsqu'on aborde l'étude de la communication, il n'est pas difficile d'admettre selon une logique “ spontanée ” que les diverses formes du lien social puissent être médiatisées par les objets en général. Dans cette optique, on parle alors d'une communication qui se fait par l'entremise des technologies informatiques. Cette entremise véhicule avec elle une idée de non-imposition permettant une articulation entre deux individus.
Il est en revanche “ plus difficile d'accepter l'idée qu'une relation “humaine” puisse s'établir avec une machine ou un objet ” [3]. Comment concevoir en effet qu'une relation au sens anthropomorphique du terme puisse s'établir avec un ordinateur ? Chez l'homme, la “ pensée magique ” qui consiste à prêter une intention aux objets cède précocement la place à une raison instrumentale plus compatible avec les paradigmes dominants qui guident notre lecture naïve du monde. Pourtant et encore une fois paradoxalement, lequel d'entre nous ne s'est-il pas adressé à sa machine comme à un alter ego à l'occasion de ces petites tracasseries que la technologie réserve à ses adeptes ? Qui n'a pas eu la sensation de “ réaction logicielle ” due aux composantes technologiques du marquage de l'interactivité ? En fait, le risque avec la machine comme le souligne Tisseron est que “ plus elle devient techniquement autonome et plus nous courons le risque de lui accorder aussi l'autonomie des intentions ” [4]. Les enfants quant à eux ne s'y trompent pas. L'ordinateur “ animé ” d'une intention est à ce titre bien plus qu'un instrument. Il est un véritable partenaire à qui l'on fait faire, autant qu'il fait faire certaines choses.
Cette ambivalence qui caractérise la relation d'usage avec les technologies informatiques correspond, sur le plan théorique, à une problématique ancienne et récurrente qui depuis Simondon [5] est celle du statut des objets techniques. La difficulté réside dans l'habitude qu'on a de considérer les objets comme appartenant au monde objectif. Ce qui gêne, c'est la coupure épistémologique qui existe entre l'objectif et le social (sciences exactes vs. sciences humaines) et qui conduit à des inductions théorisantes différentes [6]. Comme nous en avertit Latour, “ L'oubli des artefacts (au sens de choses) a créé cet autre artefact (au sens d'illusion) : une société qu'il faudrait faire tenir avec du social ” [7]. C'est pourquoi la plupart du temps, les artefacts ne nous apparaissent que selon trois modes : l'outillage pour la transmission fidèle de l'intention sociale, le substrat technique pour la constitution des structures et enfin l'écran pour le signe. Ecoutons à nouveau l'auteur nous avertir de la portée de cette attitude épistémologique : “ esclave, maître, support de signe, dans les trois cas, les objets demeurent invisibles, en tous les cas asociaux, marginaux, impossibles à engager finement dans la construction de la société ” [8].
Or il est presque impossible à notre époque “ technologies nouvelles ”, de reconnaître une interaction qui ne ferait pas appel à une technique. Il nous faut admettre le rôle des objets dans le tissage de la vie sociale ce qui implique d'abandonner nos attitudes scientistes. L'interaction est cadrée chez les humains justement par un cadre fait d'acteurs non-humains. Ce point de vue est précisément celui de la sociologie des sciences et des techniques ; pour tenir compte à la fois de l'interaction et du système, il faut englober les objets.
De nombreuses autres approches tentent également de sortir de ce que Latour a pour sa part appelé le “ grand partage ”. Sans prétendre à l'exhaustivité, signalons différents domaines théoriques qui se sont exprimés à ce propos : la philosophie (G. Simondon, G. Deleuze, B. Stiegler, P. Levy), la psychanalyse (S. Tisseron), la sémiotique, l'anthropologie, l'écologie cognitive (C.S. Pierce, A. Semprini, G. Bateson), la sociologie des sciences (B. Latour, M. Callon), les sciences de la cognition (J.F. Varela), la cognition distribuée (E. Hutchins, D. Norman). Globalement, il s'agit du refus de considérer le sujet indépendamment de l'objet. Pour aller vite, disons simplement que cette vision constructiviste est scellée par l'hypothèse phénoménologique selon laquelle “ le sujet ne connaît pas de “choses en soi” (hypothèse ontologique) mais il connaît l'acte par lequel il perçoit l'interaction entre les choses ” [9]. Ainsi selon un processus récursif, l'objet est constituant des rapports entre les hommes autant que ceux-ci le constitue.
Ces propos révèlent tout l'intérêt que nous portons aux objets dans cette perspective au-delà de leur dimension utilitaire qui comme l'explique Tisseron [10], vient souvent au détriment de l'étude de “ la proximité essentielle qui nous lie à eux ”. Toutefois, cette attention ne concerne pas tous les objets de notre environnement quotidien mais plus précisément l'ensemble des technologies encore couramment désignées par le vocable de “ groupware ”.

Le Groupware comme objet centré de recherche

Nous entendons par “ groupware ”, les technologies informatiques (messagerie électronique, forums, agenda électronique, etc.) et les méthodes de travail associées qui permettent à des individus engagés dans un travail collaboratif de partager de l'information sur un support numérique pour d'atteindre des objectifs communs [11]. Ce travail collaboratif s'effectue soit en temps réel (modalité synchrone), soit en temps différé (modalité asynchrone). La caractéristique principale de cette situation de travail médiatisée par ordinateur est qu'elle permet à des partenaires distants de s'affranchir des contraintes d'espace et de temps.
Notre étude a porté sur le cas du déploiement dans un établissement industriel d'un de ces outils qui se réclament des produits du groupware. Il s'agissait d'un dispositif de Gestion Electronique Documentaire (GED) orienté vers les échanges asynchrones.
Bien plus qu'une technologie qui doit être maîtrisée, le groupware recouvre aussi une dynamique humaine et organisationnelle puisqu'il présuppose des méthodes de travail associées et se met au service de processus communicationnels. Comme le précise Le Bœuf dans l'introduction d'un ouvrage consacré à ces dispositifs, “ ce qui nous intéresse ici, c'est précisément le croisement des deux dimensions révélateur d'interactions entre les acteurs susceptibles d'éclairer de façon innovante nos problématiques en Infocom ” [12]. En effet, l'introduction d'un élément nouveau dans une organisation envisagée comme un système produit des changements puisqu'il modifie les relations entre acteurs. Les modes d'expression, les manières de penser du personnel évoluent au sein d'un système socio-technique où paradoxalement les NTIC séparent autant qu'elles rassemblent. Toutefois, ces technologies collaboratives consolident le social dans la mesure où les individus sont séparés dans le temps et dans l'espace encore plus radicalement que par toute autre composante de leurs interactions au quotidien. En permettant une articulation du social et du cognitif, ce sont elles qui font tenir au sens employé par Latour. Elles sont en effet susceptibles de générer des jeux relationnels qui naissent et se développent dans un espace public de coopération et de compétition. La technologie, a fortiori les technologies informatiques, impose de nouvelles formes de relations que l'on peut aborder à la lumière des concepts de la complexité en lieu et place de certains principes et modèles positivistes encore utilisés.
L'analyse du développement technologique et de son impact dans l'entreprise passe donc de ce point de vue par la compréhension des interactions, des contradictions, des paradoxes, etc. qui s'établissent dans les collectifs de travail. Le tissage des représentations de la nouvelle situation par les acteurs conduit finalement à la construction collective du sens qui constitue le fondement des décisions et des actions. C'est pourquoi, le paradigme de la complexité constitue le cadre de référence épistémologique, théorique et conceptuel qui convient à une lecture communicationnelle de ces phénomènes. En nous réclamant de la systémique et du constructivisme, deux théories fondamentales de notre discipline, nous avons travaillé selon un modèle hypothético-déductif de recherche.
Notre hypothèse de travail s'adosse aux différents courants de recherche en rupture épistémologique avec ceux qui abordent les nouvelles technologies dans leur dimension purement utilitaire. En abordant la GED comme un médiateur, nous avons cherché à examiner jusqu'à quel point cet outil inséré dans un système socio-technique remplit le rôle d'un thérapeute. Pour cela, notre travail s'est principalement nourri d'une part, des problématiques de l'action située, avec en particulier celles de la cognition distribuée et des artefacts cognitifs et d'autre part, de la théorie de l'intervention systémique développée par les membres du Centre de Thérapie Brève de Palo Alto.

Cadre conceptuel

Pourquoi peut-on dire en général des technologies informatiques collaboratives qu'elles sont au cœur de l'évolution des organisations ? L'examen rapide de cette question permettra de comprendre en quoi la conception et l'implantation du dispositif étudié s'inscrivent dans une démarche managériale de rationalisation.

1. Une démarche managériale de rationalisation

Des pressions socio-économiques, de nouveaux modes d'organisation et de management, et le développement des technologies informatiques communicantes sont autant de facteurs qui permettent de considérer le groupware comme un véritable bras de levier du changement [13]. De fait, il y a convergence des outils collaboratifs et des méthodes de management dans un contexte propice au changement. De nombreux auteurs montrent dans quelle mesure les NTIC s'insèrent dans une logique de reconfiguration des organisations. Il apparaît que les outils du groupware et les nouveaux concepts du management se conjuguent pour faire émerger un nouveau modèle d'organisation en réseau. Ces évolutions marquent en même temps un renouvellement des principes du management. Ainsi, à la vision des “ 3S ” (stratégie, structure, système ; mots clés associés aux principes du management scientifique), se substitue selon Ghosal et Bartlett, la vision des “ 3P ” (projet, processus et personne) qui constitue le cadre de référence actuel des activités de management [14]. L'individu et le groupe sont replacés dans cette perspective au centre des préoccupations managériales.
Alimentant la synergie liée à la gestion de l'information numérique, le groupware contribue ainsi pour une large part dans ce contexte au fait que la communication informationnelle soit devenue “ une nécessité concurrentielle plutôt qu'un avantage ” [15]. L'information envisagée comme une composante essentielle des processus de management vient d'ailleurs étayer le point de vue de Levan et Liebmann pour lesquels tout projet de groupware est avant tout un projet de management [16]. Pour les sciences de gestion, la problématique générale de l'adaptation des entreprises à l'implantation des technologies informatiques dans leur système de communication et de relations de travail doit être examiné sur la double dimension organisationnelle et stratégique du management [17]. Or, comme le rappelle Le Bœuf, “ l'intégration des NTIC dans les entreprises ne pose pas essentiellement un problème d'investissement mais bien plus celui de l'organisation du travail ” [18].
Il n'en demeure pas moins que pris dans ces évolutions, l'outil étudié correspond à un effort de rationalisation de l'organisation par les acteurs du management. À ce titre, il n'est pas “ innocent ” car il soutient une démarche générale d'incitation à de nouvelles formes d'échange et de partage de l'information. Nous avons travaillé dans ce sens en considérant que cette finalité managériale n'est pas strictement médiatisée sur le plan formel mais immanente au dispositif. Celui-ci incorpore ainsi certaines possibilités et certaines contraintes qui s'exercent sur les activités auxquelles il est dédié.
Ce sont les travaux de l'anthropologie cognitive qui viennent étayer cette conception d'un dispositif qui exerce des opérations dépassant le seul registre de la médiatisation de l'information habituellement considéré. Le dispositif étudié est défini dans un premier temps comme un artefact cognitif et communicationnel en référence à l'approche anthropocentrique des objets techniques. Il est traité conceptuellement dans une perspective interactionnelle et systémique compatible avec le paradigme de la complexité.

2. Le Groupware : un artefact communicationnel

Les conceptions qui accordent le primat à l'analyse du système technique et relèguent les activités de l'homme à une place “ résiduelle ” sont qualifiées par Rabardel d'approches “ technocentristes ” [19]. L'auteur plaide en revanche pour un renversement de point de vue dit “ anthropocentrique ” où ce sont les systèmes techniques qui sont pensés en référence à l'homme. Partir de cette conception anthropocentrique permet d'inscrire le groupware dans une perspective interactionnelle et systémique et d'aborder l'étude des faits techniques dans leur dimension communicationnelle. En effet, le groupware n'agit pas seul. Il s'insère dans un système d'interactions multiples entre les utilisateurs, les composantes physiques de l'environnement et les caractéristiques du dispositif, soit un système socio-technique.
Norman pour qui notre manière d'interagir avec la technologie ne diffère pas fondamentalement de nos interactions habituelles avec l'environnement, définit les objets physiques qui nous entourent comme des artefacts cognitifs pour souligner leur implication dans le traitement de l'information. Un artefact cognitif est pour lui “ un outil artificiel conçu pour conserver, exposer et traiter l'information dans le but de satisfaire une fonction représentationnelle ” [20]. Selon cette définition, l'homme trouve dans la machine un prolongement de ses capacités intellectuelles. Les technologies collaboratives ont des mémoires externes qui dans ce sens agissent comme un amplificateur du potentiel intellectuel. Mais elles intensifient aussi la communication, structurent l'interaction humaine et modifient les modes de gestion de l'information. Aussi, afin de souligner l'implication des artefacts dans les processus de communication, avons nous choisi de désigner par l'expression “ artefact communicationnel ” [21] le dispositif de groupware par lequel le gestionnaire met en œuvre une technique managériale.
C'est dans le cadre de référence composé de l'approche cognitive des artefacts, des théories de la cognition distribuée et de l'analyse des objets que vient ensuite s'ancrer l'idée d'une capacité d'action du dispositif.

3. Le Groupware “ porteur ” de cognitions

La prise en compte de la situation s'avère déterminante pour l'analyse et la compréhension des interactions relayées par des artefacts communicationnels. C'est pourquoi notre lecture du dispositif se réfère aux travaux qui s'inscrivent dans le paradigme de l'action située. C'est plus particulièrement la théorie de la cognition distribuée qui nous permet de soutenir l'assertion selon laquelle les finalités managériales sont immanentes au dispositif et non pas simplement instrumentalisées ou “ médiatisée ” par l'outil de groupware.
Rappelons que les “ situationnalistes ” (action située et cognition distribuée) proposent un modèle alternatif aux théories du “ plan ” qui tendent à réduire l'action à un calcul de l'individu indépendamment de son environnement. Il s'agit du paradigme de l'action située qui considère l'action comme le produit et le processus d'une adaptation permanente aux circonstances, contingences et configurations de l'environnement. Ainsi comme le précise Quéré, “ dire de l'action qu'elle est située, c'est souligner la contribution de la situation et de l'environnement à sa détermination ” [22]. Dans cette perspective, l'action s'effectue selon une problématique de l'économie cognitive dans la mesure où elle ne serait pas réalisable si elle était supportée par le seul esprit humain. La cognition est dès lors envisagée comme une propriété du système où elle est “ distribuée ” et dont le siège est non seulement l'individu mais aussi les composantes physiques de l'environnement.
Ainsi dans notre recherche, la cognition qui sous-tend les activités d'échange et de partage de l'information est le fait d'un système composé par les membres du collectif de travail et par les caractéristiques de la GED. Il y a à la fois prise en charge active d'une partie du travail cognitif et ouverture à des modalités interactives qui permettent la réalisation collective de ces activités. Quelle est la nature de cette “ prise en charge ” ?

4. La nature performative du Groupware

Qu'un “ artefact fasse faire des choses aux opérateurs humains qui l'utilisent, et en un sens contrôle leurs actions ” [23] apparaît aujourd'hui peu contestable pour les théoriciens de l'action située et de la cognition distribuée où l'acteur partage des caractéristiques relationnelles avec les objets, les outils et les artefacts. En tout cas, il est d'autant plus malaisé de soutenir un discours “ technocentré ” que d'aucuns reconnaissent aux technologies informatiques “ une capacité d'action autonome et une véritable force sociale ” [24]. Il est ici fait référence au courant de l'analyse des outils et des objets qui reconnaît une “ agentivité ” aux artefacts.
Cette problématique de l'agentivité nous conduit à ne plus distinguer le dispositif technique étudié des autres acteurs du système. C'est le point de vue de Hutchins [25] pour qui par exemple il convient de ne pas créditer l'artefact d'un statut différent de celui de l'individu lui-même. Encore plus radicale à cet égard, la sociologie des sciences et des techniques fait appel au concept sémiotique d'“ actant ” [26] pour réduire les différences entre humains et non humains autorisant ainsi des transferts de propriétés de nature relationnelle entre les éléments constitutifs d'un système socio-technique [27]. On parle alors de capacités au sens anthropomorphique du terme.
Il s'agit là d'une conception qui dépasse le registre de la médiatisation de l'information habituellement considéré. L'outil est donc le siège d'opérations et de contraintes. En quelque sorte, il accompagne et oriente l'utilisateur dans ses activités relatives à l'échange et au partage de l'information. Ce potentiel performatif s'applique aux activités pour lesquelles il a été conçu et mis en place (possibilités, impossibilités, obligations, prescription de modes opératoires, suggestion...). Pour parler de cette capacité potentielle, nous avons emprunté le concept d'“ affordance ” à la théorie de la perception de Gibson [28]. L'environnement comporte certaines propriétés qui ne se trouvent pas dans le monde physique en tant que tel. Gibson nomme “ affordances ” [29] ces propriétés significatives que l'environnement offre au sujet. Ce qui veut dire en d'autres termes que les choses de l'environnement nous fournissent des occasions d'interaction. Certains outils par exemple comme ceux du groupware se prêtent au travail coopératif. Ils sont les dépositaires d'un potentiel d'interaction qui est liée à l'intentionnalité du concepteur. En ce sens et sous certaines conditions, ils offrent des occasions d'accès à la communication de groupe potentiellement interprétables par les utilisateurs.
La présomption d'un tel potentiel de suggestion ou d'inhibition de certains types d'actions (cognitives ou conatives) nous a conduit à aborder l'artefact communicationnel comme un thérapeute. C'est la proposition principale qui sous-tend notre approche. Le groupware est dans une position de régulation tout comme l'est l'intervenant dans la thérapie brève de Palo Alto. Les prémisses épistémologiques qui fondent la méthode montrent dans cette perspective l'intérêt du modèle de l'intervention systémique comme cadre conceptuel transposé au cas de la médiation technologique.

5. Le Groupware : un “ thérapeute hors du commun ! ”

Les applications résolument thérapeutiques des concepts de l'approche interactionnelle et systémique imposent tout d'abord leur originalité dans le champ de la thérapie familiale [30]. Par la suite, les travaux du Centre de Thérapie Brève s'orientent sur une pratique du changement et de la résolution de problèmes. Par essence, la thérapie brève vise à changer non pas la personne mais les interactions et les relations qu'elle entretient avec son environnement. Ce souci d'efficacité conduit progressivement l'équipe à apurer le cadre théorique de l'analyse systémique en mettant l'accent sur les stratégies et les techniques d'intervention du thérapeute. C'est bien cette visée interactionnelle et stratégique du changement qui caractérise sans doute le mieux cette approche thérapeutique dite “ thérapie brève ”.
Rappelons en les principes essentiels. Tout d'abord, elle s'applique dans le cas de problèmes récurrents et persistants. Pour qu'il y ait un problème récurrent, il faut qu'un individu essaie une solution raisonnable qui ne marche pas (les tentatives de solution). Le problème n'étant pas résolu, l'individu continue alors d'appliquer le même pattern de ces essais infructueux dans son système relationnel. C'est ce processus composé d'une série de rétroactions positives qui provoque l'expansion ou la régression constante de la transformation souhaitée. Ce sont donc les solutions tentées qui d'un point de vue systémique, deviennent et/ou maintiennent le problème récurrent. Pour le résoudre, il faut par conséquent corriger la solution. C'est en s'appuyant sur ces principes et une démarche structurée que le thérapeute par ses interventions de régulation s'efforce d'atteindre un objectif minimal défini au préalable avec son client comme premier signe de progrès.
Dans la lignée des travaux précurseurs, les membres l'Institut Grégory Bateson [31] développent un modèle et un schéma directeur de l'intervention qui constituent de solides avancées théoriques et pratiques [32].
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Ce modèle comporte deux circuits interactionnels : celui des interactions de l'individu (I) avec son environnement (E) et celui qui concerne les interactions de (I) avec le thérapeute (T). L'adjonction d'une deuxième boucle de régulation permet de situer l'intervention du thérapeute à deux niveaux :
Cette trame conceptuelle ainsi transposée à la situation étudiée permet d'établir une quasi-identification théorique de l'artefact cognitif et communicationnel au thérapeute. L'utilisateur interagit avec l'artefact qui occupe la place du thérapeute dans le modèle de référence. Le modèle de la thérapie brève et les interventions de régulation qu'exerce le thérapeute mettent en relief la problématique des formes de médiation qui engagent les nouvelles technologies dédiées au travail collectif dans les activités liées à l'échange et au partage de l'information. Dans cette perspective, l'outil n'est pas considéré comme un simple intermédiaire, sorte d'interface passive ou de nouveau filtre technologique venant s'interposer entre les membres du réseau des utilisateurs. Rejoignant en cela les précisions que nous avons apportées et les propos de Rabardel sur le statut de l'artefact, nous pensons que le dispositif étudié exerce un véritable travail social, un travail thérapeutique sur le système socio-technique étudié.

6. Les affordances particulières de l'artefact communicationnel

La stratégie globale d'un thérapeute consiste à faire en sorte que le patient retrouve par lui-même des moyens de régulation. Les principales techniques d'induction du changement utilisées sont le recadrage et la prescription comportementale qui s'accordent selon nous aux spécificités de la médiation technologique et correspondent plus précisément aux affordances particulières de l'artefact communicationnel.
Un recadrage consiste modifier les représentations que se font les individus de la situation. Cette tactique relationnelle agit sur leur vision du monde qui comme nous le précise Mucchielli [34], désigne la manière dont les individus interprètent le système d'interaction dans lequel ils se trouvent. La prescription de symptôme est par ailleurs une des techniques paradoxales privilégiées de l'intervention systémique en raison du rôle déterminant que jouent les paradoxes dans la genèse et la résolution des problèmes de communication. Le symptôme est défini comme “ un segment de comportement spontané, si spontané en fait, que le patient lui-même l'éprouve comme quelque chose qu'il ne peut maîtriser ” [35]. Or la nature spontanée de certaines conduites qui par définition sont incontrôlables, disparaît dès lors que leur accomplissement est volontaire. Considérant ces deux points et comme le pense Watzlawick dans ce cas précis, “ l'intervention thérapeutique appropriée consiste donc à prescrire le symptôme et non à le combattre comme d'habitude nous le tentons ” [36]. En l'incitant à se comporter comme il le fait déjà, le patient se trouve par conséquent pris dans un paradoxe du type “ soyez spontané ” [37]. Le principe même de la prescription de symptôme consiste à amener de cette manière le patient à faire l'expérience d'un autre modèle d'interaction avec son environnement.
L'objectif de ces interventions de régulation est donc d'agir sur la perception sélective [38] des composantes de la situation et des phénomènes de communication. Il s'agit de modifier les boucles cognitives et comportementales qui maintiennent le problème. Ce processus de perception sélective nous renvoie dans le cas de la médiation technologique à la question centrale des affordances particulières de la GED. C'est la perception des utilités communicationnelles du dispositif qui est susceptible d'induire un changement. Le recadrage et la prescription comportementale sont selon nous les deux processus majeurs de régulation qui fondent le mécanisme même de ces affordances. En d'autres termes, disons donc que ces affordances résident dans le potentiel de recadrage et de prescription comportementale de l'artefact communicationnel étudié.
À la fois portée par les intentions managériales, signifiée par les fonctions et les affordances de l'outil, la nature incitative à mieux communiquer du dispositif managérial correspond à une injonction paradoxale. Cette forme de médiation a par ailleurs la particularité de s'exercer dans le contexte particulier d'une autonomie contrôlée.

7. Le dilemme de l'aide ou du contrôle dans le cas de l'artefact communicationnel

La thérapie brève se déroule parfois dans des contextes où le thérapeute travaille en même temps “ au service de... ” et “ pour le compte de... ”. Les membres de l'IGB parlent alors d'aide sous contrainte pour souligner le caractère paradoxal de cette situation qui confère à l'intervenant un statut “ d'agent double ” [39]. Par essence, la thérapie brève est en effet non normative. C'est le patient qui a la charge de la définition du problème et des objectifs du changement. Or dans le cas de l'intervention sous contrainte, ceux-ci proviennent d'une autorité extérieure, le problème du thérapeute étant à ce moment-là de savoir se situer entre l'aide et le contrôle.
La médiation artefactuelle s'inscrit de la même façon dans le cadre normatif du projet de management. La définition de la problématique générale et des enjeux auxquels répond la GED proviennent ici aussi d'une autorité extérieure. L'artefact communicationnel est ainsi à la fois moyen de rationalisation de l'information et instrument de régulation orienté vers l'aide et la résolution de problèmes. Les utilisateurs se voient par conséquent contraints de recourir spontanément à lui dans leurs activités relatives à l'échange et au partage de l'information selon une approche normative de la coopération.
Ainsi placé entre l'aide et le contrôle, la double identité de l'artefact nous conduit à le considérer comme intervenant sous contrainte. Ce faisant, l'artefact communicationnel tend à définir les contours d'une autonomie contrôlée. Cette dialectique de l'aide et du contrôle étant l'essence même de la médiation artefactuelle, la question essentielle est de savoir dans ce cas là comment se joue sur le plan cognitif et pragmatique le dilemme de l'aide ou du contrôle. Le mandat de l'artefact prend toutefois tout son sens en considérant comme le font Seron et Wittezaele que “ travailler à augmenter la diversité des conduites qui permettront aux personnes de satisfaire aux contraintes, peut participer d'une démarche thérapeutique ” [40].

Méthode d'observation et d'analyse des jeux d'interactions

Nous avons appliqué ce cadre conceptuel à l'étude d'un dispositif de GED qui recouvre un ensemble de techniques d'échange et de partage de données numériques implanté dans un grand établissement sidérurgique.
Prax définit la GED comme “ le regroupement d'un ensemble de techniques et de méthodes qui ont pour but de faciliter l'archivage, l'accès, la consultation, la diffusion des documents et des informations qu'ils contiennent ” [41]. Par ailleurs, l'examen systématique de la nature des technologies de l'information anciennes et actuelles conduit Yates et Benjamin [42] à mettre en évidence leurs quatre grandes caractéristiques fonctionnelles. Ces fonctions génériques de conversion, de stockage, de traitement et de communication correspondent généralement, comme le montrent Levan et Liebmann [43], aux principales fonctionnalités d'un dispositif de GED. Les opérations de conversion s'attachent en entrée comme en sortie à rendre l'information compatible avec l'équipement et accessible aux utilisateurs. La fonction de stockage quant à elle doit garantir à la fois la mise en sécurité de l'information et en faciliter l'accès. Enfin, les opérations de traitement correspondent à la manipulation des documents tandis que la fonction de communication recouvre des options de transmission de l'information d'un lieu à un autre. Sur le plan pratique, il s'agit d'un outil de type bureautique totalement intégré aux outils standard (Word, Excel, PowerPoint, etc.) qui permet de classer, rechercher, partager et échanger des documents à partir de tout poste de travail micro connecté au réseau bureautique de l'entreprise.
Les prémisses du paradigme de la complexité ont été les principes de référence pour analyse en compréhension des phénomènes de communication. Du point de vue de l'observation et de l'analyse de ces phénomènes, nous avons tenu compte des préconisations de Mucchielli qui consistent à privilégier cinq concepts : l'interaction, le cadrage, la causalité circulaire, l'homéostasie et le paradoxe [44]. Ces références théoriques et conceptuelles pour la définition d'un système d'interactions font de l'analyse des jeux le phénomène majeur à observer. L'auteur propose dans cette perspective le schéma directeur d'une méthode d'analyse systémique que nous avons appliqué au cas étudié[45].
Cette méthode insiste sur la forme des échanges. Il s'agit pour le chercheur de se centrer sur l'observation des relations en tenant compte du contexte dans lequel les phénomènes se produisent. Le repérage des actions et des comportements récurrents permet d'inférer certaines “ lois ” de ce système d'interaction particulier. Il appartient au chercheur de décider à quelle catégorie générale se rapportent les différentes manifestations interactionnelles et de relever les communications implicites. L'effort de modélisation du “ jeu ” s'achève par une représentation graphique des échanges et un commentaire qui dans le cas des communications organisationnelles permettra de comprendre autour de quelle valeur émergente s'organise la dynamique générale du jeu.
En accord avec ces principes théoriques et méthodologiques, nous avons eu recours à des techniques d'entretiens et d'observations pour étudier le système des interactions.
Une phase exploratoire a permis de reconnaître le stade avancé des relations d'usage au sein d'un département pilote pour l'implantation du dispositif. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de centrer et de délimiter le recueil des données à cette seule entité de l'entreprise. Dix entretiens de recherche ont ensuite été réalisés auprès différentes catégories d'acteurs : hiérarchie (chef de service ou adjoint), collaborateurs utilisateurs de la GED (agents travaillant à la journée ou en postes). La représentation des différentes positions à l'égard de l'outil a également été recherchée dans la construction de l'échantillon (réfractaires, enthousiastes et modérés). Ces entretiens ont été complétés par des observations sur site et une analyse de la documentation afférente au déploiement du dispositif (projet d'entreprise, procédures qualité, plaquettes d'informations, supports de formation, manuel d'utilisation, étude d'impact réalisée en interne).
Globalement, pour ce qui est de la spécification des formes de la médiation exercées par l'artefact, notre démarche a été essentiellement inductive. C'est à partir de l'analyse des manifestations systémiques de l'instrumentation que nous avons explicité le système des relations et inféré l'existence des différents processus de régulation thérapeutique au sein du système socio-technique.

De la raison des effets aux effets de la raison instrumentale

Nous avons mis en évidence trois sous-systèmes de relations : le sous-système des communications managériales, celui des relations d'instruction et d'exécution et enfin celui des relations avec l'artefact. L'explicitation de ces jeux d'interactions montre que les problèmes analysés à un niveau coexistent analogiquement aux autres niveaux selon un principe d'homologie [46] dans la mesure où ils s'inscrivent dans un même système de contraintes organisationnelles. En ce sens, le tout et ses parties subissent les mêmes contraintes systémiques.

1. Le sous-système des communications managériales

Le regroupement des entités formant ce sous-système est le principal vecteur du projet de rationalisation de l'organisation. On y observe toutes les caractéristiques d'une “ technique managériale ” au sens donné par Hatchuel [47] à propos des projets de systèmes experts. Le cadre conceptuel proposé par l'auteur permet de caractériser “ la nature commune à toutes les vagues de rationalisation et de ce fait aux techniques managériales ” [48] selon trois éléments : un substrat technique, une philosophie gestionnaire et une vision simplifiée des relations organisationnelles. Hatchuel considère que “ chacune des techniques managériales est un conglomérat singulier, constitué par spécification de chacun de ces trois éléments ” [49]. Nous avons montré que l'implantation de la GED correspond à ces trois composantes.
Ce sont globalement des “ calculs d'optimisation ” qui régissent la démarche de conception et de déploiement du dispositif. Le recours à des formes de raisonnement de type algorithmique signale la propension des acteurs de ce sous-système à concevoir et traiter la communication comme un problème technique. Le présupposé est qu'il est possible de modéliser un processus de communication afin de l'informatiser et de l'implanter via un outil informatique dédié au travail collaboratif. Malgré les apports des sciences sociales en particulier ceux de l'ethnométhodologie, la communication continue ainsi d'être réduite à un processus opérationnel [50]. Dans ce cas, l'information hérite de certains des attributs d'une “ phlogistique ” [51] moderne c'est-à-dire qu'elle ressemble à la transmission d'un fluide. Finalement, comme le constate Martin [52] “ les outils dits de travail en groupe tels qu'ils sont conçus aujourd'hui font perdurer un modèle cybernétique de l'activité humaine au même titre que l'ensemble des technologies de l'information, de la communication... ” On débouche alors sur une volonté de décomposition de l'activité professionnelle où les actions de communication comme les actions physiques sont appréhendées de la même manière. Cela se traduit par une programmatique du déploiement de la GED et une insistance pour la standardisation des procédures de sécurisation de l'information notamment dans le module de gestion du cycle documentaire.
Par ailleurs, une attitude normative sature l'imaginaire technologique qui comme l'explique Scardigli [53] est caractéristique du premier temps de l'insertion sociale d'une nouvelle technique ; celle des fantasmes, des grandes manœuvres où la communication managériale et celle des experts prédisent d'immenses conséquences positives pour l'entreprise. Cette attitude est celle du réseau des acteurs (équipe de spécialistes informaticiens, hiérarchie, “ groupe des pilotes ”, administrateur) dont les rôles sont décrits d'une manière sommaire voire caricaturale. La communication y est unilatérale et forme la trame d'une prescription de coopération explicite et implicite que révèle l'analyse de nombreux supports.
Du fait de sa nature de technique managériale, il apparaît que le dispositif porte en lui les germes d'un paradoxe “ soyez spontané ”. Comme l'explique Watzlawick, on se trouve dans le cas de l'imposition d'une règle “ selon laquelle un comportement doit être spontané et non soumis à une règle. Cette règle stipule ainsi que la soumission à une règle externe constitue une conduite inadmissible, puisque la bonne conduite devrait connaître une libre motivation interne ” [54]. L'artefact concrétise dans l'entreprise la solution à une classe de difficultés dont la visée est de mieux communiquer selon un modèle relationnel de coopération. La tentative de rationalisation managériale consiste donc pour corriger un état de fait à appliquer son contraire à une classe de situations insatisfaisantes. En faisant toujours plus de la même chose, il s'agit d'inciter de cette façon le plus grand nombre à développer des comportements coopératifs relatifs à l'échange et au partage de l'information. Avec sa gamme de possibilités orientées à la fois vers l'aide et le contrôle, l'artefact véhicule par ailleurs un message contradictoire. Ainsi relayée par l'artefact, l'injonction paradoxale correspond donc à une double contrainte dont nous examinons plus loin la nature thérapeutique.

2. Le sous-système des relations d'instruction et d'exécution

Dans ce sous-système composé des informaticiens, de la hiérarchie des services et de l'administrateur de la GED, nous avons observé la tendance déjà relevée par Lépine [55] de recentralisation des décisions au profit la direction informatique de l'établissement. Le pouvoir des experts s'exprime surtout par le contingentement des interventions et des modifications de configuration du système utilisateur. Du point de vue managérial, l'espace coopératif requis par la libre circulation de l'information est parfois restreint par l'administration de critères propre à une politique d'ouverture locale. Des stratégies de sélection des documents correspondent dans ce cas à des exigences de confidentialité ou d'achèvement. Afin de veiller à la cohérence de l'ensemble et de mobiliser les utilisateurs, l'administrateur s'adosse pour sa part à des prérogatives qui sont de l'ordre du contrôle et de la pression. La gestion des droits d'accès, du paramétrage du logiciel, du plan de classement, de la formation sont autant d'illustrations de ces conduites.
D'une façon générale, les acteurs de ce sous-système s'efforcent d'intégrer les impacts de la GED dans l'ensemble des processus de management de l'entité par une série de conduites prescriptives. Pour faire référence aux grands principes énoncés par Fayol [56], disons qu'il s'agit pour eux de décider, d'organiser, d'animer, de coordonner et de contrôler l'ensemble des questions relatives à l'implantation du dispositif. Cette configuration des conduites fait écho à la raison instrumentale qui traverse le sous-système des communications managériales dont elle s'emploie à relayer l'injonction coopérative. Nous observons globalement une structure de relations complémentaires où le sous-système d'instruction et d'exécution occupe la position haute par rapport au sous-système des relations avec l'artefact.

3. Le sous-système des relations avec l'artefact communicationnel

C'est à ce niveau que nous avons examiné la portée thérapeutique des formes de régulation exercées par l'artefact communicationnel. Afin d'expliciter les jeux d'interaction s'y déroulant, l'étude des rapports a été abordée selon un modèle quadripolaire [57] impliquant l'utilisateur dans des activités de gestion de l'information à l'aide de la GED et le mettant en relation avec d'autres utilisateurs.

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Modèle d'analyse des jeux d'interaction avec artefact (d'après Rabardel 95)

Dans ce modèle, l'objet désigne ce sur quoi porte l'activité de la dyade formée par l'utilisateur et l'artefact communicationnel. Il s'agit des activités de consultation, d'échange et de partage de l'information via une armoire électronique. Précisons que ce modèle d'analyse permet dans le prolongement des travaux de Rabardel, de rendre compte de la dimension collective de l'activité avec artefact. Sa portée explicative s'avère d'autant plus utile que la GED est susceptible comme cela a été précisé de réaliser une forme de régulation coopérative. Globalement, nos résultats montrent les effets cognitifs et pragmatiques des affordances de la GED et bien que de nombreux exemples tendent à confirmer le potentiel thérapeutique de ces régulations, cette propriété apparaît toutefois limitée voire inhibée par les caractéristiques antagonistes de l'aide sous contrainte.
L'établissement du rapport “ Utilisateur Artefact Objet ” permet aux individus de mieux comprendre le fonctionnement général de leur département et débouche sur un assainissement des relations entre services. Nos résultats signalent en effet une modification du système de pertinence des utilisateurs qui s'effectue selon une réorganisation sélective des composantes de la situation. Rappelons que le système de pertinence d'un individu désigne parmi tous les éléments de la situation ceux qui sont significatifs pour lui [58]. Ainsi, avec la distribution des connaissances, le partage des enjeux et des modes de raisonnement, s'estompent d'anciennes marques d'incompréhension. L'artefact communicationnel facilite pour les utilisateurs le passage d'une vision parcellaire à une vision élargie du contexte conceptuel de la situation, opération qui correspond au principe même du recadrage [59].
La question de la confiance apparaît comme l'enjeu fondamental des deux autres rapports. Ainsi, l'un des déterminants majeur de l'utilisation de la GED est la dimension de confiance qui s'établit dans le rapport “ Utilisateur Artefact ”. Ce sont les composantes antagonistes de l'aide sous contrainte qui stimulent et inhibent en même temps le potentiel d'utilisation offert par le dispositif. Le développement des pratiques restrictives est par exemple motivé par des considérations liées à la fiabilité du substrat technique et à la recherche d'indépendance vis-à-vis de l'injonction de coopération. Dans ce cas, les effets de la double contrainte pathogène atténuent ceux de la double contrainte thérapeutique. Toutefois, cette gamme d'opérations d'ouvertures et de fermetures accompagne et oriente de manière pragmatique l'utilisateur dans ses activités relatives à l'échange et au partage de l'information.
En ce qui concerne le rapport “ Utilisateur Artefact Autres utilisateurs ”, l'examen de la dynamique de la mise en commun des ressources documentaires révèlent également un appauvrissement de la qualité de confiance pourtant constitutive des relations de coopération. Un vécu de contrainte se dégage des difficultés liées à l'instrumentation. On relève par ailleurs que l'approche de la coopération entre en résonance symbolique avec l'histoire de l'entreprise. Selon un processus de contextualisation temporel, elle hérite des stigmates d'un passé parfois douloureux jalonné d'efforts de modernisation et de productivité. Il en résulte des stratégies de détournement des usages qui rompent avec l'application escomptée des principes de la rationalisation et de la coopération. Si toutefois cet ensemble ambivalent semble “ normal ” pour la plupart, il souligne pour d'autres le caractère addictif de l'injonction paradoxale du dispositif.
Au total nous observons les effets mitigés de la double contrainte exercée par l'artefact. Il y a stimulation des activités coopératives conjointement avec l'émergence de conduites protectionnistes en réponse au dilemme de l'autonomie contrôlée. En fait, la confusion des niveaux, ici matériel et symbolique, est inhérente à la structure de l'interaction avec l'artefact comme c'est le cas dans la communication interpersonnelle avec les modes digital et analogique. Ainsi, la signification et le sens attribués au jeu des affordances sont-ils effectivement déterminants des effets cognitifs et pragmatiques des différentes formes de la médiation artefactuelle.

4. De la médiation analogique à l'orthèse communicationnelle

Le premier rôle de la GED réside pour l'utilisateur dans la possibilité de reconstruction des données numériques d'une manière qui soit accessible à ses sens. Les échanges de contenus entre l'artefact et le monde analogique de l'utilisateur correspondent selon nous à une forme explicite de médiation. C'est pourquoi, nous considérons l'artefact communicationnel dans cette perspective comme un “ opérateur ” au sens informatique du terme.
Cette forme de médiation analogique s'articule au projet de rationalisation de la gestion documentaire dans l'entreprise. L'approche du dispositif comme technique managériale est de fait la plus familière aux utilisateurs. Pour eux l'instrument est perçu comme un outil idéologiquement neutre et extérieur à toute autre problématique. Il est ce substrat technique qui offre un éventail de possibilités et de contraintes pour le classement, l'échange et le partage de l'information. Le seul effet envisagé ou but recherché est une transformation réussie de l'objet de gestion qui s'effectue selon des calculs d'optimisation. L'environnement tend par conséquent à se limiter à l'horizon virtuel de l'armoire électronique. Du même coup, c'est la fonction de classement qui prévaut sur celles de l'échange et du partage. Les effets de l'artefact sur les autres utilisateurs ne sont généralement pas envisagés, ni d'ailleurs ceux en retour de l'instrument sur le sujet. Ainsi diminué de son potentiel d'influence, l'artefact communicationnel est vu comme un “ canal ” qui permet d'encarter de l'information selon un plan de classement préétabli.
L'analyse des incidents critiques, des dysfonctionnements, des incohérences révèle toutefois des signes de transformation du contexte. Il s'agit du travail d'assimilation des cognitions incorporées dans l'artefact aux valeurs qui président au fonctionnement habituel de l'organisation. Ce second rôle de la GED correspond à un potentiel d'analyse permettant d'examiner les manifestations systémiques dans ce contexte. Cette forme de médiation artefactuelle que nous appelons “ analyseur ” [60] révèle un problème de fond lié à l'injonction de coopération. Le modèle relationnel que requiert l'artefact présuppose en effet des rapports de confiance qui ne vont pas de soi. Cette problématique de la confiance renvoie selon un processus d'appel aux valeurs fondamentales de l'entreprise à un vécu de contraintes qui sert de toile de fond au jeu des interactions dans les trois sous-systèmes analysés. Quel que soit le niveau auquel on se place, celui de l'organisation, celui des experts ou celui de l'individu, nous reconnaissons les signes d'un débat latent dont l'enjeu fondamental est la préservation de l'autonomie au sein d'un espace coopératif normé. Au total, la médiation “ analyseur ” révèle d'une part, l'évolution de l'injonction coopérative initiale en une double contrainte dont les termes antagonistes sont scellés par le contrat de l'autonomie contrôlée et d'autre part, la grande valeur qui traverse ce système global que nous reconnaissons comme relevant d'un principe d'indépendance.
Le troisième rôle de la GED réside dans son potentiel de régulation sociale et désigne la médiation artefactuelle comme un véritable dispositif d'assistance. En ce sens, nous parlons d'“ orthèse communicationnelle ” pour souligner la spécificité des affordances autorégulatrices qui s'appliquent à l'évolution des rapports humains [61]. Celles-ci recouvrent les interventions de régulation exercées par la médiation artefactuelle. Il s'agit des retombées pragmatiques de l'injonction paradoxale et des processus d'organisation sélective des connaissances.
Sur le registre de la pathogenèse, le dilemme de l'aide et du contrôle se joue en tension pour la préservation de la marge de liberté des acteurs et constitue l'essence même des blocages. Mais nous reconnaissons aussi la portée thérapeutique de la régulation artefactuelle. Ainsi, sur le plan de l'orthogenèse communicationnelle, les effets cognitifs du recadrage et de la double contrainte thérapeutique se manifestent-ils respectivement par une recomposition des rapports de pouvoir, une reconfiguration du réseau des échanges et une vision élargie du contexte.
En premier lieu, le système des activités relatif à l'échange et au partage de l'information tend à affaiblir la verticalité antérieure des interactions au profit d'une plus grande transversalité. Cette tendance générale vérifie l'effet “ bras de levier ” des technologies collaboratives dans le développement de nouveaux modèles d'organisation et de management. En renforçant la prépondérance des mécanismes de coopération, l'orthèse communicationnelle contribue ainsi à la mise en ligne de l'organisation. En second lieu, cette injonction qui ne peut toutefois pas s'appliquer à culture constante se manifeste par une tendance à transgresser le réseau formel. Ainsi s'esquissent au-delà des contraintes, les contours de réseaux de coopération plus informels qui débouchent sur une nouvelle dynamique de l'échange et du partage. Rappelons enfin que les effets cognitifs du recadrage déjà signalés correspondent à une évolution sensible du système conceptuel des personnes concernées. La théorie des types logiques [62] établit les conditions et les propriétés d'un tel changement. Dans les termes de cette théorie, c'est en faisant porter l'attention des utilisateurs sur une nouvelle appartenance de classe des évènements, des relations entre individus, des modèles interactionnels, que les affordances cognitives de l'artefact communicationnel suggèrent d'apposer un cadre tout aussi pertinent à ces composantes. Ce qui change alors, c'est la signification que reconnaissent les individus aux éléments concrets et statiques de leur situation. Nous admettons pour notre part que le potentiel de recadrage de la médiation artefactuelle correspond aux principes fondamentaux d'une telle conception du changement.

Conclusion

Cette recherche apporte un éclairage nouveau sur les relations qui se structurent entre les caractéristiques des technologies collaboratives, celles des utilisateurs et celles du contexte. Selon une conception anthropocentrique des nouvelles technologies, nous avons soutenu une position qui tend à créditer l'artefact communicationnel d'un véritable travail social. En faisant une lecture de la médiation artefactuelle à la manière de Watzlawick dans la thérapie brève, l'ambition a été d'associer les Sciences de l'Information et de la Communication à une théorie qui jusqu'à présent, était restée connexe. Sur le plan épistémologique, la valeur heuristique du modèle de la thérapie brève pour l'analyse et la compréhension des phénomènes interactionnels n'avait pas à être prouvée. Son application au cas de l'implantation d'un outil de GED dans un établissement industriel permet effectivement de déceler différentes formes de la médiation artefactuelle au sein d'un système complexe d'interactions. Bien que les nouvelles technologies soient primitivement et explicitement conçues pour produire des opérations techniques, il s'avère que d'autres modes de régulation coexistent de façon dynamique et implicite. Nous faisons ici référence aux rôles d'analyseur et d'orthèse communicationnelle du dispositif. Globalement, l'analyse des phénomènes montre dans quelle mesure ces nouvelles formes de couplage homme machine révèlent les valeurs déterminantes de l'organisation, autorisent des phénomènes d'apprentissage organisationnel et exercent une action de changement sur le contexte.
Tout en démontrant l'intérêt de la démarche de transposition des concepts et des techniques de l'intervention systémique, notre préoccupation est aussi d'en préciser les conditions et les limites. C'est pourquoi la présentation générale de nos options théoriques et de nos résultats appelle pour terminer quelques remarques complémentaires.
En ce qui concerne la problématique générale de l'affordance, l'examen critique des présupposés épistémologiques de la théorie psychologique de Gibson révèle les limites de la portée explicative du concept. En effet, des travaux consacrés à l'émergence de la coopération selon une approche socio-technique ne postulent pas d'“ affordance ” particulière d'un outil pour expliquer sa capacité suggestive d'action dans le cas du travail collectif [63]. Pour Israël et Auffret, la théorie écologique de Gibson ne permet pas notamment de rendre compte “ des conditions qui assurent des affordances partagées ” et qui conduiraient par exemple un ensemble de personnes à s'accorder sur l'usage situé d'un outil. Les auteurs signalent d'ailleurs dans les sciences sociales un glissement notionnel qui tend à assimiler l'affordance à une caractéristique statique propre à l'objet. Ils expliquent en effet non sans malice qu'“ on oublie trop vite que si, à l'évidence, la chaise “afforde” les fesses, ce ne peut être que dans une tradition qui a déjà spécifié cette station assise et ses conditions sociales d'exercice ”. Par conséquent, il apparaît que l'affordance d'un outil ne peut être définie en dehors d'une culture technique qui dicte ses schèmes d'interprétation et d'utilisation. Or le travail coopératif assisté par ordinateur présuppose justement, à défaut des buts, le partage des moyens disponibles. C'est pourquoi une réflexion préalable sur cette question devrait permettre de préciser utilement le statut ontologique de ces “ affordances ”. Il en va de même comme le pense d'ailleurs Quéré [64], de la problématique générale de l'agentivité.
Enfin, bien que confirmant l'hypothèse de régulation thérapeutique, l'affordance autorégulatrice des artefacts communicationnels débouche sur une forme de thérapie de réseau qui de notre point de vue reste encore embryonnaire. La prégnance des effets pathogènes du caractère contraint des différentes formes de médiation s'avère plus particulièrement déterminante de la structure et de la dynamique des relations dans le département considéré. Gardons nous cependant de toute velléité de généralisation de nos résultats en mentionnant le caractère exploratoire et circonscrit de ce travail. Il apparaît aujourd'hui important de confirmer et d'approfondir ces résultats par d'autres recherches sur la médiation artefactuelle ce qui permettrait sans doute d'un point de vue pratique, d'accroître l'efficacité de l'instrumentation des activités collaboratives dans les organisations.

Jean-Jacques Devèze
Université de Montpellier I
Chercheur au CRIC
http://www.cric-france.com/

Avril 2001

Références

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[1] Balle C., Revue Française de Gestion, n°19, 1979, p. 50.
[2] Falletta N., Le livre des paradoxes, Diderot Multimédia, 1998, pp. 109-120.
Un Crétois appelé Epiménide affirme que “ Tous les crétois sont des menteurs. ” Il s'agit de la version connue du plus ancien de tous les paradoxes logiques qui est celui du menteur. Attribué à Eubulide, un philosophe grec du VIe siècle avant Jésus-Christ, le paradoxe se formulait à l'origine de la façon suivante : on demande à un menteur s'il ment lorsqu'il affirme être en train de mentir. L'homme ment seulement s'il dit la vérité et à l'inverse, il dit la vérité dès lors qu'il affirme être en train de mentir.
[3] Tisseron S., Comment l'esprit vient aux objets ?, Aubier, 1999, p. 20.
[4] Tisseron S., ibid, p. 16.
[5] Simondon G., Du mode d'existence des objets techniques, Ed Aubier, 3e édition, 1989.
[6] Le Moigne J.L., Les épistémologies constructivistes, PUF, QSJ ? n° 2969, 1995, pp. 12-35.
Le principal obstacle réside selon nous dans la longue tradition intellectuelle occidentale qui consiste à privilégier l'idée que le monde est prédéfini. Les épistémologies positivistes s'appuient sur cette hypothèse ontologique pour postuler l'indépendance de la réalité. Dans cette perspective, le fait de considérer la connaissance comme le miroir du monde tend à faire passer au second plan la nature performative des objets en général au profit d'une raison instrumentale qui dualise l'homme et la technique.
[7] Latour B., “ Une sociologie sans objet ? Remarques sur l'interobjectivité ”, Sociologie du travail, vol 36, n°4, 1994, p. 598.
[8] Latour B., ibid., p. 597.
[9] Le Moigne J.L., op. cit., p. 71.
[10] Tisseron S., op. cit., p. 18.
[11] Il semble actuellement selon Martin que ces outils spécifiques soient de plus en plus intégrés aux Intranet d'entreprises.
Martin F., “ La fin du groupware ? ”, in Le Bœuf C., Le groupware : Résurgence d'une dynamique organisationnelle assistée par ordinateur, L'Harmattan, 2001.
[12] Le Bœuf C., Le groupware : Résurgence d'une dynamique organisationnelle assistée par ordinateur, L'Harmattan, 2001, p. 3.
[13] Isckia T., “ L'entreprise à l'ère des nouvelles technologies de l'information ”, Terminal, N°70, 1995.
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Courbon J.C., Le groupware et les raisons de son importance, Chap. IV in, Le travail en groupe à l'âge des réseaux, Economica, 1998.
[14] Ghoshal S., Bartlett L., The individualized corporation : a fundamentally new approach to management, Harper Business, 1997, cité par Courbon, ibid, p.80.
[15] Yates J., Benjamin Robert I., “ Le passé et le présent, fenêtre ouverte sur le futur ”, in Morton Michael S. Scott, L'entreprise compétitive au futur : Technologies de l'information et transformation de l'organisation, Les Editions d'Organisation, 1995, pp. 71-113.
[16] Levan Serge K., Liebmann A., op. cit., p. 48.
[17] Kalika M., Internet, remise en question des paradigmes en Sciences de Gestion : L'émergence du e-management, Cahier de recherche du CREPA, n°57, 2000.
[18] Le Bœuf C., op. cit., p. 5.
[19] Rabardel P., Les hommes et les technologies, approche cognitive des instruments contemporains, Armand Colin, 1995.
[20] Norman D., “ Les artefacts cognitifs ”, in Conein B., Dodier N., Thevenot L. (eds), Les objets dans l'action, Editions de l'EHESS, Raisons Pratiques, n°4, 1993, pp. 15-34.
[21] Agostinelli S., “ Entre artefact et situation : Quels enjeux de communication pour les NTIC ? ” in L'impossible formation à la communication, ICOMTEC de l'Université de Poitiers, 18 - 19 Mars 1999.
[22] Quere L., “ La situation toujours négligée ? ”, Réseaux, n°85, CNET, 1997, p. 171.
[23] Quere L., ibid, p. 189.
[24] Quere L., ibid, p. 177.
[25] Hutchins E., “ Comment le cockpit se souvient de ses vitesses ”, Sociologie du travail, vol 36, n°4, 1994., pp. 451-473.
[26] “ les actants sont les êtres ou les choses qui, à un titre quelconque et de quelque façon que ce soit, même au titre de simples figurants et de la façon la plus passive, participent au procès ”, Tesnière L., cité par Marty C, Marty R., La Sémiotique, Coll. 99 réponses sur, CRDP, 1992, p. 36.
[27] Latour B., “ Une sociologie sans objet ? Remarques sur l'interobjectivité ”, Sociologie du travail, vol 36, n°4, 1994, pp. 587-607.
[28] Gibson J.J., The ecological approach to visual perception, Boston : Houghton-Mifflin, 1979.
[29] Le terme anglais “ affordance ” est un néologisme qui désigne à la fois le fait d'offrir (to offer) et celui de fournir quelque chose (to afford). Il est couramment repris tel quel dans la littérature parce qu'il ne possède pas d'équivalent français qui rende compte de toutes les nuances.
[30] Wittezaele J.J., Garcia T., À la recherche de l'école Palo Alto, Seuil, coll. La couleur des idées, 1972, p. 262.
[31] Fondé en 1987 à Liège, l'IGB est le représentant officiel du Mental Research Institute pour l'Europe. Ses membres fondateurs appliquent en particulier les principes et la méthodologie du changement propres à la thérapie brève au cas de l'intervention thérapeutique sous contrainte.
[32] Seron C., Wittezaele J.J., Aide ou contrôle, l'intervention thérapeutique sous contrainte, De Boeck, 1991.
[33] Seron C., Wittezaele J.J., ibid., p. 115.
[34] Mucchielli A., Les sciences de l'information et de la communication, Hachette, 1995, pp. 32-33.
[35] Watzlawick P. et al., Une logique de la communication, Seuil, 1972, p. 240.
[36] Watzlawick P., Le langage du changement, Seuil, 1980, p. 108.
[37] Rappelons qu'en raison de sa nature paradoxale et de la double contrainte thérapeutique qu'elle génère, cette technique est aussi appelée “ injonction paradoxale ”.
[38] souligné par les auteurs.
[39] Seron C., Wittezaele J.J., op. cit.
[40] Seron C., Wittezaele J.J., op. cit., p.192.
[41] Prax J.Y., Manager la connaissance dans l'entreprise : les nouvelles technologies au service de l'ingénierie de la connaissance, Insep, 1997, p. 142.
[42] Yates J., Benjamin Robert I., op. cit., 1995, pp. 71-113.
[43] Levan Serge K., Liebmann A, op. cit., 1995.
[44] Mucchielli A., (ss. la dir. de), Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Armand Colin, 1996, pp. 248-249.
[45] Mucchielli A., Approche systémique et communicationnelle des organisations, Armand Colin, 1998, pp. 103-110.
[46] Mucchielli A., ibid, pp. 100-103.
[47] Hathuel A., Weil B., L'expert et le système : quatre histoires de systèmes experts, Economica, Paris, 1992.
[48] Hathuel A., Weil B., ibid., p. 121.
[49] Hathuel A., Weil B., ibid., p. 123.
[50] Cardon D., “ Les sciences sociales et les machines à coopérer : une approche bibliographique du CSCW ”, Réseaux, n°85, CNET, 1997, pp. 163-192.
[51] “ Nom désignant le fluide imaginé au 18e siècle comme la substance même de la chaleur pour expliquer certains phénomènes physiques dont rend compte aujourd'hui la thermodynamique, avec des modèles forts différents ” (Varela Francisco J., Invitation aux sciences cognitives, Seuil, 1996, pp.12-13)
[52] Martin F., “ La fin du Groupware ? ”, in Le Bœuf C., Le groupware, portée et limites d'une dynamique organisationnelle, L'Harmattan, 2001.
[53] Scardigli V., les Sens de la technique, PUF, 1992.
[54] Watzlawick P. et al, Changements : paradoxes et psychothérapie, Seuil, 1975, p. 87.
[55] Lepine V., “ Le groupware : objet d'entreprise, objet scientifique ”, in Contributions introductives aux débats du séminaire de Lille “ Objets et pratiques de communication organisationnelles : construire des approches scientifiques ”, 5 et 6 décembre 1997.
[56] Fayol H., Administration industrielle et générale, Dunod, 1981.
[57] Rabardel P., op. cit., pp. 75-78.
[58] Mucchielli A., Les Sciences de l'Information et de la Communication, Hachette, 1995, p. 35.
[59] Watzlawick P. et al, Changements : paradoxes et psychothérapie, Seuil, 1975, p.116.
“ recadrer signifie donc modifier le contexte conceptuel et/ou émotionnel d'une situation, ou le point de vue selon lequel elle est vécue, en la plaçant dans un autre cadre, qui correspond bien, ou même mieux, aux “faits” de cette situation concrète, dont le sens, par conséquent, change complètement. ”
[60] Pour l'analyse institutionnelle : “ L'opération de l'analyseur est ce qui produit une décomposition de la réalité matérielle en élément sans intervention d'une pensée consciente. L'analyse se fait dans et à travers l'analyseur, qui est comme une machine à décomposer (...) ” (Lapassade G., L'analyseur et l'analyste, Gauthier-Villars, 1971, p.6.) cité par Gilbert P., “ Fonctions explicites et implicites des instruments de gestion des ressources humaines ”, Revue de Psychologie du travail et des organisations, 1997, vol. 3, n°1-2, pp. 118-130.
[61] Gobert T., “ L'orthèse multimédia ”, in Recherches en sciences sociales : Jalons et segments, ss. la dir. de Berthelot J.M., L'Harmattan, 2001, pp.149-170.
Pour l'auteur, l'orthèse désigne par opposition à la prothèse un appareil d'assistance destiné à corriger une déficience ou une insuffisance. Elle complète un système, mais ne le remplace pas, comme le fait une prothèse.
[62] Watzlawick P, op. cit., 1975, chap. 7.
[63] Israël R., Auffret G., “ Une mémoire de l'émergence : vers un outillage conceptuel et socio-technique de la coopération ”, Solaris, dossier n°5, 1999.
[64] Quere, op. cit., 1997.