J’ai écrit une première version de ce texte en 1988, sous la forme d’une analyse de livre (celui de Bateson et Ruesch, 1951) et d’un entretien avec Régis Pouget. Nous avons, dix ans après, repris ce texte à l’issue d’une journée de travail avec Paul Watzlawick. Ce texte est devenu un article : Tricot, A., & Pouget, R. (1999). L’influence de la cybernétique et de la communication sur la psychiatrie : quel est le rôle de Paul Watzlawick ? Communication et Technologie, 1, 133-156.

 

 

 

 

 

L’influence de la cybernétique et de la communication sur la psychiatrie : quel est le rôle de Paul Watzlawick ?

 

 

 

 

Introduction : de Bateson à Watzlawick

A la fin de la 2ème guerre mondiale, Bateson, un anglais fils d'un éminent professeur et théoricien de la biologie, s'installe aux États-Unis. Il est anthropologue (voir sa thèse, traduite en français [1]) époux de Margaret Mead avec qui il a publié des travaux sur les populations balinaises [2]. Il rencontre le psychiatre Jurgen Ruesch qui l'initie au monde de la clinique.

En même temps, aux conférences de la fondation Macy (1946-1953), les sciences sociales anglo-saxonnes prennent un fabuleux essor, notamment de leur rencontre avec la cybernétique. Outre Bateson et Mead, quelques "figures" scientifiques du XXème siècle participent à ces conférences : von Neuman, Shannon, Wiener, von Foerster, ... (voir la présentation de Dupuy [10], et le recueil de traductions de Pélissier et Tête [20]).

De la rencontre de Bateson, d'une part avec la psychiatrie, d'autre part avec la cybernétique, va naître en 1951 l’ouvrage "Communication et société" (traduction bien libre de "Communication : the social matrix of psychiatry" [3]).

Watzlawick, dans la préface à la traduction française résume bien la problématique de ce livre. A la fin de la guerre, on "découvre" un concept : l'information, à côté des principes classiques de la matière et de l'énergie. Révolution des sciences humaines dont en psychiatrie Ruesch et Bateson posent les bases : la nouvelle "approche n'amène plus à se demander pourquoi cette personne se comporte-t-elle de cette façon bizarre, irrationnelle ? mais plutôt : dans quel contexte humain ce comportement serait-il le plus adéquat, peut-être le seul possible ? En procédant ainsi les chercheurs ont introduit trois concepts d'une importance capitale dans leur travail : la communication, la relativité des normes socioculturelles (et donc aussi la définition de ce qui a été jugé sain ou malsain) et le contexte dans lequel tout cela se produit" ([3] p.9).

Dans la préface de la réédition de 1968 les auteurs notaient que ce livre se situait au milieu de diverses explosions : la découverte de l'information, la nécessité pour le psychiatre de travailler plus vite, la découverte des neuroleptiques, la thérapie de groupe, la fin de l'ère de l'individu, la naissance de l'homme social, la théorie de la cybernétique. Puis Bateson et Ruesch notent les résultats de ces diverses explosions, vingt ans après : "l'homme moderne doit affronter l'interaction humaine, l'interaction entre l'homme et la machine -l'ordinateur- et l'interaction entre les machines. La communication est ainsi devenue la matrice sociale de la vie moderne." ([3] p.13). Ils situent leur influence propre au niveau de l'essor de la théorie des systèmes et de la "psychiatrie sociale".

Le livre de Ruesch et Bateson contient deux axes principaux :

Le premier axe est une interrogation "ponctuelle" de Bateson (10 à 15 ans), et le second l'interrogation principale de Bateson. Ruesch, qui participe surtout à la mise en place du premier axe, n'aura pas la même célébrité que Bateson. En aura-t-il eu moins d'importance ?

Ce livre est très théorique. Nous voudrions montrer que le rôle de Watzlawick a été de "mettre en pratique" et de diffuser ces idées... et ces pratiques. Pour la compréhension de notre argumentation, il est préférable de connaître l’oeuvre de Watzlawick.

L'école de Palo Alto

Comme on le sait, cette "école" n'existe pas. En 1952 (un an après la parution du livre), Bateson reçoit une subvention pour étudier les problèmes de la communication, et une aile de bâtiment dans un hôpital des vétérans de l'armée américaine, à coté de la ville de Palo-Alto. Jusqu'en 1964 il travaille avec Weakland et Haley, et épisodiquement avec des psychiatres comme Erickson. Il s'intéresse aussi bien à la communication chez les singes que chez les hommes, malades ou pas. Il reçoit l'aide de Don Jackson, le fameux psychiatre qui en 1959 fonde le Mental Research Institute (M.R.I), à Palo-Alto. Jackson invite Bateson à venir travailler au M.R.I. Celui ci refuse. Et c'est l'équipe du M.R.I, renforcée par Paul Watzlawick, qui en 1967 publie "Une logique de la communication". Cet ouvrage, devenu depuis lors une "bible", est, pour Watzlawick "une tentative de synthétiser, de systématiser un peu les idées des deux groupes de Palo-Alto" ([24] p.51). C'est, plus trivialement, une vulgarisation et une mise en pratique des idées de Bateson. Mais ce livre, dédié à Bateson provoque la colère du dit dédicataire : il était heureux que quelqu'un ait compris ses idées mais de là à les vulgariser et à les mettre en pratique il y avait un pas qu'avec sa haine de l'influence le grand anthropologue ne voulait pas franchir (sur ce point, voir les témoignages de Watzlawick [24] et de Mary Catherine Bateson [5]). Il pensait même que mettre en pratique ses travaux sur le double lien (créer un double lien pour sortir du double lien) ne faisait qu'aggraver les problèmes du patient.

Les idées de Ruesch et Bateson vont être largement utilisées, notamment au niveau pratique. C'est tout à fait dans l'esprit de Ruesch, qui est un praticien, mais pas de Bateson qui est un penseur et pour qui ce livre était un moment, un point de réflexion. Watzlawick à la fin des années 60, semble apparaître aux yeux de Bateson, comme un messager trop pressé.

La systémique, une réflexion sur la réalité

La réflexion systémique menée par Bateson puis par Watzlawick [23], consiste à repérer des systèmes là où auparavant on repérait des ensembles d'éléments, ou parfois "des éléments", simplement. Le principe général est que pour comprendre un élément il faut l'observer dans son contexte : repérer le système. On connaît l’histoire, maintes fois racontée, du second principe de la thermodynamique qui est allé faire des petits loin de chez lui, et dont on retiendra simplement que "tout système cherche à se maintenir". Et ce qui ne semble pas aller dans le système (en psychopathologie le symptôme) a en fait "une fonction : celle de maintenir l'équilibre du système perturbé - il a une vertu homéostatique" ([12] p.120). Dès lors, quand on traite un problème "en tant que tel", isolément, on ne fait que le nommer... et par là le constituer en tant que tel. Ce qui présente un risque : celui de fixer et d'aggraver le problème.

Directement en relation avec cela, Bateson dit que la perception de la réalité est organisée comme un système. Autrement dit "peu importe" le rapport avec le réel : la perception de la réalité est un système de perception auto référent, une image du monde capable d'intégrer énormément de contradictions. A l'intérieur d'un système, notamment celui de la perception de la réalité, les luttes sont autant d'éléments renforçant le système. On peut, avec une pensée systémique dire par exemple "que c'est l'instance du surmoi qui, par son existence même, renforce ce qu'elle combat" ([12] p.125).

Avec ce livre s'ouvre une réflexion épistémologique sur la réalité. La systémique, on peut l'affirmer sans trop de risques, est la suite "normale" des réflexions de Claude Bernard sur l'homéostasie ou de la psychanalyse sur la circularité. Elle pose une base de réflexion, assez générale pour être intéressante, sur la réalité. La réflexion systémique sur la réalité de Bateson s'inscrit sûrement dans ce que l'on appelle le constructivisme. Notamment quand Bateson pose que la perception de la réalité est un système de perception auto-référent.

Cette réflexion "théorique" sur la réalité a bien entendu été amorcée par les physiciens du début du siècle (e.g. Schrödinger), par une longue tradition philosophique (celle du nominalisme) puis formalisée par von Bertalanffy [7]. En sciences humaines, elle a aussi été conduite par des chercheurs francophones, souvent bien avant Bateson et Watzlawick (par exemple en 1937 la publication des ouvrages de Piaget [21] sur la construction du réel et de Guillaume [13] sur la perception comme système auto-référent), souvent de façon extrêmement fine (Lacan [14] sur la réalité et l’imaginaire).

En épistémologie, l’apport de Palo Alto, via Watzlawick, semble bien mince au niveau théorique mais il est immense au niveau de la diffusion des idées.

Nous allons aborder maintenant un peu plus en détail l’ouvrage de Ruesch et Bateson.

Vers une théorie de la communication.

Dans un premier temps, nous allons tenter de résumer rapidement les propositions de Ruesch et Bateson en termes de théorie de la communication.

Valeurs, Communication et Culture

Pour les auteurs, l'établissement d'une théorie unifiée de la communication répond à un besoin d'expliquer différents niveaux dans un même système selon un même modèle : séparer les aspects physiques, intrapersonnels, interpersonnels et culturels des événements présente trop d'inconvénients. L'ensemble de ces aspects constitue la matrice sociale. En psychiatrie par exemple la matrice sociale comprend le psychiatre et le patient. La matrice sociale est aussi l'ensemble des événements répétitifs qui constituent un homme à l'intérieur d'une culture.

La théorie de la communication a pour champ la situation sociale, c'est à dire l'établissement d'une communication interpersonnelle (expression-perception-retour) entre des personnes. Le chercheur fait partie intégrante du système de communication auquel lui-même participe, ce qui poser problème. La solution à ce problème serait de multiplier les points de vue, les modes et les terrains d'enquêtes.

Une valeur est l'unité stimulus-réponse telle que l'individu apprend à rechercher les stimuli qui déclenchent une réponse apprise. Une valeur est une voie préférentielle de communication. Un ensemble de valeurs définit un individu, à un autre niveau une culture.

Une information est le résultat final de la perception et de la transmission.

Les canaux de communication sont très divers : la communication peut être orale, écrite, par l'image, gestuelle, parlée, cinématographique, par le toucher, etc.

Pour Ruesch et Bateson, un contexte est l'identification d'une situation sociale. "Un système de communication s'établit dès lors que deux partenaires prennent conscience qu'ils sont entrés dans un champ de conscience réciproque." (p.38). Il y a des rôles qui définissent la signification d'une communication, sa portée, et des règles, "directives qui orientent le flux des messages".

Les auteurs proposent une catégorisation des niveaux de complexité des systèmes de communication. Ils se fondent sur un schéma général de la communication très simple (Émetteur-Récepteur-Transmetteur). Les récepteurs transforment l'impulsion qu'ils reçoivent pour l'envoyer dans l'organisme. En fonction de ce schéma on peut définir des systèmes de communication relativement simples, qui sont des systèmes symétriques. Ces participants sont identifiés et il y a le plus souvent une maîtrise de la situation avec possibilité de correction. Pour Ruesch et Bateson, "ce qui arrive à une personne et dans son environnement est enregistré sous une forme codée ; et la jonction des traces immédiates avec des traces d'expériences passées facilite la sélection des réponses. (...) L'homme acquiert sa conception du monde par l'interaction sociale et par la communication et cette acquisition est le fondement de l'organisation ultérieure de son environnement" (pp. 49-50) ce qui est spécifique à l'homme. L'homme est aussi le seul animal à être confronté à des messages et des productions du passé. Ces considérations ne sont pas sans évoquer des notions comme "culture" ou "apprentissage", ce qui nous amène à envisager des systèmes de communication plus complexes qui concernent un ou plusieurs groupes de personnes. Ce système de communication est généralement asymétrique, avec un pôle anonyme et une correction différée. Ces systèmes sont des intermédiaires qui amènent aux réseaux culturels : x personnes communiquent avec x autres personnes, toutes anonymes et la correction est impossible. La communication culturelle de masse comprend des choses aussi différentes que la radio, la télévision et la "communication sur la communication", c'est-à-dire les indices sur la manière de ponctuer des messages. C'est une zone de définition de la pathologie psychiatrique.

En général on ne connaît pas les prémisses de la culture à laquelle on appartient et on a des difficultés à apprendre les règles de communication d'une autre culture. Et vice versa. Une prémisse de valeur est une généralisation faite par un observateur sur les perceptions et les actions d'une autre personne, qui agit à cette fin. Cette prémisse s'inscrit dans le domaine de la communication culturelle de masse dont les personnes font partie.

Communication et convention.

Les auteurs affirment que "l'homme vit en fonction de propositions dont la validité dépend de sa croyance en ces propositions" (p.241). Une communication comporte généralement l'échange d'informations "particulières" et d'informations sur la relation entre les deux communicants, le premier type d'information étant finalement le plus fréquemment escamoté. Une communication indique aussi la position de l'individu par rapport à un codage (est-il conforme ? etc.).

Il existe une catégorie d'apprentissage dit secondaire, et qui concerne le contexte dans lequel le fait d'apprendre est survenu. Ce type d'apprentissage détermine le caractère de l'individu et a pour caractéristique de se valider lui-même. On admet donc facilement que la définition d'une relation ne dépend pas seulement de la chaîne des événements qui constituent l'interaction mais aussi la façon dont les individus concernés voient ces événements, en fonction de leur caractère.

Communication et relativisme culturel

Les systèmes internes de contrôle et régulation, par exemple le modèle américain, sont constitués de différents groupes, spécialistes, qui se surveillent et interagissent de façon à ce que l'organisation marche. On peut caractériser ces systèmes avec des mots comme hétérogénéité ; changement, correction et auto régulation ; isolement par rapport aux autres systèmes ; buts communs et non idéologie, qui ferait partie des... systèmes externes de contrôle par opposition, par exemple le modèle européen, qui sont constitués de différents sous-systèmes qui s'opposent entre eux. Le système a une structure hiérarchique et ne peut lui-même exister isolément.

Ces deux systèmes sont tels qu'un individu, ou un groupe, pourrait théoriquement avoir sa place dans un sous-système selon le critère du contrôle interne et dans un autre sous système (parfois l'opposé) selon le critère du contrôle par opposition.

Le façonnement des personnalités, aux États-Unis, dans un "système interne" se voit par exemple dans le fait que l'Américain aura tendance à tolérer des éléments hétérogènes dans son propre comportement pourvu que le but soit unique.

Dans une structure familiale le parent européen montre la voie, domine et protège : la famille est un système externe de contrôle. Le parent américain, lui, regarde l'enfant, l'encourage à être réalisateur et autonome : la famille est un système interne de contrôle.

La psychiatrie, ses écoles et ses services d'hôpitaux, évoluent dans un univers d'équilibre et de régulation interne aux USA, externe en Europe.

Information et Codage

"Le codage est le fait de substituer un type d'événement à un autre, de sorte que l'événement substitutif représente l'autre de quelque façon que se soit" (p.194). Le codage est systématique. Il peut être digital, analogique, ou en Gestalten.

L'information codée est multiplicative ; le bit d'information étant binaire, le nombre de bits potentialise la quantité d'information (n bits d'information = 2n informations sur le registre dont on parle et sur ce qu'il n'est pas).

Le point de vue défendu par les auteurs est que "le système de codage et le système de valeurs sont des aspects d'un même phénomène central" (p.201). Cela parce que l'on peut envisager ces deux concepts comme étant des sous-systèmes d'un système individu/environnement qui est beaucoup plus pertinent ; plus pertinent car, premièrement, les deux sous-systèmes sont des systèmes de classement. Ensuite parce que la perception qu'a l'individu des choses dépend de concepts individuels comme "valeur", "désir". Valeur et codage sont deux parties d'un même processus selon lequel l'homme fait partie de son environnement, agit sur lui, pense sur lui et parle sur lui. Différencier ici les systèmes reviendrait à considérer l'individu comme étant deux personnes : l'une qui perçoit, l'autre qui agit.

Ruesch et Bateson illustrent la proposition précédente en reprenant la proposition de Wiener selon laquelle entropie négative et information sont deux concepts synonymes. Deux concepts les plus éloignés du savoir humain sont en fait définis, fonctionnent de façon analogue : de la même façon qu'une information sur l'ordre d'un jeu de carte n'est information que pour celui qui voit ou manipule le jeu de carte, de même "le système dont on parle dans toute proposition d'entropie négative inclue la personne qui parle" (p.202).

Ceci alors que dans la théorie mathématique de la communication de Shannon [22];, l'information est définie comme synonyme d'entropie. Mais bien sûr ce n'est pas au même niveau.

Les moyens de communiquer sont divers et les prémisses sur ces moyens diffèrent selon les cultures et selon les individus.

On reçoit simultanément de l'autre des données sensorielles ordinaires (postures, tonus...) et des données symboliques. La communication interpersonnelle se fait grâce à l'existence d'une perception mutuelle ; il y a des "échanges d'indices et de propositions sur le codage et la relation entre ceux qui communiquent" (p.238) : une métacommunication. A ce niveau de communication il peut y avoir des similitudes ou des dissimilitudes, des conflits ou une complémentarité entre des prémisses différents.

Remarques

Ce rapide résumé de l’ouvrage de Ruesch et Bateson en ce qui concerne la communication montre à la fois que :

Nous pouvons aussi remarquer que depuis la fin des années 40, il y a dû y avoir des dizaines de milliers de discussions pour savoir si l’information était entropie ou entropie négative, ce qui prouve que l’analogie avec la thermodynamique n’est peut être pas très pertinente (voir la synthèse de Pariocha [19]).

Communication , psychiatrie et maladie mentale

Résumé des propositions de Ruesch et Bateson

Les auteurs proposent de répondre à la question suivante : pourquoi envisager le travail du psychiatre comme une aide à ceux qui ne sont pas parvenus à une communication satisfaisante ?

Ils répondent en trois points :

Une théorie de la communication tendrait vers une situation plus claire. Elle permettrait :

Dans la théorie de la communication, la position du psychiatre, par exemple, serait celle d'un observateur-participant (à la fois interne et externe). Au cours de l'entretien il vérifierait de quelle façon le patient est inscrit dans un réseau de communication.

La théorie de la communication propose de définir :

"Le psychiatre a pour tache d'aider le malade à acquérir les moyens de communication qui lui permettront de s'adapter au réseau groupal et culturel dominant de son milieu" (p.111).

Le psychiatre et les valeurs américaines.

Le psychiatre s'occupe de la personnalité du patient qui est partiellement définie par la culture. Le problème est souvent une opposition à certaines prémisses culturelles.

Les psychiatres sont généralement permissifs face à ces oppositions. La permissivité permettrait au patient de redécouvrir les valeurs en elles-mêmes d'où un détachement puis un manque qui entraînerait finalement un désir de ces valeurs. Les psychiatres autoritaires au contraire forcent à rester dans le cadre de la culture par le renforcement négatif.

Le principe général des psychiatres est le réajustement : remettre le patient dans la société. La foi inébranlable en un changement et le fameux "on ne lui a pas encore donné sa chance" font que le psychiatre américain travaille dans l'optimisme alors que le psychiatre européen travaille dans la résignation.

Analyse du discours de quelques psychiatres américains

Les auteurs ont étudié quelques discours épistémologiques, pour la plupart informels, de psychiatres américains.

La pathologie. La psychiatrie est d'abord une science de l'anormal. Le psychiatre dispose de mots pour poser un diagnostic de l'anormalité -qui est simple et répétitive-, mais ne dispose que de peu de mots pour décrire la technique thérapeutique et la normalité -qui est complexe et diverse-.

La réalité… peut être ce qui est perçu ; ou n'existe qu'individuellement, pour chacun ; ou c'est ce que j'approche un peu plus chaque fois que je prends conscience des contraintes d'un schéma explicatif de la réalité ; ou c'est un monde de valeurs ; ou c'est ce que je crois que c'est.

Les substances en psychiatrie. La pensée occidentale classique sépare la substance de l'attribut ; ainsi Freud a inventé le concept de libido (substance) qui peut subir des changements (attributs différents) : c'est un codage. Ensuite certains ont fait des erreurs, traitant la libido comme une entité causale au lieu de la traiter comme une formule linguistique. D'où l'attitude défensive de Freudiens américains "convaincus qu'il est impossible de traduire en mots ce qu'ils font" (p.280).

Énergie et quantification. Selon Freud l'énergie est une "substance" dont l'aspect phénoménal est la motivation (pulsions, désirs...), elle est indestructible, prométhéenne (par ex : la sublimation) et limitée en quantité. La psychiatrie actuelle et Freudienne se balance entre un modèle où l'on peut atteindre un but sans dépenser de l'énergie (modèle économique) et un modèle où des idées d'entropie sont implicites.

La psychiatrie, science réflexive. Le psychiatre moderne doit conduire un réflexion sur son savoir et son attitude. Il fait partie du système patient-psychiatrie-thérapeute.

La convergence de la science et de la psychiatrie.

Enfin les auteurs se demandent quelle est la tendance générale de l'évolution actuelle (en 1951 ! ) des sciences, applicable à la psychiatrie ?

Ils notent :

La psychiatrie serait, d’une part, partagée entre l'humanisme et le rigorisme scientifique ; d'autre part, comme les autres sciences, elle est en constant va et vient entre théorie et pratique.

La théorie de la communication présenterait une plate-forme où les tenants des diverses tendances pourraient se rencontrer : un endroit où la rigueur scientifique aboutirait à la nécessité, toute humaniste, d'intégrer autrui et soi dans un large système, et d'étudier dans ce système autant l'interaction et son évolution que la structure particulière de chaque participant. Pour autant la théorie de la communication peut n'être considérée que comme l'aboutissement "obligatoire" et momentané de l'évolution des sciences.

Commentaires

Bateson ne peut se réduire à son influence sur la psychiatrie ; il n'en demeure pas moins que le livre que nous venons de résumer est un livre de psychiatrie. Nous avons évoqué rapidement sa répercussion sur la recherche en psychothérapie aux États-Unis. Posons maintenant la question en France.

Nous allons rapporter quelques réflexions qui proviennent de psychiatres influencés par Freud et, à des degrés divers par Palo Alto (ce qui n’est évidemment pas le cas de tous les psychiatres français).

Influences

Dans les années 40-50, en France, de nombreux psychiatres et plus généralement les "sciences humaines" se sont intéressés à la psychanalyse. La psychanalyse a infiltré la psychiatrie et son influence est allée jusqu'à l'extrême au cours des années 70.

Une autre influence chez de nombreux praticiens a été la grande théorie de l'organo-dynamisme de Henri Ey, psychiatre des hôpitaux. Henri Ey, reprenant les théories de Jackson de déstructuration, pensait que lorsqu'une lésion se produit (que la lésion soit organique, ou une agression extérieure) il y a une baisse de niveau et le comportement se situe à un niveau inférieur, avec des aspects négatifs, mais avec des aspects positifs. Quand un niveau supérieur ne contrôle plus un niveau inférieur, le niveau inférieur se libère et fonctionne pour lui-même.

L'influence de l'école de Palo Alto, à partir des années 70, a été importante pour certains psychiatres, et mêmes pour certains psychanalystes, qui, plutôt que d'adopter une attitude de rejet, ont su au contraire s'enrichir en assimilant ce qui convenait à leur problématique propre ; "citons Lebovici et Ruffiot pour les thérapies familiales, Racamier pour la compréhension des psychoses, Anzieu pour l'interprétation de certains de mode de transferts paradoxaux" ([8]; p. 252).

Les adeptes des thérapies "humanistes" et "nouvelles" (Institut Esalen, Californie) considèrent pour leur part Bateson comme un de leurs patrons ([8]; p. 252).

Enfin, le renouveau des thérapies comportementales et l’essor des thérapies cognitives [9] a une dette certaine envers Palo Alto.

Les "objets" que Bateson a importé en psychiatrie

Pour Elkaïm, "la théorie des types logiques peut être considérée comme une tentative d'interdire les propositions autoréférencielles, de nous rappeler que nos propriétés ne doivent pas interférer avec l'univers que nous décrivons. Mais comment m'est-il possible de parler d'une situation de psychothérapie en évitant l'autoréférence ? (...) Le hasard a un rôle très limité. Nous nous sommes intéressé aux théories d'Ilya Prigogine et de son équipe, à la thermodynamique de non-équilibre, au changement dans un système à l'écart de l'équilibre. Ce que nous avons appris, c'est l'importance de la mise hors de l'équilibre d'un système et le rôle du hasard qui permet à une fluctuation de s'amplifier et, à travers une bifurcation, de changer de manière abrupte le fonctionnement du système" ([11] pp. 332 et 334).

En France, l’influence de Claude Bernard et de Descartes est très forte. Les concepts de d'homéostasie ou de variation concomitante le sont aussi. En médecine générale, on sait bien qu’à partir du moment où l'on entre dans une maison, même pour soigner le vieux grand-père, on a déjà une action sur le fils, la belle fille, les petits enfants, etc. On sait aussi que le chien ne vous accueillera pas de la même façon la fois suivante. Toute action entraîne une série de réactions en cascade et il se fait des équilibres, des optima.

D’un certain point de vue, Palo Alto peut être considéré comme un retour aux sources freudiennes. On a parlé de la mère de l'asthmatique, de la mère du schizophrène, du père du schizophrène, etc. On s'est rendu compte au bout d'un certain nombre d'années que ça n'avait rien de scientifique, rien de correct, et qu'il fallait abandonner cette notion. Alors les théories systémiques sont venues là pour nous expliquer que non seulement il y avait un problème de personnalité du père ou de la mère, certes, mais qu'il y avait surtout la place qu'ils tenaient dans la famille et qu'ils tenaient par rapport à l'enfant précis. Parce qu'un père ou une mère n'est pas le même pour le premier, pour le second, pour le troisième, pour le quatrième des enfants, même s'il dit : Je les ai élevés de la même manière. Il les a élevés sûrement de la même manière ou à peu près mais il n'a pas été le même, puisque lorsqu'on a eu un premier enfant, on n'est pas le même qu'avant, de même que quand on a lu un livre, on n'est pas le même qu'avant et quand on a exercé pendant quelques années un travail, on n'est pas le même qu'avant, donc il y a toujours une évolution. Les systémiciens nous ont rappelé cette notion qui nous paraît capitale : l'être humain n'est qu'un maillon dans une chaîne ; un maillon ce n'est pas grand-chose, mais sans maillon il n'y a pas de chaîne.

La psychose, la schizophrénie et la double contrainte

Un témoignage intéressant émane du psychiatre Henri Maurel et ses collaborateurs [17]. Ayant lu le texte princeps "Vers une théorie de la schizophrénie" [4] avec vingt-cinq ans de retard, Maurel se déclare lourdement déçu de ne pas y retrouver la théorie du double lien, tel qu'il avait pu l'imaginer ; sa déception vient du caractère a priori de l'hypothèse initiale, fondée sur la référence à la théorie des types logiques de Bertrand Russel. Seul un non-psychiatre étranger au contact clinique avec les schizophrènes a pu ainsi identifier le "trouble logique" des schizophrènes aux paradoxes logico-mathématiques. De plus, la théorie du double bind apparaîtrait précisément incompatible avec la théorie des types logiques : dire qu'une injonction secondaire contredit une injonction primaire à un niveau plus abstrait, comme le fait la théorie du double bind, est précisément incompatible avec la théorie des types logiques : "Entre des propositions appartenant à des types logiques différents, il n'y a pas de contradiction possible. Russel l'a clairement écrit, Wittgenstein le confirme" [18].

Mais il y a plus grave : les mots, toujours les mots ! Ceux de Bateson seraient tout aussi nocifs que ceux de la tradition psychiatrique dénoncée par Maurel : effondrement psychotique, anéantissement du système de métacommunication, incapacité à juger avec précision ce que l'autre cherche à signifier vraiment ; le comble serait véhiculé par ce qui suit : ainsi dépourvu de ces capacités de jugement, "l'être humain est semblable à un système autogouvernable, qui aurait perdu son régulateur et tournoierait en spirale, en des distorsions sans fin mais toujours systématiques". Il faut noter au passage que certains cliniciens du XIXème siècle avaient également insisté sur les aspects d'automates, de machines, des aliénés.

Enfin, le concept de "boîte noire" révélerait au fond l'insuffisance radicale du modèle : comment se résoudre à la laisser intacte ? ([18] p. 285).

Il est certain qu'en matière de psychose, nous en sommes à des théories explicatives, et que les théories essaient d'expliquer une partie des choses. Par rapport aux théories lacaniennes, Bateson et l'équipe de Palo-Alto ont pris la question à un autre niveau, plus pragmatique peut-être, et il est vrai que dans la famille d'un schizophrène, on retrouve souvent cette espèce d'attitude de double lien. La question est de savoir si c'est une cause ou une conséquence. C'est le problème de l'anxiété chez les gens qui ont un cancer : est-ce que le cancer se produit chez les gens anxieux ou est-ce que les gens qui ont un cancer deviennent ensuite anxieux ? Quand dans une famille il y a un enfant en devenir schizophrénique, il est certain que souvent l'entourage essaie "de s'arranger", au sens de Goldstein, avec lui, c'est à dire de vivre avec et d'obtenir un résultat. Ce que veut souvent une famille, c'est obtenir un résultat fonctionnel : savoir parler correctement, savoir manger correctement, savoir se tenir à table, savoir répondre aux questions posées d'une manière rationnelle, réussir en classe, et ensuite réussir dans sa profession. Ça fait partie des normes et des codes de toute société existante, pratiquement (surtout occidentale). Dans ce système là, il arrive que les familles essaient d'obtenir un résultat.

La question est : le psychiatre est-il un éducateur ? Si oui, alors il va essayer d'insérer dans un code et dans un système, comme le fait la famille, mais en faisant à la fois les demandes et les réponses, puisque celui qui est en face, étant psychotique, ne peut pas faire la réponse adaptée.

Mais on comprend très bien aussi le point de vue de Bateson : quand on supprime cette position particulière dans la famille, on améliore les relations. Il a tout à fait raison. Tout dépend à quel niveau on veut agir. Il est bien certain que dans une perspective très "société nord-américaine" où il s'agit de renvoyer les gens au travail, à une activité, à une production, etc. la théorie du double lien est parfaite. Ce que le DSM III qui est devenu une espèce de tarte à la crème résume en incluant comme critère le rendement professionnel dans l'année qui précédait, ce qui fait bondir les Européens et tous les non-Américains, car ça n'a pas de sens : quand quelqu'un est en chômage, il est schizophrène, à ce moment-là, puisqu'il n'a pas eu de rendement professionnel. Autrement dit, il a un score très élevé à cet item.

Pour nous, la perspective ouverte par Bateson est simplement un moyen d'approche, un moyen intéressant.

Ajoutons pour finir, que les pratiques contre-paradoxales peuvent être adoptées en-dehors de la référence américaine. Miermont en donne quelques exemples et rappelle même une attitude "paradoxale" adoptée par le grand psychiatre Daumézon en 1977 ([18] p. 290).

La pratique de la psychiatrie

En opposition à la définition proposée par Ruesch et Bateson, le travail du psychiatre pourrait être vu comme une aide pour que le sujet reprenne ses propres règles et ses propres valeurs, surtout si l'on parle de la psychose, parce que la psychothérapie au sens large n'est pas une éducation. Dans l'éducation, il s'agit d'arriver à insérer un enfant ou un adulte dans des normes, dans des règles, dans un cadre plus ou moins souple, et la qualité de l'éducateur, c'est justement de laisser à l'enfant une marge de sauvegarde et de liberté.

Dans la psychothérapie, il ne s'agit pas de donner un modèle. Ce que Freud et après lui Lacan ont bien marqué, c'est qu'il ne s'agit pas pour le sujet en psychothérapie de s'identifier au psychiatre, mais de transférer sur le personnage du psychothérapeute, ce qui est tout à fait différent. C'est à dire que le patient conserve toute sa liberté, et pas seulement la frange que voudrait bien lui en laisser l'éducateur. C'est là la différence fondamentale.

Sur le plan général, il y a des références à des règles -mais culturelles- dont la règle essentielle est celle du signifiant. A partir du moment où nous nous insérons dans un groupe social, ce groupe a un code particulier, dont le prototype est le langage, et que l'on ne peut pas ne pas s'insérer dans ce code faute de quoi il n'y a plus de communication, il n'y a plus d'échange. Mais c'est très large. Si l'on va dans un domaine plus particulier, nous ne pensons pas que le rôle du thérapeute soit de faire que le sujet soit conforme à une norme. Ce serait au prix d'une mutilation très grande, comme on l'a vu chaque fois qu'on a voulu faire de l'éducation de psychoses. A la limite, le névrosé peut toujours s'en tirer, au prix de quelques troubles fonctionnels, anxieux, ou autre. Le sujet atteint de psychose ne peut absolument pas être rééduqué.

"La psychothérapie n'a pas à faire avec un territoire objectif, elle a à faire avec quelque chose de l'ordre de l'intersection entre des cartes, avec la manière dont on construit le réel. Du réel on ne sait rien. Seul Dieu sonde les reins et les coeurs" ([11] p.336).

La formation du psychiatre

A propos de la formation du psychiatre, les auteurs remarquaient que l'enseignement est basé sur la transmission d'une technique de diagnostic (beaucoup de mots disponibles), mais peu sur la technique thérapeutique (peu de mots disponibles).

Par apport à l’approche américaine, ce qui paraît pourtant important une certaine tradition de l’enseignement de la psychiatrie en France, c'est que l'étudiant puisse repérer des signes plutôt que de faire un diagnostic. Qu’il apprenne à laisser le diagnostic toujours en suspens, parce que le véritable diagnostic est différentiel. Le signe étant polysémique, peut se retrouver chez le sujet qui n'a rien, chez le névrosé ou chez le psychotique. C'est leur distribution statistique plus ou moins fréquente qui fait que l'on aboutit à une probabilité de telle ou telle maladie. La démarche est donc une démarche diagnostique statistique. Elle va permettre d'établir un traitement adapté au diagnostic choisi, et ensuite une attitude personnelle.

On ne va pas se bloquer sur un diagnostic, sinon à partir du moment où on a décidé que c'était le bon, on n'entend plus et on ne voit plus les signes qui pourraient faire pencher pour un autre diagnostic.

L'évolution de la psychiatrie

En 1951, quand Ruesch et Bateson ont fini d'écrire ce livre, ils ont essayé de prévoir ce qui allait se passer dans les années à venir. Ils prévoyaient l'évolution de la psychiatrie selon trois axes. Nous en avons abordé deux : la communication et la systémique qui se sont développées ; la psychiatrie qui devient humaniste (en opposition à matérialiste). Le troisième axe est constitué par le passage à des Gestalten de plus en plus grandes, autrement dit à un point de vue de plus en plus large, de plus en plus global.

En France, un demi siècle plus tard, la psychiatrie a, volens nolens, adopté plusieurs points de vues émis par Bateson et Ruesch. Elle a élargi son champ d’application et repoussé ses frontières en intervenant dans le domaine social et culturel. C’est le développement considérable de l’action à l’extérieur de l’hôpital, qui n’est devenu qu’un maillon de la chaîne. Il est largement doublé de structures dites intermédiaires telles que les centres de crise, les centres médico-psychologiques, les visites à domicile, les appartements thérapeutiques et les lieux de travail protégé (centres d’aide par le travail, ateliers protégés). L’organisation même du temps libre est prise en compte par les centres d’animation, les centres de loisirs. La psychiatrie intervient très au delà de son champ d’application antérieur puisqu’elle a étendu son domaine à la délinquance (services de médecine psychologiques pénitentiaires), aux grands fléaux sociaux (toxicomanie, alcoolisme, SIDA) et aux problèmes de société (suicide). Enfin, si elle occupe déjà une place importante dans la prévention, elle va de plus en plus l’étendre et la renforcer.

La psychiatrie française a radicalement revu ses codes de communication : les psychiatres d’aujourd’hui s’expriment d’une façon plus accessible aux non-psychiatres. L’exemple le plus frappant est peut-être l’insertion des psychiatres au sein de la médecine somatique, y compris de la chirurgie la plus évoluée, en amont et en aval. Les services de soins palliatifs eux-mêmes voient s’accroître l’influence du psychiatre, chargé de l’accompagnement psychologique des patients et du soutien psychologique des soignants.

La découverte et la commercialisation des neuroleptiques, des antidépresseurs et des produits destinés à lutter contre l’anxiété a considérablement accru l’importance de l’arsenal thérapeutique dans le soin psychiatrique. Cela a paradoxalement conduit les psychiatres à s’interroger sur leur mission, sur leur limites et la place qu’ils occupent dans la dynamique de soin, c’est à dire sur leur légitimité. Ainsi, c’est la place de la médecine en totalité qui a évolué, les médecins n’étant plus le centre où aboutissent tous les canaux de communication qui concernent la pathologie et la souffrance, mais simplement un point de ce réseau. Les psychiatres ont dû, après un détour, revenir à l’humanisme premier, démarche que rend plus aisée la diminution de l’anxiété que provoquait antérieurement la dangerosité réelle ou supposée du malade mental.

La place même de ce dernier au sein de la société a complètement changé : du statut de citoyen à part il a accédé à celui de citoyen à part entière.

On voit par là que c’est l’ensemble du système qui a été débloqué et qui a acquis une plus grande souplesse.

Conclusion

Pour terminer cet article, nous avons choisi d’évoquer d’autres disciplines, comme la sociologie ou l’ethnologie, pour estimer les apports de Bateson et Watzlawick de façon comparative.

Bensa [6] lors du colloque de Cerisy consacré à Bateson, remarquait que l'École de Sociologie Française (Durkheim, Mauss, Lévi-Strauss) se situait aux antipodes de Bateson. Au reclassement des données les plus diverses en vue d'établir entre elles des correspondances logiques conçues comme les schémas d'une "pensée" sous-jacente (ou transcendante) à la pratique, Bateson préfère une observation quasi expérimentale des relations intersubjectives en jeu dans des situations particulières (rites, discussions, réceptions) etc. ([6] p.162). Lévi-Strauss (...) fait de la structure le support intellectuel caché, autonome et invariant des activités humaines (...) ancrées sur un petit noyau de procédures logiques universelles ([6] p.163). Pour Bateson, les structures sont immanentes au contexte. Pourtant, dès 1952, dans une conférence prononcée à New-York (traduite dans Anthropologie structurale, [15]) Lévi-Strauss signifiait son intérêt pour Bateson et Mead : "Déjà pourtant, dans Naven, Bateson dépassait le niveau des relations dyadiques pures, puisqu’il s’attachait à les classer en catégories, admettant ainsi qu’il y a autre chose et plus, dans la structure sociale, qui les relations elles mêmes : quoi donc, sinon la structure, posée préalablement aux relations ?" ([1] p. 362).

Bourdieu, à partir de la fin des années 60, a eut un rôle important dans la prise en compte, en sociologie, les travaux de Bateson. Plus tard, en effet, on put voir Lévi-Strauss se rapprocher de l'anthropologie culturelle américaine, de Margaret Mead notamment [16]. On vit aussi que les questions de Lévi-Strauss ont fait avancer la recherche américaine en anthropologie à partir des années 60 [25].

Autrement dit, en anthropologie, sociologie ou ethnologie, on a pu voir un échange théorique direct entre Bateson et les chercheurs français. Mais surtout on a vu un échange global de questions et de réflexions à partir des années 60.

En psychiatrie, l'échange date de dix ans plus tard. Il est sous la forme d'un apport des réflexions batesoniennes "pragmatisées", traduites par le groupe du MRI de Palo-Alto. Il y a deux axes :

Bibliographie

[1] BATESON, G. Naven, 1936. (trad. fr. La cérémonie du Naven. Paris : Éditions de Minuit, 1971 et Le Livre de Poche, 1986).

[2] BATESON, G., & MEAD, M. Balinese character. A photo analysis. New-York, Academy of Sciences, 1942.

[3] BATESON, G. & RUESH, J. Communication : the social matrix of psychiatry, 1951. (trad. fr. Communication et société. Paris, Seuil, 1988).

[4] BATESON, G., JACKSON, D.D., HALEY, J., & WEAKLAND, J.H. Towards a theory of schizophrenia, 1956. (trad. fr. Vers une théorie de la schizophrénie. In G. Bateson, Vers une écologie de l’esprit, Tome 2, pp. 9-34. Paris, Seuil).

[5] BATESON, M.C. Comment a germé Angels fear. In Y. WINKIN, (Ed.), Bateson : premier état d’un héritage. Colloque de Cerisy. (pp. 26-43). Paris, Seuil, 1988.

[6] BENSA, A. Individu, structure, immanence. In Y. WINKIN, (Ed.), Bateson : premier état d’un héritage. Colloque de Cerisy. (pp. 153-170).Paris, Seuil, 1988.

[7] BERTALANFFY, L. von General system theory. (trad. fr. La théorie générale des systèmes, Paris, Dunod, 1993).

[8] COSNIER, J. (1988). De Freud et de Bateson. In Y. WINKIN, (Ed.), Bateson : premier état d’un héritage. Colloque de Cerisy. (pp. 252-263). Paris, Seuil, 1988.

[9] COTTRAUX, J. Les thérapies comportementales et cognitives. Paris, Masson, 1990.

[10] DUPUY, J.-P. Aux origines des sciences cognitives. Paris, La Découverte, 1994.

[11] ELKAÏM, M. Cartes, singularité et sens. In Y. WINKIN, (Ed.), Bateson : premier état d’un héritage. Colloque de Cerisy. (pp. 331-338). Paris, Seuil, 1988.

[12] GIRIBONE, J.-L. Ce que nous a appris Palo-Alto. Esprit, Décembre, pp. 113-130, 1988.

[13] GUILLAUME, P. La psychologie de la forme. Paris, Flammarion, 1937.

[14] LACAN, J. Les écrits techniques de Freud. Le séminaire (53-54) Livre 1. Paris, Seuil, 1975.

[15] LÉVI-STRAUSS, C. Anthropologie structurale. Paris, Plon, 1958. (les numéros de pages sont ceux de l’édition "Agora" de 1974).

[16] LÉVI-STRAUSS, C. De près et de loin. Entretiens par Didier Eribon. Paris, Odile Jacob, 1988.

[17] MAUREL, H. PUJOL, B., BOUDET, M. & BERNE, A. La schizophrénie institutionnelle. L’information Psychiatrique, 59, Numéro Spécial "Les Shizophrénies", pp. 325-345, 1983.

[18] MIERMONT, J. Le concept de schizophrénie de Bleuler à Bateson : les catégories de la communication. In Y. WINKIN, (Ed.), Bateson : premier état d’un héritage. Colloque de Cerisy. (pp. 278-298). Paris, Seuil, 1988.

[19] PARIOCHA, D. Cosmologie de l’information. Paris, Hermès, 1994.

[20] PÉLISSIER, A., & TÊTE, A. (Eds.), Sciences cognitives. Textes fondateurs (1943-1950). Paris, PUF, 1995.

[21] PIAGET, J. La construction du réel chez l’enfant. Paris, PUF, 1937.

[22] SHANNON, C. The mathematical theory of communication, 1946-49. (trad. fr. WEAWER, W., & SHANNON, C.E., Théorie mathématique de la communication. Paris, Retz, 1975).

[23] WATZLAWICK, P. (Ed.), Die Erfundene Wirklichkeit. Wie wissen wir, was wir zu wissen glauben ? Beitrâge zum Konstuktivismus, 1981. (trad. fr. L’invention de la réalité. Contribution au constructivisme. Paris, Seuil, 1988).

[24] WATZLAWICK, P. (1988). À propos de Gregory Bateson. In Y. WINKIN, (Ed.), Bateson : premier état d’un héritage. Colloque de Cerisy. (pp. 44-55). Paris, Seuil, 1988.

[25] WINKIN, P. (Ed.), La nouvelle communication. Paris, Seuil, 1984.