Didapro

Actes en ligne des premières journées francophones 
de didactique des progiciels
(10 et 11 juillet 2003)

Éditeurs
Bernard André
Georges-Louis Baron
Éric Bruillard
© INRP/GEDIAPS

Didapro@inrp.fr

Mis en ligne le 2 octobre 2003
Dernière mise à jour le 15 octobre 2003

Le B2i : outil transparent pour un contenu transparent ?

Jacques Béziat

Résumé

L'idée derrière ce libellé est de dire qu'il y a une confusion quand le but de l’enseignant est de rendre les compétences informatiques transparentes dans la tâche. Le B2i est-il là pour formaliser la présence d’items de compétence ici et maintenant plutôt que d’autres en amont ? ou bien pour inviter l'enseignant à prendre en compte, dans sa pratique d'éducation, un certain nombre d'items considérés comme « compétences minimums » voire comme « compétences suffisantes » ?

Introduction

Sur l'ancien débat informatique objet versus informatique outil, l'institution éducative tranche avec le Brevet Informatique et Internet (B2i). L'informatique est un outil au service des enseignements, le B2i est là pour valider des compétences techniques minimum à l'emploi de l'ordinateur en classe. L'informatique objet d'enseignement ne semble plus être. Pour s'en assurer, le ministère de l'Éducation nationale innove. Pour la première fois, il dépose à l'INPI [1] une marque pour un brevet de compétences. La dénomination « B2i - Brevet informatique et internet » lui confère un droit privatif sur son utilisation. Le but annoncé étant de garder la maîtrise de ce qu'est réellement le B2i, « de ne pas induire en erreur le public sur la nature, les caractéristiques et l'esprit du B2i » . L'informatique ne doit plus être considérée comme un objet d'enseignement, une discipline autonome. Elle est un outil, elle est transparente.

L'enjeu est bien de faire respecter l'esprit du B2i, d'échapper à une dérive disciplinaire des contenus dont il est porteur : « L'acquisition des connaissances et compétences des référentiels du Brevet informatique et internet, à quelque niveau que ce soit du cursus scolaire, ne fait pas l'objet d'un enseignement spécifique, mais s'effectue de manière continue et progressive dans le cadre des pratiques pédagogiques … » Cette restriction, a contrario d'une banalisation revendiquée de l'ordinateur, souligne bien la difficulté qu'il y a à penser l'informatique en éducation.

Pour discuter de l'ambiguïtéqu'il y a déclarer un outil transparent dont on a besoin d'attester des compétences d'usages nous nous appuyons sur les instructions officielles (section 1), des résultats extraits de notre recherche doctorale sur des discours de praticiens (section 2), de l'approche de Rabardel sur la genèse instrumentale (section 3). Nous nous limiterons aux items du B2i qui font référence au traitement de texte à l'école.

1. L'outil prescrit.

Les objectifs de ce brevet sont de « spécifier un ensemble de compétences significatives » et « d'attester leur maîtrise par les élèves concernés. » Les compétences requises à ce niveau doivent permettre à l'élève d'utiliser de manière autonome et raisonnée les technologies de l'information et de la communication. « Pour ce faire, il est appelé à maîtriser les premières bases de la culture informatique dans ses dimensions technologique et citoyenne [2]. »

Les textes plus récents ne sont guère plus précis sur la manière d'accéder à cette maîtrise naturelle de l'outil. Les programmes scolaires publiés en 2002 [3] déclarent « instruments ordinaires » les technologies de l'information et de la communication. À la fin du cycle 3, « les élèves doivent avoir été suffisamment familiarisés avec leurs différentes fonctions pour avoir acquis sans difficultéles compétences prévues au niveau 1 du Brevet informatique et internet (B2i) […]. » Donc, dans l'esprit, « le B2i ne sanctionne pas un enseignement spécifique d'informatique mais valide des compétences acquises par l'élève dans l'enseignement des disciplines [4]. »

Le B2i a l'avantage de poser clairement la question des technologies de l'information et de la communication à l'école, ce n'est pas là le moindre de ses mérites. De fait, les technologies de l'information et de la communication ont massivement fait leur entrée dans les nouveaux programmes scolaires de 2002.

Cela dit, on vient de voir que les formulations sont elliptiques : on spécifie des compétences que l'on atteste, puisque l'élève est appelé à en avoir la maîtrise, après avoir acquis sans difficultéles compétences prévues ; pour ce faire, l'élève doit avoir été suffisamment familiarisé avec cet instrument ordinaire, qu'il peut donc utiliser de manière autonome et raisonnée.

Prenons le cas du traitement de texte [5] en classe, l'application informatique la plus utilisée à l'école[6]. Une rubrique du B2i niveau 1 lui est consacrée : « Produire, créer, modifier et exploiter un document à l'aide d'un logiciel de traitement de texte ». Le détail des items de cette rubrique spécifie ainsi les compétences à acquérir : savoir consulter un document, savoir mettre en forme les caractères et les paragraphes, savoir copier, couper, coller, insérer des images, utiliser de manière raisonnée le correcteur orthographique.

Le B2i niveau 2 (collège) n'atteste plus aucune compétence sur le traitement de texte. Les items du B2i école représentent donc ce qu'il faut savoir faire avec ce type de logiciel à la sortie du collège, donc au lycée. Les compétences du B2i niveau 1 requises sont les compétences « expertes » requises pour l'utilisation du traitement de texte jusqu'à la sortie du collège.

Ce sont aussi probablement les compétences minimum que l'on peut s'attendre à rencontrer chez les enseignants pour qu'ils puissent « familiariser » leurs élèves au traitement de texte. Tel que le traitement de texte est utiliséen classe et prescrit par les textes officiels, ne forme-t-on pas à une utilisation restrictive du type « machine à écrire » ? Ne propose-t-on pas ainsi des manipulations « de surface » du traitement de texte plutôt qu'une maîtrise progressive de ses fonctionnalités ? Le résultat - la page proprement imprimée - ne prime-t-elle pas abusivement sur la qualitédu processus cognitif qui conduit à ce résultat ?

Le hiatus qui entoure l'utilisation du traitement de texte comme une machine à écrire cache mal la faiblesse de la « culture informatique dans ses dimensions technologique » que l'on fournit aux élèves autour de ce type de progiciel. Quelques fonctions jugées pertinentes « pour ce qu'on a à en faire en classe » sont identifiées, et servent à déclarer ce qu'est, d'un point de vue fonctionnel, un traitement de texte. Cette banalisation, à travers des critères spécifiés et attestés, n'est-elle pas plutôt une « ordination » des technologies de l'information et de la communication « dans » l'école ?

Sans formation réelle, les maîtres « enseignent » le traitement de texte selon leurs propres représentations de ce qu'est « traiter le texte ». Le plus souvent, il s'agit bien d'une représentation de type « machine à écrirenbsp;».

Du point de vue des pratiques d'évaluation, pour aider les enseignants rétifs à l'informatique à faire passer un brevet devenu obligatoire, on voit apparaître, entre autre, sur le web, des logiciels d'entraînement ou de passation au B2i. Pour le traitement de texte, par exemple, cela revient parfois à proposer des séquences interactives du type : une capture d'écran d'un traitement de texte est affichée, on demande à l'élève de cliquer sur l'icône « Italique », si l'élève clique au bon endroit, le programme de passation du B2i lui dit qu'il a cliquéau bon endroit... Nous le voyons, on est loin, dans ce cas, de l'esprit d'un B2i interdisciplinaire attestant de compétences transparentes et en situation d'usage. Le paradoxe étant que, pour attester de ses compétences en traitement de texte, l'élève n'est pas mis devant une vraie interface logicielle, mais devant des captures d'écran. Nous n'allons pas énumérer ici toutes les pratiques possibles de « scolarisation » du B2i, mais, il n'est pas difficile d'imaginer qu'en n'attribuant pas une place réelle et assumée à cet apprentissage de la culture technologique, chacun va bricoler dans son coin pour une formation et une validation des items du B2i.

Nous ne nous attarderons pas sur l'ambiguïté qu'il y a à revendiquer - même en toute légitimité- une formation pour l'enseignant sans reconnaître explicitement ce même besoin pour l'élève. On juge l'élève capable d'apprendre sans difficultéles compétences prévues, et pas l'enseignant ? Du point de vue des élèves, si la majoritédes enseignants ne font que ce qui est demandé en terme de validation du B2i, n'accèderont à une maîtrise des technologies de l'information et de la communication, au delà des items attestés au cours du cursus scolaire, que les élèves autodidactes.

2. Paroles de praticiens

Dans le cadre de notre recherche doctorale, nous avons collecté, dans une base de données de plus de 1760 sites web d'écoles primaires constituées en 2000-2001, toutes les pages web qui font état de pratiques pédagogiques avec les technologies de l'information et de la communication. Sur les 146 sites portant témoignage de la présence d'ordinateurs dans l'école, 56 pages web ont été repérées pour notre analyse de contenu. Les textes retenus font explicitement état de pratiques en classe avec des ordinateurs. Ce sont des projets d'écoles, des projets pédagogiques dédiés à l'informatique, ou bien des articles faisant état de pratiques avec les TIC.

Parmi les résultats de notre analyse thématique, nous retenons ici quelques points saillants : 48 % des textes font état de pratiques d'apprentissage des TIC ; 48 % des textes reconnaissent les qualités pédagogiques de l'ordinateur ; 39 % des textes font état de la nouvelle possibilité qu'a l'élève de s'adresser au monde par le réseau internet. Nous pouvons donc penser que « l'outil » n'est pas transparent. Non seulement son intégration passe par des pratiques d'apprentissages et de maîtrise, mais encore, il amène des activités scolaires qui lui sont spécifiques.

Pour ce qui est du traitement de texte, les enseignants qui témoignent de leurs pratiques sur ces pages web déclarent des pratiques localisées, non intégrées dans une expertise d'ensemble pour ce type de progiciel. Parmi quelques citations synthétiques, tous cycles mélangés : pratiquer le clavier, recopier une phrase avec la majuscule et le point, retrouver un fichier, enregistrer un travail, imprimer un document, utiliser quelques fonctions de présentation… Aucun texte ne propose un référentiel de compétences à acquérir en classe pour le traitement de texte.

Par contre, les qualités transversales de ce type de progiciel est souligné : lire, écrire et travailler autrement ; travailler la présentation des productions écrites ; valoriser les productions d'écrits ; supplément à l'apprentissage de la lecture… Selon ces témoignages, son emploi en classe apporte une plus-value pédagogique indéniable.

Cela dit, 38 % des textes du corpus retenu déclarent l'outil ordinaire en classe. L'intégration des TIC dans l'école relève bien d'un processus d'innovation dont le but est de banaliser l'ordinateur dans les pratiques de classe. Les enseignants engagés dans cette activitéd'innovation ordinaire, au sens entendu par Alter [7], ne se reconnaissent pas en train d'innover. Ils réalisent l'intégration d'un objet contraint dans un lieu contraint. Ils banalisent l'ordinateur, dans la continuitéde leurs pratiques.

3. Un instrument pour la classe

Eu égard à la polyvalence des TIC, et à la difficulté qu'ont les praticiens à en appréhender toute la complexité, nous ne pensons pas que l'ordinateur et son environnement se présente comme un simple outil pour la classe, désigné pour quelques tâches connues d'avance. En ce sens, nous suivons Rabardel [8] pour qui les instruments ne sont pas donnés d'emblée à l'utilisateur, celui-ci les élabore à travers des activités de genèse instrumentale. L'instrument est composé d'un artefact - l'objet matériel ou symbolique - et des schèmes d'utilisation qui y sont associés. L'instrument est donc le résultat d'une construction propre du sujet, autonome ou résultant d'une appropriation de schèmes sociaux d'utilisation.

Les TIC ne se résument pas à un artefact, mais une multitude de fonctions possibles qui mobilisent chacune une partie seulement d'un système informatique (un logiciel éducatif, une chaîne de capture et de traitement d'image, le traitement de texte et son imprimante, la navigation sur le web…). Les enseignants n'utilisent pratiquement jamais l'intégralité des fonctions d'une configuration informatique dans leur pratique de classe, qui, de toute façon, ne fournit pas d'elle-même les réponses pédagogiques qu'attend le praticien. Celles-ci n'émergeront que de l'appropriation active par le maître des fonctions informatiques qu'il a choisi, pour ses besoins, dans son contexte et selon son goût.

Le premier contact avec l'ordinateur produit donc un certain type d'usage, appelés à évoluer avec la montée d'expertise de l'enseignant. « La découverte progressive des propriétés (intrinsèques) de l'artefact par les sujets s'accompagne de l'accommodation de leurs schèmes, mais aussi de changements de signification de l'instrument résultant de l'association de l'artefact à de nouveaux schèmes. » Ce n'est donc pas la totalité d'un système informatique qui est appréhendé par le maître de la classe. L'instrument pédagogique ne sera qu'une partie de la configuration matérielle et logicielle sur laquelle le praticien va définir les propriétés pertinentes pour son action. L'instrument réel résulte d'une élaboration progressive, individuelle et collective. C'est-à-dire par réappropriation successive de pratiques existantes avec l'informatique dans son contexte propre, comme cela peut être le cas pour le traitement de texte en classe par exemple.

L'intégration des technologies de l'information et de la communication en classe se fait sous un double processus d'instrumentation et d'instrumentalisation. Le processus d'instrumentation est dirigévers l'artefact - sélection, détournement, attribution de propriétés, institution de fonctions… -, le processus d'instrumentalisation est relatif au sujet, à l'émergence et à l'évolution des schèmes d'utilisation.

À la fois, l'enseignant s'approprie certaines fonctionnalités des technologies de l'information et de la communication pour faire la classe, et évolue dans les représentations qu'il se fait de l'ordinateur en classe. De ce point de vue, les instruments ne sont pas neutres. « L'outil » n'est pas transparent, il est porteur d'un certain nombre de contraintes techniques qui pré-structure l'action, aussi d'une marge d'appropriation, de détournement, d'interprétation, de traduction qui permettront d'en faire un instrument pédagogique pour la classe.

4. La transparence de l'outil

Ce qui entretient le mythe de l'ordinateur transparent est, entre autre, sa capacitéà pénétrer l'ensemble des activités de l'école, à muter en autant d'instruments qu'il y a de besoins scolaires. Sa polyvalence le fait croire soluble dans l'école. En réalité, il imprime un changement lent mais patient d'attitude des enseignants à l'égard des technologies de l'information et de la communication, du point de vue de leur pratique, de leur organisation de travail, et éventuellement sur les modalités de transmission des connaissances.

Avec les technologies de l'information et de la communication, chaque praticien s'engage dans un processus de genèse instrumentale, construisant ses instruments avec les configurations informatiques disponibles, certains d'entre eux ont une valeur canonique pour la profession, d'autres sont spécifiques aux pratiques singulières et locales que l'enseignant développe, selon ses propres contraintes et objectifs.

L'ordinateur doit devenir un outil transparent, pour autant, son apprentissage l'est-il ? Pour nous, les technologies de l'information et de la communication à l'école souffrent d'une triple transparence :

Au terme de cet article, nous pensons que la transparence de l'outil est, en soi, un projet que l'école se donne, plus qu'une réalité. Elle apparaît être davantage une nécessitéfonctionnelle pour son intégration dans la classe qu'une des caractéristiques de l'ordinateur lui-même. Elle nourrit le mythe d'une technologie d'appropriation facile et directement généralisable dans les pratiques éducatives traditionnelles. Il peut s'agir autant d'un système de défense contre les nouvelles technologies que d'une hypothèse de travail pour leur intégration dans l'école. Quoiqu'il en soit, il est possible qu'en entretenant le mythe de l'outil neutre, le B2i occulte en partie la réflexion sur les conditions nécessaires pour une intégration réelle d'un objet qui doit devenir usuel en classe.


[1] Institut national de la propriété industrielle

[2] BOEN no 42 du 23 novembre 2000

[3] Horaires et programmes d'enseignement de l'école primaire, BOEN no 1 hors série du 14 février 2002

[4] Bérard J.-M., « Pourquoi le B2i », in Les dossiers de l'ingénierie éducative, no 39, juin 2002, p. 4-7

[5] La définition officielle du traitement de texte est : « Ensemble des opérations de création, manipulation et impression de texte effectuées à l'aide de moyens électroniques.  » (Arrêté du 30 mars 1987, J.O. du 7 mai 1987).

[6] Crinon J., « Apprendre à écrire », in Psychologie des apprentissages et multimédia, Legros D. & Crinon J. (éd.), Armand Collin, Collection U, 2002, p. 107-127.

[7] Alter, N. L'innovation ordinaire. Paris : PUF, 2001.

[8] Rabardel, P. Les hommes et les technologies. Approche cognitive des instruments contemporains. Paris  Armand Collin, 1995.

Jacques Béziat
IUFM de Paris, université Paris V, équipe EDA
jacques@beziat.net

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Éditeurs : Bernard André
Georges-Louis Baron
Éric Bruillard
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