Les valeurs de l'imparfait

état descriptif

La valeur d'état descriptif à l'imparfait caractérise les situations statives impliquant une certaine durée. On les représente donc par un intervalle ouvert non ponctuel, dans le registre de l'énonciatif ou celui du non-actualisé selon le cas, intervalle situé dans le passé avant le début du processus d’énonciation (T° ouT’°).

Par exemple, (1) "Hier, Max était à la maison." est une proposition ayant valeur d'état, elle est représentée sur la demi-droite du réalisé de l'axe énonciatif, "hier" étant un marqueur temporel référent à la situation énonciative :
 

(2) "Il était une fois une petite fille qui s'appelait etc." est aussi un état mais indépendant de la situation énonciative, son intervalle est représenté sur l'axe du non actualisé :
 

La détermination de l’état descriptif est donc liée à la nature lexicale du verbe qui doit être essentiellement statif (être, avoir, sembler, etc.) ou statif dans l’emploi considéré (par exemple  : la chambre donnait sur le jardin...) ce que l ‘exploration contextuelle doit déceler.

processus en développement

Le processus en développement à l'imparfait caractérise une situation dynamique, donc avec un changement à partir d'une situation initiale, évoluant vers une situation finale, mais il s'agit d'un processus inaccompli. C'est l'imparfait classiquement décrit dans son aspect duratif-imperfectif. Exemple : "Alors que Max montait l'escalier, il croisa une splendide créature..." Le processus est présenté dans son évolution, le terme final n'est pas atteint, même si le contexte permet d'inférer qu'un événement survenu pendant son déroulement va y mettre fin. L'intervalle représentant le processus en développement comprend une borne initiale fermée, mais sa borne finale reste ouverte, le terme du processus n'étant pas atteint : [B1,B2[.
 

Le diagramme précédent représente un processus en développement sur le registre de l'énonciatif. Dans le cas d'un récit, l'intervalle est placé sur l'axe du non-actualisé.

habitude

L'étiquette habitude employée pour désigner cette valeur caractérise ici l'emploi de l'imparfait pour signifier aussi bien l'itération que la fréquence ou l'habitude proprement dite. Elle constitue une classe ouverte d'états, d'événements ou de processus. tous identiques.

 
 

Le diagramme ci-dessus représente une classe d'événements identiques, dans le registre de l'énonciatif, par exemple : (5) "L'année dernière, il allait tous les matins à la piscine." La phrase (6) "Généralement, il était au bureau à partir de dix heures." serait représentée par une classe d'états identiques dans le registre du non-actualisé.

L’exploration contextuelle doit mettre en évidence la présence d’expressions ou de constructions syntaxiques marquant la fréquence ou l’itération.

nouvel état

On désigne ici sous cette étiquette une valeur de l'imparfait qui a suscité de nombreux débats. C'est un emploi qui daterait du XIXème siècle. On l'a décrit sous des termes variés : imparfait "pittoresque", d'ouverture ou de fermeture - parce qu'on le rencontre en début ou en fin de chapitre - , de rupture ou encore "perspectif" (Guillaume). Donnons en quelques exemples :

- Le 7 Novembre, le premier ministre annonçait la démission de son gouvernement.

- Trois jours après, il se tuait dans un accident de la route.

- A 9h 30, la sonnerie retentissait, le directeur répondait, tendait l'écouteur à Maigret.

Quand on examine les descriptions données de ces imparfaits par les grammairiens, on y trouve un certain nombre de traits communs parfois contradictoires : ils renvoient à la fois à du duratif et à du ponctuel, à des événements présentés comme des états.

Dans le cadre de la théorie développée par Desclés & al., cet imparfait est analysé de la façon suivante : il renvoie à un événement, qui est souvent ponctuel, et engendre un nouvel état de description, marquant ainsi une rupture. Il est essentiel de noter que l'événement et le nouvel état sont indissociables dans cette valeur de l'imparfait, alors que le passé simple ne dénote que la simple occurrence de l'événement.
 

 

S1 représente l'état avant l'événement E, S2 est le nouvel état de description, différent de S1, succédant à E. Nouvel état signifie à la fois E et S2.

On note d'ailleurs, dans la plupart des cas, la présence d'un marqueur temporel indiquant le moment de l'événement. En outre, il faut que la signification du verbe implique que le processus a atteint son terme final (il est accompli) et a engendré un événement. Tous les verbes ne peuvent donc donner lieu à cette valeur en fonction de leur contenu lexical. Non seulement les verbes statifs sont exclus, mais une phrase comme : "A une heure du matin, il dormait comme une souche." n'a pas une valeur de nouvel état mais de processus en développement, car "dormir" à l'imparfait est incompatible avec l'aspect accompli au moment indiqué. Pour signifier une valeur de nouvel état, il faut non seulement que le verbe soit dynamique mais aussi qu'il soit du type "perfectif" ou encore "conclusif" (selon Wilmet [1978]).

éventuel et irréel

Le plus souvent, ces deux valeurs de l'imparfait se trouvent dans des énoncés comportant une proposition conditionnelle introduite par "si", ou une expression qui joue le même rôle. Une hypothèse est posée et - pour simplifier beaucoup - dans le cas de l'éventuel, sa réalisation demeure possible dans le prospectif (elle peut devenir "vraie" dans le futur), alors que dans le cas de l'irréel, elle est en contradiction avec le réalisé. Mais en tant qu'hypothèse, elle ne peut se situer sur l'axe du réalisé ou celui du prospectif. Il faut créer un nouvel état de description, celui du possible, qui ne se situe pas de la même façon par rapport à T° dans l'un ou l'autre cas.

Exemple de l'éventuel : (7) "Si tu étais blessé, passe la main à un autre." Dans ce cas, à partir du processus d'énonciation T°, on construit un axe du possible sur lequel peut figurer aussi bien un état ("si tu étais blessé..."), un processus ("si tu travaillais un peu ?") qu'un événement ("si Max venait demain..."). Si cette proposition est confirmée, c'est à dire si elle devient vraie dans un moment postérieur (à ), alors on revient dans le prospectif  : la flèche verticale symbolise la possibilité que l'hypothèse se réalise.
 

Exemple de l'irréel : (8) "Si tu avais une entorse, tu ne pourrais pas mettre le pied par terre." Dans ce cas, à partir d'une borne T1 antérieure à T°, on construit un axe du possible où seront représentés les états, processus ou événements, posés aussi bien comme conditions (hypothèses) que comme conséquences. Mais, puisque l'hypothèse est "fausse" - elle est en contradiction avec le réalisé -, il n'y a pas de retour sur l'axe du réel.
 
L'éventuel se situe toujours dans le registre de l'énonciatif, on ne le trouve que dans les textes de type "discours", ce qui n'est pas nécessairement le cas de l'irréel. On voit également que ce qui distingue l'éventuel de l'irréel, c'est la borne de départ de l'axe du possible par rapport à T°. Mais cette distinction entre les deux valeurs peut être difficile à faire dans certains cas, comme nous le verrons plus loin.