Tricot, A., & Nanard, J. (1998). Un point sur la modélisation des tâches de recherche d’informations dans le domaine des hypermédias. Hypertextes et Hypermédias, n° hors série, 35-56.

 

 

 

 

Un point sur la modélisation des tâches de recherche d’informations dans le domaine des hypermédias

 

 

 

Introduction

Dans un sens très large, modéliser une tâche consiste à décrire ce que fait ou ce que veut faire un sujet dans une situation. Pouvoir réaliser précisément ce type de description est important à trois titres.

Dans le cadre de la conception, modéliser la tâche consiste à décrire la situation de travail et l’activité de l’opérateur (ou du type d’opérateur) pour lesquels on élabore un nouvel outil. Un modèle de tâche peut aussi permettre de décrire la situation future : celle dans laquelle se trouvera l’opérateur une fois qu’il disposera du nouvel outil. Dans un cas comme dans l’autre, la modélisation de la tâche est la base du processus de conception.

Dans le cadre de l’évaluation, modéliser la tâche consiste à décrire la situation de travail telle qu’elle "devrait être" si l’opérateur atteignait de façon optimale le but fixé avec l’outil que l’on évalue. Le modèle de tâche sert ici de référent, soit pour l’évaluation directe d’un outil ("cet outil permet-il de réaliser la tâche de façon optimale ?"), soit pour une comparaison avec le modèle de la tâche utilisé lors de la conception de l’outil ("est-ce que l’utilisateur peut réaliser cette tâche avec cet outil ?"). Sans ce type de référent, l’évaluation peut être très vague ou "à côté" du problème posé.

Dans le cadre de l’interprétation de l’activité des sujets, modéliser la tâche consiste à décrire la situation à laquelle est confronté le sujet, et permet donc de définir a priori ce que devrait faire le sujet, selon telle ou telle théorie de l’activité humaine. Comme le montre Anderson [AND 90a ], la théorie en question peut être extrêmement rudimentaire, mais, sans ce type de modèle, le chercheur en psychologie ne peut que se borner à constater des faits et, éventuellement, à émettre des hypothèses locales.

La modélisation de la tâche est donc considérablement importante dans les domaines où l’on conçoit des systèmes, où on les évalue et où l’on étudie l’activité des utilisateurs. Dans le domaine des hypermédias, la modélisation des tâches semble être plutôt un "enjeu majeur" (probablement depuis le papier de Bernstein [BER 93 ]) qu’une pratique répandue. L’objectif de cet article est de faire le point sur une des tâches courantes dans les environnements hypermédias : la recherche d’information. Nous n’aborderons pas d’autres tâches comme l’importation et la transformation d’informations, la structuration, etc.

Dans un premier temps, nous présentons les formalismes de description des tâches et leur utilisation dans le domaine des hypermédias. Nous constatons que ces formalismes sont très peu élaborés dans ce domaine de l’informatique et que l’importation de formalismes provenant d’autres domaines requiert une certaine prudence. Dans un second temps, nous abordons la catégorisation des tâches. Des ébauches de catégorisation de tâches de recherche d’information ont été proposées, mais on est loin d’avoir abouti à une solution satisfaisante. Dans une dernière partie, nous montrons comment, malgré les réserves que nous aurons soulevées, on peut modéliser des tâches de recherche d’information.

Les formalismes de description des tâches et leur utilisation dans le domaine des hypermédias

 

Définitions

Classiquement dans les sciences cognitives comme en ergonomie, une tâche est définie comme un but à atteindre dans un environnement donné au moyen d'actions ou d'opérations [LEO 72, LEP 83, SIM 91].

Le but est défini comme un état, différent de l'état initial. Un but est atteint par une séquence, prédéterminée ou non, de sous-buts, dont chacun correspond à une transformation de l’état de l’environnement. L'ensemble [état initial -> changements d’états -> état final], ainsi que la forme de la séquence de sous-buts constituent la structure de but. Il convient de distinguer le but de son exploitation : par exemple, le but peut être de trouver une référence ou de calculer une fonction ; son exploitation est l'action ou l'opération effectuée par le sujet avec cette référence ou ce résultat. L'exploitation peut ne pas être effectuée sur le système en question mais influencer la planification ou l'exécution de la tâche. Par exemple, un but peut être de rechercher le meilleur site web sur le rôle des hypermédias en éducation ; mais la réalisation de cette tâche (la définition de critères, la lecture du document, etc.) pourra être différente selon que l’on veut créer un lien à partir d’un site vers le site sélectionné ou seulement savoir quels sont les chercheurs cités dans ce document. L'exploitation du but définit le contexte ergonomique de l'activité du sujet, par opposition au contexte physique de l’activité, i.e. l’environnement.

L'environnement de la tâche est défini comme l'ensemble des paramètres pouvant influencer ou être manipulés lors de la planification ou de l’exécution de l’activité, ou comme l'ensemble des caractéristiques "relativement pertinentes" de la situation dans laquelle est effectuée la tâche. Deux grandes catégories de caractéristiques sont prises en compte : celles du système lui-même (composants, architecture, fonctionnalités) et celles de l'interface (ce qui est visible).

Les actions et les opérations permettent de passer d'un sous-but n à un sous-but n+1. Les actions concernent les aspects physiques de l'activité du sujet tandis que les opérations concernent les aspects cognitifs.

Tâche prescrite versus tâche effective

Une tâche prescrite ou objective est relativement extérieure à l’opérateur : c’est ce qu’on lui "demande de faire" ou ce qu’ "il y a à faire". On oppose généralement cette tâche à la tâche effective, c’est-à-dire à ce que fait réellement l’opérateur humain. Car, l'utilisateur interprète la tâche : cette représentation cognitive de la tâche par l’opérateur humain peut être (est) sensiblement différente de la représentation que l’on pourrait s’en faire en analysant rationnellement la situation [LEP 83 , RIC 85 ]. La représentation cognitive de la tâche, qui est dans la tête de l'utilisateur, donc inobservable, va avoir un rôle primordial dans la planification et dans la réalisation de la tâche par l'utilisateur [HOC 87 , LEP 90 , RIC 90a ]. Par exemple, l'image du but va pouvoir jouer le double rôle de référent évaluatif lors de la conduite de l'activité (mesure de l'écart au but) et de signal de fin de l'activité [DEV 94 ]. Cette représentation, qui est la base de la planification et de l’exécution de l'action, est elle-même modifiée au fur à mesure de la réalisation de la tâche (régulation à partir du résultat courant de l'activité du sujet [INH 78 ] ; cf. plus généralement [NOR 86]).

En résumé, le sujet perçoit la tâche prescrite dans l’environnement, et, en fonction de ses connaissances antérieures et de ses objectifs, il interprète cette tâche : il élabore une représentation du but à atteindre, des moyens qu’il devra mobiliser et de l’environnement - du système - dans lequel il va réaliser cette tâche. Cette représentation est le guide de la planification de son activité. Dès qu’une opération ou une action a été exécutée, l’utilisateur voit le résultat (i.e. un changement d’état de l’environnement). L’interprétation de ce résultat à l’instant t va jouer un rôle de contrôle - régulation : maintien ou changement de la représentation de la tâche (i.e. de la représentation du but et/ou des moyens et/ou de l’environnement).

Modélisation de la tâche et formalismes d’analyse

La modélisation de la tâche consiste généralement, à partir de la tâche prescrite, à décrire une procédure optimale d’atteinte du but, soit une séquence d’actions ou d’opérations dans un environnement donné. Si elle est focalisée sur l’opérateur, la modélisation de la tâche devient la description de ce qu’un sujet devrait faire dans un système ou dans une situation de référence. La modélisation de la tâche est donc en principe rationnelle ou optimale. Mais elle peut tout aussi bien être consacrée à la tâche effective. La modélisation de la tâche est un moyen utilisé en conception (que cette conception soit centrée sur l’utilisateur ou la situation) [BAR 88a ; BAR 95], en évaluation, ou en analyse de l’activité des opérateurs.

La modélisation de la tâche se fait généralement au moyen d’un formalisme.

Un formalisme d’analyse ou de description de tâche est un outil qui consiste en un ensemble de descripteurs : du but, des moyens et de l’environnement de la tâche. Nous évoquerons plus bas quelques-uns de ces outils comme GOMS, ALG ou MAD. Certains de ces formalismes sont explicitement destinés à la modélisation rationnelle de la tâche tandis que d’autres cherchent à prendre en compte la représentation que l’opérateur se fait de la tâche.

Principes et limites de quelques formalismes d’analyse de tâches

La conception classique d’un système informatique consiste à "implémenter" les procédures issues de l’analyse rationnelle des processus impliqués dans la situation (e.g. la méthode Merise [TAR 86 ]), soit une description issue de l’analyse de la situation de travail dans laquelle on compte intégrer le système. Le problème de ce type d’approche est que l’utilisateur (présent ou futur) ne se représente pas nécessairement la situation, le processus, avec la même logique que celle du concepteur [RIC 82 ], et plus généralement que cette représentation n’est pas "rationnelle". Il peut ainsi y avoir un décalage entre la tâche envisagée par le concepteur et celle que traite effectivement l’utilisateur. L’approche ergonomique de la conception consistera, par contraste, à définir une compatibilité entre les descriptions machine et utilisateur, ce qui est loin d'être évident car l’on ne dispose pas de données objectives ou rationnelles sur la représentation que l’utilisateur se fait de la tâche, mais seulement de méthodes de recueil (par observation, par entretien) qui permettent d’inférer ce que pourrait être cette représentation cognitive de la tâche (voir aussi une "fonction de transfert" comme celle rapportée dans [MAH 93 ]). Du côté des approches plus "ergonomiques," on dispose de quelques formalismes. A titre d’exemple, on peut citer :

ALG (Action Langage Grammar, [REI 81 ]) décrit les actions, ou, plus précisément, une décomposition des actions nécessaires à la réalisation de la tâche en actions élémentaires et buts élémentaires. Cette description permet de prédire la charge mentale impliquée dans telle ou telle tâche, et donc la difficulté que va rencontrer le sujet dans son exécution.

GOMS (Goals, Operators, Methods, Selection rules, [CAR 83 ]) décrit non seulement la structure de but et les actions élémentaires nécessaires à la réalisation de la tâche, mais aussi les procédures ou "méthodes" d'atteinte du but et les règles de sélection de ces méthodes. Le modèle prédit aussi le temps d’exécution de chaque action.

Ces deux formalismes, ainsi que d’autres, censés prendre en compte l’opérateur ont été abondamment critiqués, paradoxalement sur les mêmes points que Merise : ils sont rationnels, postulent l’efficacité maximale de l’opérateur, et sont incapables de rendre compte d’erreurs. On leur reproche, en quelque sorte, d’être "inhumains". Nous aborderons plus loin, en détail, la critique de GOMS dans le domaine des tâches de recherche d’information.

Plus récemment, une équipe française a élaboré une méthode de description des tâches centrée sur l’utilisateur, dans une perspective de conception ou d’évaluation : MAD (Méthode Analytique de Description, [SCA 90 , SEB 94a ]) qui permet de décrire des tâches et de les comparer entre elles. Chaque tâche est représentée par plusieurs caractéristiques : l’identification, les éléments et les attributs de la tâche. Pour identifier la tâche on lui donne un numéro et un nom. Les éléments de la tâche sont :

Enfin, les attributs de la tâche sont les caractéristiques particulières de certaines sous-tâches (facultatives, itératives, prioritaires, interruptibles).

Mais, comme le soulignent les auteurs (voir en particulier [HAM 93 , SEB 94b , SEB 95 , GAM 97 ]) le principal objectif de ce formalisme ne réside pas tant dans la description de la tâche que dans l’exploitation de cette description dans le cadre de la conception et de l’évaluation, notamment de l’interface. Ils proposent [SEB 94b ] :

Il existe des formalismes de description de tâches relativement détaillés, généralistes et orientés vers la conception ou l’évaluation. Nous allons examiner maintenant les domaines de la recherche d’information et des hypermédias, et tenter de montrer l’état d’avancement (relativement faible) de la description des tâches dans ces recherches.

La description de tâches de recherche d’informations dans le domaine des hypermédias

Dans le domaine des hypermédias, les descriptions de tâches de recherche d'information sont rares et souvent d'un faible niveau d'analyse (voir tout de même [BEL 97 , MAR 88 , MAR 95 , WAT 91 ]), malgré l’existence de formalismes propres pour décrire des structures d’information, des algorithmes de recherche, ou même des modèles de l’utilisateur (au sens que les spécialistes d’Intelligence Artificielle attribuent à ce terme), comme celui de Kok [KOK 91 ]. La raison en est simplement que l’on ne dispose pas, à notre connaissance, d’outils spécifiques de description des tâches de recherche d’information.

Selon nous, cette absence s’explique par le fait qu’une tâche de recherche d’information dans un hypermédia n’est pas un but en soi, mais un moyen de réaliser une autre tâche, comme l’apprentissage par exploration d’une notion, la conception d’un document, la résolution d’un problème, la constitution d’une documentation, etc. Ce statut de "tâche secondaire" dans des environnements de tâche très différents pourrait gêner l’élaboration d’un formalisme spécifique ; en outre, une tâche de recherche d’information dans un hypermédia pourrait n’avoir rien de très spécifique et être décrite avec les mêmes outils que les autres tâches.

Du côté de la conception, on dispose de quelques descriptions de tâches de recherche d’information, comme celle de Nanard et Nanard [NAN 93 ] qui ont distingué deux tâches, en se fondant sur deux métaphores : celle de l’expert et celle du généraliste. La métaphore du généraliste décrit une tâche de recherche d'information, rarement considérée dans le domaine, et caractérisée par une relation particulière entre le niveau d'expertise (moyen), le nombre de réponses (important) et leur niveau de détail (moyen). Le sens de la métaphore réside donc dans le fait qu’un généraliste a une connaissance "macroscopique" du domaine. La métaphore de l'expert, dominante dans le domaine de la recherche d'information, associe au contraire un niveau d'expertise élevé à un domaine de connaissance restreint et détaillé.

Ainsi, alors que le paradigme dominant en recherche d'information utilise le critère de précision (qui signifie ici non-sélection d'un item non-pertinent) pour l'évaluation d'une recherche [SAL 83 ], le paradigme que proposent Nanard et Nanard utiliserait plutôt un critère de type "recouvrement" des connaissances générales potentiellement pertinentes. Il nous semble important d’insister sur le fait suivant : si l’on excepte les efforts de quelques-uns, le flou qui règne dans la description des tâches de recherche d’information a des conséquences négatives non seulement pour la conception mais aussi pour l’évaluation et pour l’analyse de l’activité de l’utilisateur.

Du côté de l’évaluation et de l’analyse de l’activité de l’utilisateur donc, on dispose essentiellement de comptes rendus d’utilisation d’hypertextes, principalement consacrés aux tâches d'apprentissage et d'extraction d'information : comparaison de l'activité dans des formats de documents différents, effet de la consigne sur l'activité, ... (voir les recensions de [ROU 96 , TRI 94 , TRI 95a ]). Ces travaux présentent quelques résultats convergents. Ils soulignent en particulier l'intérêt des structures en réseau (hypertextes) pour les tâches difficiles, exploratoires, globales, à long terme, et à but flou. Les tâches trop précises, trop locales semblent défavorisées par ces mêmes environnements. Les évaluations d’utilisation de SGBD, longtemps focalisées sur la compréhension des langages de requête ou sur l’efficacité de l’algorithme de recherche, soulignent souvent que les utilisateurs novices sous-utilisent ces systèmes, ne se représentent pas leurs potentialités (e.g. [KUH 89 , WEY 82 ]). Si bien que l’on pourrait croire que la description formelle des tâches d’extraction d’information échappe aux novices dans l’utilisation de ces systèmes.

Ces quelques considérations peuvent donc nous conduire à proposer que la description des tâches de recherche d’information doit croiser trois niveaux de descriptions :

Ce constat d’absence d’outils spécifiques a conduit certains chercheurs à essayer d’évaluer la pertinence de l’importation d’outils d’analyse de tâche de recherche d’information dans le domaine des hypermédias.

Des outils d’analyse appliqués aux hypermédias

Dans cette partie, nous rapportons les résultats de deux recherches consacrées à l’utilisation d’hypermédias et ayant importé des formalismes "généralistes" d’analyse de tâche (MAD et GOMS). De très nombreux autres formalismes pourrait être utilisés et testés dans ce domaine.

Utilisation de MAD pour décrire une tâche de recherche d’information

Dans une expérience récente [TRI inp ], l’un d’entre nous a voulu évaluer en quoi le formalisme MAD constituait ou pas un bon cadre pour décrire des tâches de recherche d’information. La deuxième idée de cette expérience était d’évaluer la pertinence des critères de rappel et de précision, qui sont issus du domaine de l’information retrieval (voir également de Vries et Tricot dans ce volume).

NOM : T 1

ÉTAT INITIAL : Un ordinateur Macintosh Performa avec un texte d'accueil à l'écran + 56 écrans et 4 outils

ÉTAT FINAL : non différent donc non-visible : les sujets n’ont pas de signal de fin.

BUT : ouvrir et lire le noeud "neurologue" ; ouvrir et lire le noeud "obsession" ; ouvrir et lire le noeud "qualités morales".

PRÉCONDITIONS : lexique = vrai

POSTCONDITIONS :

DONNÉES UTILISÉES : contenus d’écrans (3 noeuds pertinents), barre d’outils

OUTILS UTILISÉS : boutons d’appel "lexique" (ouvrent un lexique / index alphabétique) ; boutons du lexique (ouvrent les noeuds de contenu correspondant)

STRUCTURE DE LA TÂCHE : Parallèle

TÂCHE ÉLÉMENTAIRE :

TÂCHE COMPOSITE :

T1 : ouvrir et lire le noeud "neurologue" ; ouvrir et lire le noeud "obsession" ; ouvrir et lire le noeud "qualités morales"

T 1. 1 : ouvrir le noeud Lexique

T 1. 1. 1. : cliquer sur l'un des boutons "neurologue", "obsession", "qualités morales", sauf si déjà ouvert.

T 1. 1. 2. : lire le noeud ouvert

T 1. 1. 3. : retour en T 1. 1.

Tableau 1. Description de la tâche T1 avec MAD

L’expérimentation a eu lieu sur une pile Hypercard décrivant la profession de psychiatre, et contenant 60 noeuds (dont 4 noeuds "outils" : sommaire, index, accueil, rubriques). Chacun des 56 "noeuds de contenu" était un texte descriptif de 80 mots (en moyenne). Le sommaire est la liste organisée des noeuds en fonction des liens (donc du contenu). L’index-lexique est la liste alphabétique des noeuds.

Un "écran d’accueil" était affiché lors de la présentation de la consigne, avec le texte suivant : "Dans ce logiciel, il suffit de cliquer sur la zone de son choix (mot en gras, partie encadrée). Par exemple, ici, cliquez sur le mot "psychiatre", ou sur les cadres "lexique", "sommaire", etc., pour avoir des renseignements sur ce métier".

Trois tâches {T1, T2, T3} étaient proposées à trois groupes indépendants de sujets. Dans un second temps, on introduisait une contrainte lors de la présentation de la consigne. On demandait à d’autres groupes indépendants de sujets de réaliser la tâche "en ouvrant le moins d’écrans possible". Les résultats présentés comparent cette condition "contrainte" à l’expérience précédente que l’on peut qualifier de "libre".

La tâche T1 est décrite par l’analyse rationnelle à partir de MAD (Tableau 1).

Le lecteur pourra se rapporter à l’article de de Vries et Tricot pour une présentation des différentes consignes que recevaient les sujets pour les trois tâches.

La structure de la tâche décrite s’opérationnalise de la façon suivante :

Il est à noter que l’utilisation du "sommaire" permet une procédure aussi simple que celle décrite. Nous pensions simplement que l’index est plus "pratique" car il présente tous les noeuds en un seul écran alors que le "sommaire" implique l’utilisation d’un ascenseur.

Protocoles observés

Pour la tâche T1, 4 sujets sur 10 ont un parcours assez semblable à celui décrit par MAD. Il ne semble pas qu’il y ait d’utilisation préférentielle du sommaire ou de l’index (lexique).

Les 6 autres sujets utilisent visiblement une procédure d’exploration linéaire (avec le "tourne page" qui permet une exploration exhaustive du document), après n’avoir pas trouvé un des trois noeuds pertinents ; mais, avec cette procédure, quand le sujet trouve le noeud en question, il n’interrompt pas son activité.

Quand on présente cette même tâche avec la consigne "faites-le en ouvrant le moins de noeuds possibles", 8 sujets sur 10 ont des parcours assez semblables à ceux décrits par MAD.

Mais, si les procédures semblent plus proches avec la contrainte "en ouvrant le moins de noeuds possibles" que sans, il faut noter qu’avec la contrainte un sujet ne trouve pas le noeud "Qualités morales".

Le fait d’avoir décrit précisément la procédure avec MAD nous permet donc d’interpréter les parcours des sujets :

Deux autres tâches, T2 et T3 ont été proposées à deux autres groupes de sujets (Tableau 2).

T 2 : ouvrir et lire les noeuds "psychoses" ; "névroses" ; "schizophrénie" ; "paranoïa" ; "dépression" ; "anxiété" ; "phobies" ; "hystéries" ; "obsession"

T 2. 1. : ouvrir le noeud sommaire

T 2. 1. 1. : cliquer un des boutons "psychose, névrose, schizophrénie, paranoïa, dépression, anxiété, obsession, hystérie, phobie" sauf si déjà ouvert

T 2. 1. 2. : lire le noeud ouvert

T 2.1.2.1. : si cette noeud comporte les boutons "dépression, anxiété, phobie, hystérie, obsession", cliquer sur le premier bouton non déjà ouvert

T2.1.2.2 : lire le noeud

T2.1.2.3 : cliquer sur noeud suivant

T2.1.2.3.1 : si ce noeud comporte les boutons "obsession, hystérie, phobie", cliquer sur le premier bouton non déjà ouvert

T2.1.2.3.2 : lire le noeud

T2.1.2.3.3 : cliquer sur noeud suivante

T2.1.2.3.4 : si les boutons "phobie, hystérie, obsession" ont été ouverts, retour en T2.1

T 3 : Lire exhaustivement le document

T 3. 1. : ouvrir le premier noeud

T 3. 1. 1. : cliquer sur le bouton "plein texte" du noeud d'accueil

T 3. 1. 2. : lire le noeud ouvert

T 3. 2. : consulter les autres noeuds

T 3. 2. 1. : cliquer sur "noeud suivant"

T 3. 2. 2. : lire le noeud

T 3. 2. 3. : recommencer en T 3. 2. 1.

 

Tableau 2. Description des tâches T2 et T3 avec MAD

La tâche 2 comporte donc 9 cibles tandis que la tâche 3 en comporte 56 ; mais la procédure rationnelle décrite avec MAD est plus simple pour la tâche T3 que pour la tâche T2. MAD va donc nous servir à évaluer si la difficulté éprouvée par le sujet est plus liée au nombre de cibles ou à la complexité de la procédure.

L’analyse des protocoles montre que les sujets éprouvent moins de difficultés à réaliser la tâche T3 que la tâche T2, notamment les sujets qui adoptent une stratégie identique à la procédure rationnelle décrite avec MAD pour réaliser T3. L’introduction de la consigne "en ouvrant le moins de noeuds possible" entraîne une exécution de T2 plus proche de la procédure rationnelle, même si le nombre de cibles sélectionnées n’est pas significativement meilleur.

L’utilisation de GOMS pour décrire une tâche de recherche d’information

Wright et Lickorish [WRI 94 ] se sont intéressées aux stratégies de navigation et au choix des outils d’aide à la mémorisation en fonction du coût cognitif impliqué dans la tâche. Celle-ci consistait à localiser et à comparer des informations dans un document informatisé (comparer des prix de produits dans différents magasins). Deux systèmes de navigation sont fournis pour accéder aux informations : d’une part un index qui présente sous forme de tableau toutes les informations disponibles dans le document, d’autre part, un menu dont les trois icônes déroulent respectivement la liste des magasins, des rayons et des produits. S’ajoutent à ces deux modes, trois outils d’aide à la mémorisation. Le Planner permettait aux sujets de construire l’itinéraire des noeuds à visiter. Le Notebook permettait l’enregistrement des informations voulues afin de les comparer plus tard. Enfin, la fonction re-reading consistait à faire apparaître la question et le noeud dernièrement visité. Contrairement aux prédictions du modèle GOMS (Goals : buts poursuivis, Operators : opérateurs, Methods : méthodes, Selections rules : règles de sélection des méthodes), l’index, considéré comme la procédure la plus courte pour atteindre les informations, est moins utilisé que le menu. Il a été ainsi montré que les sujets n’utilisent pas nécessairement la méthode optimale. Wright et Lickorish ont interprété ce phénomène en expliquant que l’index trop riche en informations (80 items) implique un trop fort coût cognitif. De plus, il occupe tout l’espace de l’écran et le sujet perd les indices visuels pour repérer l’action à effectuer. Cependant, le menu étant une procédure plus longue, l’utilisation des outils (aide-mémoire) devient nécessaire.

Pour les auteurs, l'échec de GOMS est dû au fait qu’un facteur important dans le choix d'une stratégie (qui va guider l'action) est la représentation de la tâche, qui dépend entre autres de la perception que l’utilisateur peut avoir de l'état du but et des choix qu'il peut faire, donc, entre autres, des caractéristiques de l'interface. Et GOMS est incapable de décrire cela.

Conclusion

L’utilisation d’un formalisme de description de tâches tel que MAD constitue un bon cadre d’analyse pour les tâches de recherche d’information dans un hypermédia. La description de la procédure optimale n’est pas spécifique à MAD et pourrait être faite avec n’importe quel autre formalisme ou arbre de choix. Au delà de la nécessité évidente d’évaluer plus précisément la pertinence de ce type de cadre, voire même d’en créer un spécifique, nous constatons qu’un formalisme comme MAD est avant tout un remarquable cadre qui "contraint" le chercheur à décrire précisément ce qu’il veut faire et ce qu’il demande aux utilisateurs.

Mais les limites soulignées par Wright et Lickorish à propos de GOMS sont tout à fait considérables : la description d’une procédure rationnelle d’exécution de la tâche à l’intérieur de GOMS (ou à l’intérieur de n’importe quel autre formalisme) ne peut pas correspondre à la façon dont l’utilisateur fonctionne. Pour les tâches les plus simples, la différence entre la description rationnelle et l’activité effective est négligeable. Mais dès qu’une tâche est un peu complexe, la différence est considérable.

Dans des domaines plus anciens de l’ergonomie et de la psychologie cognitive, ce type de constat a été établi depuis longtemps. Il a conduit les chercheurs vers différentes voies. Une première approche a consisté à dire qu’il fallait prendre en compte les limites de la capacité de traitement du système cognitif humain pour élaborer les modèles. Mais cette prise en compte est excessivement difficile voire impossible [TRI 96a, TRI 96c ]. Le débat porte, depuis le début des années 90 sur l’intérêt de cette différence : pour certains elle est rédhibitoire, pour d’autres c’est le fait même qu’il y ait une différence qui fonde l’interprétation de l’activité des sujets (voir les débats dans [LEH 91 ] et dans [CSC 93 ]).

Catégorisation de tâches

Après avoir décrit des tâches, il faut être capable de les catégoriser, c’est-à-dire d’identifier un certain nombre de descripteurs particulièrement pertinents qui permettent de définir en quoi deux tâches sont comparables, et donc en quoi deux situations, deux résultats, deux évaluations sont comparables. L’établissement de systématiques permet d’envisager de façon plus générale les axes de comparaison entre les tâches.

L’exemple de l’ergonomie et de la psychologie cognitive

L’intervention des ergonomes dans le monde industriel a conduit, depuis des années, à catégoriser les tâches, c’est-à-dire à définir des systématiques, ou du moins des critères, qui permettent de comparer des tâches entre elles. Il existe par exemple une littérature abondante sur les tâches de contrôle de processus de dynamiques [HOC 96 ]. A l’intérieur de cette catégorie de tâches, les principaux descripteurs sont l’étendue du champ de supervision et de contrôle, la proximité du contrôle et les délais de réponse, l’accessibilité, la continuité et la vitesse du processus. Une littérature plus spécialisée peut concerner un des descripteurs, comme la dimension temporelle de l’activité [CEL 96 ] et préciser les implications de cette dimension sur la conception (d’interface, de systèmes) [JOH 96 ]. Ce type de descripteur et de catégorisation des tâches permet ainsi d’étudier de façon générale les tâches de contrôle de processus de dynamiques, que ce soit dans des contextes industriels (hauts fourneaux, centrales nucléaires), de conduite de mobile (navire, avion, voiture), de contrôle de trafic (aérien, de bus) ou même dans le contexte médical.

Plus près de la psychologie cognitive, on distingue, par exemple, les tâches de résolution de problèmes bien définis des tâches de résolution de problèmes mal définis. Un problème bien défini est un problème dont on connaît tous les éléments, notamment l’état initial et l’état final. Un problème mal défini est un problème dont on ne connaît pas l’état final (on ne connaît que les critères auxquels il doit satisfaire). De plus, cet état final n’est pas forcément unique, plusieurs situations peuvent satisfaire les critères. On distingue aussi les tâches de résolution de problèmes à états finis des tâches de résolution de problèmes à états non finis : les problèmes à états finis ne comprennent qu’un nombre limité d’états possibles du fait de leur structure (voir [RIC 90b] ).

tâches de résolution de problèmes

bien définis

mal définis

à états finis

ex : Tour de Hanoï

ex : problème arithmétique

à états non finis

ex : problème dont on ne sait pas s’il admet une solution

ex : conception

Tableau 3. Un exemple de systématique : la catégorisation des tâches de résolution de problèmes

D’autres catégorisations ont été proposées, notamment celle de Greeno [GRE 78 ] qui distingue les tâches de résolution de problèmes d’induction de structure (identifier la structure de relations entre un ensemble d’éléments), de transformation (transformer la situation initiale pour qu’elle corresponde à l’état final) et d’arrangement (trouver un ou plusieurs arrangements satisfaisant des critères donnés à partir d’un arrangement de départ). Il nous semble important de souligner que la focalisation d’une bonne partie de la psychologie cognitive sur des tâches de résolution de problème, et la difficulté que les chercheurs ont eue à généraliser certains résultats, les a conduit à s’interroger très sérieusement sur la description et la catégorisation des tâches. Le cas des problèmes "analogues" qui entraînent des performances différentes a notamment permis de rendre compte des effets de l’habillage verbal des problèmes et de la représentation que le sujet peut s’en faire.

Quelques tentatives de catégorisation dans le domaine des hypermédias

Dans le domaine des hypermédias, on peut recenser les grandes catégories d'application des hypermédias : les applications dédiées aux apprentissages (EAO), à l'extraction d'information (SGBD), à l'échange d'information (Internet), aux renseignements (bornes interactives) et les aides à l'écriture (SEPIA [STR 92]), à la planification, ou à l'étude de documents [DEL 90 ]. Les applications comme l'EAO et les SGBD utilisent l'hypermédia pour faciliter l'accès et l'interaction, mais aussi pour la gestion de tâches à but flou ou à but "large" (e.g. ETOILE [DIL 93 ]). La seule base commune à tous ces systèmes est qu'ils supportent une utilisation où alternent les activités de sélection, de compréhension et d'évaluation. Mais décrire une catégorie d'applications peut au mieux permettre de décrire le contexte de l'activité de l'opérateur, et non les tâches.

Certains auteurs ont établi des grandes catégories de tâches. Par exemple, Bernstein [BER 93 ] (évoqué par Nanard et Nanard dans ce volume) distingue "l'information mining qui conçoit qu'une information pertinente est une ressource de valeur qui doit être extraite efficacement et raffinée (...) ; l'information manufacturing qui conçoit l'acquisition, le raffinement, l'assemblage et la maintenance d'information comme une entreprise continue (...) ; l'information farming qui conçoit la "culture" de l'information comme une activité continue et collaborative conduite par des groupes de personnes travaillant ensemble à la réalisation de buts changeants, individuels et communs" (p. 242, notre traduction). La première activité correspond aux systèmes d'extraction d'information, la deuxième aux EAO (par exemple) et la troisième à la tradition "romantique" des hypertextes (Engelbart, Nelson). Bernstein fait très justement remarquer que les critères d'évaluation de ces trois activités sont radicalement différents, et qu'à partir du moment où l'on veut faire une activité dans un système qui n'est pas prévu à cet effet, la démarche est vouée à l'échec : il cite l'exemple classique qui consiste à vouloir faire de l'information retrieval dans un environnement hypertexte. Cette question est abordée en détail par de Vries [VRI 97 ].

D’autres auteurs comme Michalak et Coney [MIC 93 ] distinguent les principaux arguments théoriques en faveur de l'utilité des systèmes d'information hypermédia : le stockage et la recherche d'information [GLU 89 ] ; la "libération" du lecteur du média linéaire ([BOL 91 , DEL 90 , LAN 92a ]) ; la possibilité de créer du sens en commun [BAR 89 ]. D'autres auteurs comme Canter, Rivers, et Storrs [CAN 85 ] catégorisent des types de stratégies. Enfin, Slatin [SLA 91 ] et Coney [CON 92 ] préfèrent distinguer les différents rôles attribués à l'utilisateur par le concepteur. Slatin a identifié le "browser" qui est un utilisateur "en touriste", l'utilisateur à proprement parler, et le coauteur. Coney, elle, distingue l'utilisateur comme un "receveur d'information", comme un "collègue de travail" et comme un "faiseur de sens". Ces différents statuts de l'utilisateur correspondent à différents types de tâches, même si l'on ne voit pas toujours quelle tâche est précisément exécutée par l'utilisateur "faiseur de sens".

Armbruster et Armstrong [ARM 93 ] ont voulu établir une catégorisation des types de buts en termes de recherche d'information, dans des environnements éducatifs. Ils ont utilisé les critères de "temps" : le but est connu avant ou après/pendant la consultation ; de "source" : le but est externe (consigne) ou interne au sujet (objectif personnel), et de "spécificité" : le but est spécifique ou général.

Wright [WRI 90a ] ou Tricot [TRI 93 ] ont tenté de catégoriser les tâches selon une approche fonctionnelle : une tâche serait l'interaction entre implémentation du but et représentation du but (Tableau 4). La représentation du but par l'utilisateur peut être précise ou floue ; l'implémentation du but dans le système peut être unique ou multiple.

représentation du but

précise

floue

implémentation

unique

localiser

explorer

du but

multiple

chercher

agréger

Tableau 4. Quatre tâches de recherche d'information [TRI 93]

A l’examen de ces quelques travaux, on remarque la prise de conscience de l’importance qu’il y a à catégoriser les tâches de recherche d’information, que ce soit dans le contexte de la conception, de l’évaluation ou de l’analyse de l’activité des utilisateurs. Mais cette prise de conscience n’a pas donné, pour l’instant, de systématique satisfaisante. D’un côté, on peut considérer qu’il est nécessaire de prendre en compte les trois dimensions évoquées plus haut : la représentation que l’utilisateur se fait de la tâche, l’implémentation du but, et le contexte de l’activité. Mais chacune de ces dimensions comporte un nombre important de descripteurs, dont il faudrait évaluer la pertinence, et qui conduirait, par croisement, à un nombre beaucoup trop important de tâches catégorisées pour que cette taxonomie soit exploitable. D’un autre côté, on est obligé d’admettre que la taxonomie de Bernstein [BER 93 ], qui joue un peu le rôle de taxonomie de référence, est bien trop générale pour guider une démarche de conception, d’évaluation ou d’analyse de l’activité des utilisateurs. Mais Bernstein a eu le rôle, certes non négligeable, d’attirer l’attention sur ce problème. On peut aussi souligner que les quatre années qui se sont écoulées entre fin 93 (date de la conférence de Bernstein) et fin 97 ont vu la popularisation du Web, et sa généralisation à des activités très diverses. Sur le Web on peut faire du mining, du manufacturing et du farming. On peut même le faire à tour de rôle au cours d’une même séance de travail. Le lien entre "type de tâche" et "type d’application" est donc beaucoup moins évident qu’il y a quatre ans.

Conclusion

L’examen des travaux dans le domaine des hypermédias nous conduit à noter que l’on ne sait pas encore définir précisément :

Reste à savoir si ces lacunes sont graves ou non. Nous avons souligné que la recherche d’information a un statut de "sous-tâche" en ce sens qu’elle se fait toujours au service d’un objectif autre (apprentissage, conception, prise de décision, documentation, etc.). On peut donc penser que ces lacunes sont... secondaires, puisque l’on dispose de cadres relativement bien établis en ce qui concerne les objectifs (apprentissage, conception, prise de décision, documentation, etc.).

Ainsi le formidable développement des hypermédias, leur aspect multitâches, et l’existence de cadres d’analyse extérieurs relativement pertinents, permet de définir un cadre de description des tâches plutôt satisfaisant dans le domaine de la conception, de l’évaluation et de l’analyse de l’activité des sujets. Nous allons tenter d’en dresser une ébauche dans la conclusion générale qui suit.

Conclusion générale

Dans cet article, nous avons indiqué, à grands traits, comment peut être modélisée une tâche de recherche d’informations dans le domaine des hypermédias. Cette modélisation ne peut pas être fondée sur un formalisme propre au domaine des hypermédias ou de la recherche d’information, puisqu’il n’en existe pas. La modélisation des tâches de recherche d’informations dans le domaine des hypermédias est donc fondée, pour le moment, sur l’importation de formalismes généralistes. Cette importation requiert une certaine prudence et une connaissance des modalités d’application, de l’intérêt et des limites des formalismes généralistes d’analyse des tâches, que nous avons tenté d’illustrer.

Mais la modélisation des tâches n’est qu’un moyen au service de la rationalisation des processus de conception et d’évaluation, et d’analyse l’activité des utilisateurs. En quoi, aujourd’hui, la modélisation des tâches peut elle contribuer à rationaliser la conception et l’évaluation des hypermédias ? En quoi peut-elle nous aider à mieux analyser l’activité des utilisateurs ?

Au service de la conception, la modélisation de la tâche a pour but d’analyser la tâche ou la situation de l’opérateur avant que l’on ait conçu le système afin de pouvoir déterminer en quoi et comment le système pourra être utile à l’utilisateur. Cette première phase de modélisation de la tâche peut être plus ou moins élaborée, en ce sens que dans le cadre de l’innovation il n’y a pas toujours de situation de travail antérieure. Il y a fort à parier donc, que la vitesse de mutation du domaine des hypermédias gêne l’établissement de formalismes suffisamment robustes et généraux, même s’il existe des guides orientés vers le multimédia [BEV 96 , McG 97 ] et vers la recherche d’information [BEL 97 ]. Dans un deuxième temps, la modélisation consiste à décrire concrètement ce que l’opérateur va faire (en termes de manipulation d’informations) avec le système et comment le système lui-même va traiter les tâches (quelles règles portent sur quelles informations dans quelle configuration pour atteindre tel but ?). La première phase de la modélisation se fait au moyen d’interviews et/ou d’observations [SEB 91 , SEB 94a ] qui n’ont généralement rien de spécifiques à telle ou telle catégorie de système et qui donc peuvent être utilisés dans le domaine des hypermédias. Le passage de la première phase de la modélisation (analyse de la tâche de l’opérateur) à la deuxième (formalisation et implémentation de la tâche) peut se faire par l’intermédiaire d’une fonction de transfert [MAH 93 ] ou par l’application de règles [SEB 94b ] de plus en plus précises [GAM 97 ]. Il est difficile de savoir si c’est à ce niveau de généralité que la modélisation de la tâche pourra être efficace en conception d’hypermédias ou si la définition de catégories précises de tâches est un préalable nécessaire.

Dans le cadre de l’évaluation, la modélisation de la tâche vise à décrire un mode "de référence" d’exécution de la tâche. Ce mode de référence peut être simplement la description de la méthode optimale d’exécution (la plus rapide, la plus économique, la plus efficace). Mais ce mode de référence peut aussi correspondre à la façon dont la tâche était exécutée avant l’insertion du système. Cette deuxième référence peut être délicate à établir, car la notion même de situation de référence peut être floue : par exemple, si l’on veut évaluer un système d’aide à la rédaction collective de documents, on peut choisir comme activité de référence l’écriture et la collaboration. Mais à quelle forme de communication dans la collaboration peut-on se référer : téléphonique, présentielle, par courrier classique, par fax, par e-mail ? Il n’y a pas a priori de raison de choisir telle ou telle forme de communication. Pourtant, selon le choix que l’on fait, on va conclure que le système d’aide à la rédaction collective améliore la collaboration ou, au contraire, la gêne. Le modèle de tâche va être utilisé comme référence, c’est-à-dire comme base de comparaison avec l’activité effective de l’utilisateur. L’observation de l’activité de l’utilisateur en situation "naturelle" peut être une bonne source, notamment si elle est couplée avec une interview (concomitante ou non). L’interview consiste essentiellement à faire dire à l’utilisateur ce qu’il est en train de faire, et non pas son degré de satisfaction ou d’insatisfaction (données difficiles à exploiter). Mais l’expérimentation, dans laquelle on demande à l’utilisateur de réaliser telle ou telle tâche précise, est beaucoup plus fiable, car on sait de quelle tâche on parle. L’expérimentation a le désavantage d’être lourde, contraignante et parfois peu valide "écologiquement".

En l’état actuel des choses, il nous semble raisonnable de favoriser les indicateurs des performances off-line et dépendants du contexte de l’activité de l’utlisateur (apprentissage, conception, prise de décision, documentation, ...) et non pas du domaine de la recherche d’information. L’utilisation de variables on-line pose de nombreux problèmes, comme l’illustrent de Vries et Tricot dans ce volume. Du côté des variables importées du domaine de la recherche d’information, il semble que l’on puisse aujourd’hui préciser que l’indice de rappel est pertinent pour les tâches de mining, tandis que l’indice de précision est pertinent pour les tâches qui requièrent de l’efficacité ou de l’économie (de temps, de moyens par exemple). Nous devons insister sur l’importance du choix des indicateurs, qui doivent être pertinents selon le point de vue du concepteur (i.e. de la tâche envisagée par le concepteur) et selon le point de vue de l’utilisateur (i.e. des tâches effectivement réalisées dans la situation d’utilisation). La littérature regorge d’évaluations fondées sur des tâches ne correspondant pas aux systèmes évalués ou aux utilisateurs. Enfin, l’évaluateur dispose des critères d’évaluation de l’utilisabilité qui peuvent aider sa démarche [BUC 96 ].

Dans le cadre de l’analyse de l’activité de l’utilisateur, la modélisation de la tâche a pour but de décrire comment la tâche va être exécutée selon telle ou telle théorie ou conception de la psychologie. Cette conception peut être extrêmement rudimentaire, et postuler par exemple que le sujet humain est un système rationnel de traitement de l’information. Cette conception est même nécessairement rudimentaire dans les domaines où la psychologie a peu de références (le domaine des hypermédias par exemple). Toutefois, il faut préciser que dans la plupart des cas, on décrit la tâche et on étudie l’activité des sujets en référence à une activité par ailleurs "bien" connue : apprentissage, compréhension, prise de décision, etc. L’objectif devient alors d’estimer le domaine de validité de la théorie importée. Les avancées dans le domaine de la modélisation de l’activité de recherche d’information (voir[ROU 98]) pourront peut être, à terme, compléter ce cadre d’interprétation (voir [BEA 98]).

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