Didapro

Actes en ligne des premières journées francophones 
de didactique des progiciels
(10 et 11 juillet 2003)

Éditeurs
Bernard André
Georges-Louis Baron
Éric Bruillard
© INRP/GEDIAPS

Didapro@inrp.fr

Mis en ligne le 2 octobre 2003
Dernière mise à jour le 15 octobre 2003

La production de dossiers documentaires à partir d'emprunts d'information sur la toile - Caractéristiques et obstacles d'un apprentissage avec l'assistant ARI

François-Marie Blondel, Alain Beaufils

Résumé

Nous nous proposons d'analyser ici comment l'emploi d'un logiciel spécialisé dans la recherche et l'extraction d'informations (l'assistant ARI) peut transformer et questionner les pratiques de production documentaire dans l'enseignement et quels obstacles les apprenants peuvent rencontrer au cours de ces activités.

Introduction

Il est aisé de constater que les pratiques documentaires ont été profondément modifiées par la disponibilité de documents de qualité sur la toile.

La recherche d'informations quand elle est menée à son terme conduit à une production de documents qui ont pour caractéristique principale d'emprunter largement à des sources externes. Cette production tend à se généraliser dans l'enseignement, en particulier à l'occasion des projets et des travaux personnalisés comme les Itinéraires De Découverte (IDD) au collège, les Travaux Personnels Encadrés (TPE) au lycée ou les Travaux d'Initiative Personnelle Encadrés (TIPE) en classes préparatoires. Cette production de documents peut n'être qu'une étape intermédiaire dans une activité plus large, ou bien constituer la partie principale de l'activité, le produit final constituant une part significative de l'évaluation de l'activité elle-même.

La production de documents à partir d'emprunts se distingue des productions effectuées couramment avec un traitement de texte par le fait que la plupart des éléments qui constituent le document et notamment les illustrations qui les accompagnent proviennent d'autres documents.

De plus, le processus qui aboutit à cette production diffère sensiblement différent du processus habituel de production de textes. En effet, il implique d'abord une recherche et une sélection de documents, puis, après une consultation et une lecture approfondie de ces documents, la sélection de fragments, leur copie, leur adaptation, leur organisation dans un ensemble, et enfin une personnalisation de cet ensemble par adjonction d'éléments personnels.

Force est de constater que les logiciels utilisables pour cette activité ne sont pas légion. Dans la pratique courante, les logiciels les plus utilisés sont un navigateur pour la consultation des documents et un traitement de texte pour la récupération des fragments et leur mise en forme. L'utilisation conjointe de ces deux outils par les élèves aboutit souvent à la production de documents volumineux faisant une large part à la copie de fragments. Les emprunts ainsi effectués ne sont pas toujours facilement identifiables sur le document final et, le plus souvent, la référence aux documents à la source de ces emprunts est perdue (Beaufils 2001).

Il existe d'autres logiciels qui peuvent apporter une aide pour cette activité mais leur utilité se situe plus du coté de la recherche d'informations : gestionnaires de signets ou de  références, comme i-TPE conçu spécialement pour les TPE[1], ou métamoteurs comme Copernic Agent[2] qui permettent la conservation et le marquage des documents sélectionnés. Cette absence d'outils adaptés à l'extraction d'informations à partir de documents html est une des motivations à l'origine de la conception d'un logiciel pour la recherche et l'extraction d'informations à partir de la toile : ARI, Assistant de Recherche d'informations sur Internet[3].

L'observation détaillée de quelques utilisations de ce logiciel spécialisé dans des conditions contrôlées a permis de mieux comprendre certains aspects de la production de ces documents. Nous proposons d'analyser ici comment l'emploi de cet outil logiciel pour la recherche et l'extraction d'informations peut transformer et questionner les pratiques de production documentaire dans l'enseignement et quels obstacles les apprenants peuvent rencontrer au cours de ces activités et de leur apprentissage.

Les caractéristiques principales de L'assistant ARI

L'assistant ARI a été conçu pour faciliter une pratique raisonnée de la recherche et de l'extraction d'informations sur la toile. Il se caractérise par des fonctions de mémorisation de la navigation, de recherche et d'extraction d'informations dans les documents visités et d'édition de ces extraits dans des dossiers personnels (Blondel 2002).

Figure 1 : Partie d'un dossier sur les centrales thermiques
comprenant une note personnelle d'introduction et deux extraits

Les documents produits avec cet assistant sont structurés suivant un modèle simple. Chaque document est composé d'extraits empruntés à des pages visitées et de notes personnelles rédigées par l'utilisateur. Chaque extrait est composé du fragment de la page d'origine, des références à cette page sur la toile, d'un titre et d'un commentaire ajoutés par l'utilisateur. Les extraits, notes personnelles et sous-documents sont organisés dans une structure hiérarchique de dossiers et de sous-dossiers..

Les outils mis à la disposition de l'utilisateur[4] pour l'extraction et la prise de notes (voir Figure 2) comprennent un afficheur de l'historique de la recherche (marqué 2 sur la figure) couplé à un lecteur de pages (marqué 3 sur la figure) , un éditeur d'extraits (marqué 5 sur la figure) et un éditeur de plan de notes (marqué 4 sur la figure).

Figure 2. L'interface de prise de notes

L'extraction se fait en sélectionnant un fragment de la page visualisée et en le copiant dans le dossier de notes pour en faire un nouvel extrait. L'éditeur d'extraits possède les fonctionnalités d'édition suffisantes pour l'écriture et la mise en forme.

Les documents ainsi créés, que nous appelons dans la suite "dossiers de notes", sont en quelque sorte des dossiers documentaires personnalisés sous un format électronique particulier. Ils peuvent être exportés comme des documents html.

Observation de quelques cas d'utilisation

Une observation contrôlée d'utilisations de l'assistant ARI dans des activités documentaires a eu lieu avec des élèves volontaires au lycée de Sèvres au cours des années 2001 (6 élèves de seconde) et 2002 (4 élèves de seconde).

L'observation a été effectuée par un traçage de tous les événements de navigation et de tous les états de la production des dossiers de notes (ce traçage fait partie des fonctionnalités de l'assistant ARI), et par un enregistrement vidéo des élèves durant toute l'activité.

En 2001, les élèves avaient pour tâche de produire un dossier documentaire sur un sujet de leur choix. Pour des raisons liées aux possibilités d'enregistrement vidéo, seule l’activité de trois élèves a pu être enregistrée de façon complète. Durant cette activité dont la durée a varié de une heure et demie à deux heures et demi, deux élèves sur six sont parvenus à produire un dossier de notes élaboré ; le troisième élève a produit un dossier plus succinct.

En 2002, trois élèves sur quatre ont travaillé en totale autonomie durant près de 6 heures sur un sujet proposé par leur professeur de français avec pour objectif d'en faire une présentation orale. Un des élèves s’est contenté d’effectuer un simple archivage de documents bruts qui lui a paru suffisant pour sa présentation tandis que les deux autres se sont livrés à un important travail de prise de notes : prélèvement de fragments, modification de contenus, rédaction de synthèses et réorganisation finale du dossier. Le quatrième élève a rencontré de grandes difficultés pour rechercher et identifier des documents en rapport avec son sujet, difficultés dues à des problèmes de lecture, et n'a pu aboutir qu'avec l’assistance répétée de l’observateur.

Ces observations détaillées ont pu être complétées par l'analyse de traces d'activité de quelques élèves de lycée ayant utilisé l'assistant ARI dans le cadre de TPE au lycée de Tours en 2002 (6 élèves de première scientifique pendant la phase de recherche de documents).

Ce travail exploratoire avait pour principal objectif d'étudier l'utilité et l'utilisabilité de l'assistant ARI. Les principaux résultats en sont présentés dans (Beaufils 2003). Nous en présentons ci-dessous une analyse plus centrée sur la production de documents et sur les caractéristiques de cette activité.

Analyse de la production et principaux constats

La répartition du temps entre navigation et prise de notes

Le temps de travail est variable selon les élèves, les sujets et la situation, de une heure et demie à six heures. Bien motivés par leur sujet, deux élèves sur les quatre observés à Sèvres en 2002 ont travaillé pendant six heures, en plusieurs sessions réparties sur plus de trois semaines.

Nous avons constaté que dans l'ensemble, la part de l'activité consacrée à la prise de notes est très importante. Il est difficile de la comparer à ce qui se pratique dans les situations habituelles car cette partie du travail est généralement laissée à l'initiative de l'élève et prise sur son temps personnel. Mais il est probable que sa réintégration dans le temps scolaire en modifie sensiblement la nature.

Dans la plupart des cas observés, le temps consacré à l’extraction et à l'édition de notes est nettement plus important que le temps consacré à la recherche des documents (le temps passé à l’élaboration du dossier de notes peut représenter de 60% à 80% du temps total de l’activité).

Le rythme de l’activité varie également d’un élève à l’autre (cf. Figure 3). L’alternance entre les phases de navigation et les phases d’extraction de notes est plus ou moins rapide. La présence de longues séquences de navigation ininterrompue suivies de longues séances de prise de notes est plus fréquente chez les élèves qui ont acquis une bonne maîtrise de l’assistant, notamment dans les dernières séances de travail. On pourrait faire l'hypothèse que, au-delà d'une phase d'appropriation des outils, une alternance rapide entre navigation et extraction est un indicateur de difficultés à traiter le sujet.

La séparation de l'activité en deux phases distinctes (navigation puis extraction et édition des notes, avec de nombreux allers-retours entre ces deux phases) s'oppose aux habitudes des élèves. Dans la pratique ordinaire, navigation et prise de notes sont quasi simultanées. Cette séparation permet d'identifier et la production d'un document personnel.

Figure 3. Répartition de l'activité entre navigation et prise de notes

Les documents produits, structures et fragments

La structure des dossiers de notes varie sensiblement en fonction des élèves, de l'objectif fixé et de la durée allouée à l'activité.

Les élèves qui ont travaillé à Tours pour leur TPE pendant deux à cinq séances étalées sur quatre mois ont produit des dossiers composés en moyenne d'une quinzaine d'extraits. Les extraits sont structurés linéairement et ne sont pas classés dans des sous-dossiers. Les extraits comportent toujours plusieurs paragraphes, souvent des illustrations, et leurs contenus ont été très peu modifiés.

En ce qui concerne les dossiers de notes produits par les élèves à Sèvres, ceux de l'année 2001 sont moins développés que ceux de l'année 2002. Deux des trois élèves observés en 2002 (An-S2002 et Ca-S2002) se sont livrés à des activités de traitement et de structuration des informations récoltées, marquant ainsi une notable évolution par rapport à ce que produisent habituellement les élèves au cours d’activités de ce type. Les dossiers produits par ces deux élèves contiennent des fragments dont la taille est adaptée au volume du document complet, contrairement à ce que nous avions pu observer chez des élèves travaillant dans des conditions analogues avec un navigateur et un traitement de texte et qui produisaient fréquemment des fragments dépassant une page de texte.

Sur deux années d'observation (2001 et 2002), à l'exception d'un élève qui n'a utilisé que deux sources, par ailleurs très bien documentées sur son sujet (Ca-S2001), les sources utilisées sont relativement nombreuses et diversifiées : certains dossiers ont été élaborés à partir d’une vingtaine de documents différents (cf. Figure 4). Enfin, plusieurs dossiers intègrent des notes de synthèse personnelles.

Les méthodes d'extraction et de production du dossier varient suivant les élèves. Ainsi, à partir des documents trouvés, un élève (An-S2002) a prélevé des fragments assez volumineux au départ (17 prélèvements au total) et les a progressivement retravaillés jusqu’à leur donner une taille adaptée à son dossier (11 extraits d'un millier de caractères en moyenne dans le dossier final). Un autre qui par ailleurs maîtrisait parfaitement la dactylographie (Ca-S2002) a préféré rédiger directement ses notes  personnelles sans prélever de fragments contenant du texte, les extraits composant son document final ne contenant que des illustrations commentées (5 notes personnelles et 9 illustrations dans le dossier final).

Figure 4. Nombre d'extraits et de notes personnelles,
nombre de pages et de sites à l'origine de ces extraits,
pour les dossiers des élèves de Sèvres et de Tours.

Les traces recueillies au cours de l’activité ont permis de suivre pas à pas l’histoire de ces productions et de constater, malgré le petit nombre d’élèves observés, la grande diversité des stratégies utilisées. Certains élèves ont construit un plan initial de leur dossier, suivant ainsi ce qui leur avait été recommandé de faire ; d’autres ont préféré attendre de disposer de quelques informations. Ce choix a été principalement influencé par leur connaissance préalable du sujet. Certains ont suivi fidèlement leur plan de départ, d’autres ont modifié plusieurs fois la structure de leur dossier avant d’aboutir à la version définitive.

Fonctionnalités, ergonomie des logiciels et compétences

Les aspects ergonomiques de l'utilisation des hypermédias sont abondamment développés dans (Tricot et Rouet 1998). Nous ne développons ici que quelques questions concernant l'extraction et l'édition de fragments.

Retrouver des documents et des informations

En situation habituelle de recherche d'informations, on observe que les élèves ont de réelles difficultés à conserver en mémoire toutes les informations nécessaires pour retrouver les documents qu'ils ont visités et, à l'intérieur de ceux-ci, les éléments qu'ils ont jugés pertinents.

Dans les utilisations de l'assistant ARI que nous avons observées, ces difficultés subsistent mais elles se manifestent avec un degré moindre et de manière un peu différente. Avec l'assistant, la recherche dans les documents visités s'effectue par le biais de la consultation de l'historique structuré par requêtes et par sites, construit pour faciliter cette recherche. La possibilité de marquer des documents dans l'historique a apporté de ce point de vue une aide significative aux élèves qui l'ont souvent utilisée. En revanche, la recherche à l'intérieur d'un document qui s'effectue avec l'outil de recherche de texte incorporé dans le lecteur de pages visitées a été très peu utilisée.

Quelques élèves ont éprouvé des difficultés de lecture des informations affichées. La lecture d'un historique même lorsqu'il n'affiche que les adresses (URLs) des documents, comme c'est le cas avec l'assistant ARI, ne semble pas être un obstacle majeur. En revanche, l'exploration du contenu des documents affichés dans le navigateur qui suppose des niveaux de lecture distincts et de plus en plus approfondis n'est pas toujours bien maîtrisée. Cette exploration a constitué un handicap au moins pour l'un d'entre eux. Il serait intéressant de vérifier si ces difficultés sont liées à la lecture des textes sur écran, considérée par certains auteurs (Baccino 2001) comme plus difficile que la lecture sur papier ou si elles proviennent d'autres facteurs caractéristiques du contenu ou de la forme des documents électroniques publiés sur la toile.

Plus généralement, nous avons pu constater que l'exploration d'un assez grand nombre de documents – le volume total de l'ensemble des pages visitées pour une recherche peut atteindre plusieurs centaines de pages – n'est pas une pratique courante chez les élèves.

La nécessité d'un minimum de connaissances sur les techniques d'indexation des documents et sur la recherche en texte intégral, la maîtrise de quelques outils pour le faire, et l'acquisition des savoir-faire associés à ces outils et ces techniques, souvent escamotées dans la pratique courante, sont apparues assez nettement lors des différentes utilisations de l'assistant que nous avons observées. L'amélioration de l'ergonomie et des fonctionnalités des navigateurs et des logiciels ne semble pas en mesure de compenser un manque de connaissances et de savoir-faire concernant ces techniques de recherche et d'indexation. Elles nous paraissent indispensables à une exploration maîtrisée de d'un grand nombre de documents, comme c'est le cas dans les recherches sur la toile. Une identification précise de ces compétences nécessaires reste à faire.

Extraire des informations et conserver des références

Concernant le procédé même de l'emprunt qui est à la base de la constitution des dossiers documentaires, nous avons pu constater que le procédé d'extraction d'un fragment n'est pas maîtrisé chez la plupart de ces élèves.

Ceux-ci ne perçoivent pas la nécessité de conserver la référence à la source de leur emprunt, ni, celle de citer explicitement cette référence. Leur préoccupation principale semble plutôt porter sur le contenu de leur dossier et sur la forme du document final qu'ils veulent produire. Ils ne perçoivent pas l'intérêt d'une identification précise de leurs sources, qui leur permettrait non seulement de justifier de l'origine de leurs informations, mais aussi un retour aux documents d'origine pour approfondir ou compléter leurs informations.

Ainsi, nous avons pu observer à plusieurs reprises au cours de la première année d'observation en 2001 que les élèves avaient tendance à composer de nouveaux extraits en recopiant directement des morceaux de texte ou des illustrations provenant d'autres extraits, perdant ainsi toute référence aux documents d'origine. Afin de conserver une cohérence fonctionnelle aux documents produits, la copie entre extraits a été rendue impossible, ceci afin de prévenir ce type de comportements.

De ce point de vue, le principe de conception de cet assistant qui impose de construire un dossier de notes uniquement à partir d'extraits de documents bien identifiés et de notes personnelles rédigées par l'utilisateur n'est pas été immédiatement admis par les élèves comme présentant un avantage.

Globalement, l'appropriation des fonctionnalités de l'assistant, par certains aspects originales, s'effectue en opposition avec les habitudes des élèves. Il apparaît donc comme nécessaire de préparer les activités documentaires utilisant cet outil par une initiation qui peut s'étendre sur une à deux séances de travail.

Dans la pratique, la perception des principales fonctionnalités du logiciel s'effectue au fur et à mesure de la progression dans la réalisation de la tâche. Nous pouvons faire l'hypothèse qu'il en est de même pour tout logiciel destiné à la production de textes. La compréhension des principes qui sont à l'origine de ces fonctionnalités dépend donc en partie des activités qui sont proposées aux élèves et plus directement des objectifs ou des finalités qui sont assignés à ces activités.

Éditer des fragments de documents produits en html

Concernant le travail sur les fragments et leur transformation, le format des documents traités (html) impose des contraintes d'édition identiques à celles que rencontrent les créateurs de pages pour la toile utilisant des éditeurs html.

Nous avons pu constater que l'édition des fragments dans le but de les réduire ou de les amender a occupé une partie importante du temps des élèves. Pour la modification des fragments, le choix d'un éditeur qui masque le code html du document (éditeur qualifié habituellement de wysiwyg) a simplifié considérablement les manipulations les plus courantes et permis une appropriation rapide et satisfaisante en quelques séances de travail.

Mais ce travail a parfois soulevé quelques problèmes techniques difficiles à surmonter. En effet, le fait d'assembler des fragments dont l'origine est inconnue et dont la qualité n'est pas contrôlée impose que le logiciel effectue automatiquement un nettoyage du code html de ces fragments pour qu'ils puisent être intégrés dans un document général. Ce nettoyage qui va dans le sens d'une simplification peut parfois altérer la présentation de ces extraits. Ceci entraîne des problèmes techniques supplémentaires d'édition avec des éléments comme les calques, les cadres, les tableaux, et plus généralement avec toutes les astuces utilisées par les créateurs de pages pour améliorer leur présentation. Ces difficultés sont d'autant plus sensibles que les utilisateurs ne sont pas les producteurs des documents qu'ils manipulent. Dans certains cas, elles nous ont contraints à intervenir directement pour modifier le code html d'un fragment afin d'en faciliter la lecture ou l'impression.

Plus généralement, la maîtrise d'un éditeur qui masque le code du document manipulé dépend de la simplicité et de la rigueur des langages de structuration qu'il supporte. Une structuration forte, comme cela peut être le cas avec des modèles ou des schémas décrits en langage xml, peut faciliter l'édition des documents mais elle peut dans le même temps en réduire la lisibilité à l'écran ou à l'impression. L'apprentissage de la nécessité d'un compromis entre structuration d'un document et souplesse de sa mise en forme est probablement un des enjeux de la maîtrise des outils de production de textes électroniques.

Logiciels de traitement de texte et aides à la production de textes

Conçu comme un environnement de travail centré sur la recherche et la production documentaire, l'assistant ARI ne peut pas vraiment être comparé à un traitement de texte mais plutôt à un outil de production de textes. Les fonctionnalités qui le rapprochent des outils d'aide à la production de textes sont celles qui structurent le document comme une hiérarchie de dossiers et d'extraits et permettent de manipuler explicitement le plan du document complet. Par ailleurs, les fonctionnalités d'édition et de mise en forme sont plus contraintes que dans un traitement de texte car elles ne peuvent s'appliquer qu'à un sous-ensemble du document, extrait ou note personnelle.

Nous développons ci-dessous quelques éléments de comparaison avec les traitements de texte et aides à la production en nous appuyant sur les synthèses de (Crinon 2000) et (Dessus 2001).

Aspects qualitatifs et quantitatifs

En termes quantitatifs, par rapport aux situations traditionnelles impliquant l'emploi d'un navigateur et d'un traitement de texte, si l'on observe une augmentation du nombre des documents utilisés dans les dossiers de notes, il n'apparaît pas d'augmentation significative du volume des documents produits par les élèves. On peut même observer dans certains cas un volume inférieur, les extraits étant souvent plus nombreux mais moins volumineux que lorsque les élèves effectuent des copier-coller entre un navigateur et un traitement de texte.

En termes qualitatifs, les élèves manifestent un souci permanent d'améliorer la qualité de la présentation de leur document final, préoccupation qui peut parfois l'emporter sur celle de la qualité du contenu. De même, ils expriment régulièrement le besoin d'une impression de qualité des documents qu'ils ont produits. Il est possible que la recherche d'une plus grande lisibilité des documents à la fois sur écran et sur papier intervienne ici dans cette motivation. Il serait probablement utilise d'étudier s'il existe une corrélation entre les difficultés de lecture et cette préoccupation de mise en forme des documents produits.

Dans la majeure partie des cas, nous avons constaté une amélioration de la présentation formelle des productions écrites avec cet assistant, confirmant ce qui a été constaté pour le traitement de texte et qui peut même avoir des effets pervers en donnant aux élèves l'illusion d'un texte fini (Crinon 2000).

Le processus de production

Le processus de production d'écrits distingue habituellement trois phases (Fayol 1991) : (1) la planification qui comprend la génération d'idées, l'organisation du plan et le recadrage, (2) la mise en texte, et (3) la révision.

La planification

Il a été souvent rapporté qu'avec les traitements de texte les élèves planifient moins. L'éditeur de plan de l'assistant ARI apporte une souplesse et une rigueur pour l'organisation du plan que les traitements de texte ne possèdent pas, ce qui explique, d'ailleurs, pourquoi ils ne sont pas utilisés dans ce sens.

Dans les utilisations que nous avons observées, la production initiale d'un plan du document a été fortement suggérée aux élèves au début de l'activité mais elle a été assez peu réalisée. Chez certains élèves, nous avons pu cependant constater une activité réelle de planification au cours de la prise de notes. En effet, plusieurs d'entre eux ont réorganisé leurs extraits et leur notes personnelles au fur et à mesure de l'avancement de leur travail. Cet impact sur la planification est partiellement induit par la structuration en sous-dossiers et en extraits, et par l'impossibilité de réorganiser fondamentalement le dossier de notes sans manipuler les extraits.

La mise en texte

Cette fonctionnalité de base de l'assistant qui n'est pas prépondérante, a été largement utilisée pour la rédaction des notes personnelles. Il semble que la maîtrise de la technique dactylographique ait joué un rôle important dans la rédaction de ces notes. Le seul élève qui ait rédigé tout le texte de son document final est aussi celui qui avait une parfaite technique dactylographique (Ca-S2002).

La révision

Comme nous l'avons rapporté plus haut, le temps consacré à la révision du dossier de notes est important chez la plupart des élèves. Pour certains, la révision porte plus sur la forme que sur le contenu du document. Le contexte de travail joue ici un rôle fondamental suivant que la production du document personnel final est obligatoire ou non, évaluée ou non, comme le montrent les différences entre les documents produits par les élèves de Sèvres pour leur présentation et qui ont été l'objet d'un grand nombre de transformations et ceux des élèves de Tours qui n'ont presque pas modifié les dossiers préparés dans le cadre de leur TPE.

Questions en guise de conclusion

Quelles sont les caractéristiques des documents utilisés et produits au cours de ces activités ?

La numérisation des textes et des images et leur disponibilité sur la toile va profondément transformer la manière de rechercher et d’utiliser les documents. Nombreux sont actuellement les chercheurs qui s’intéressent de près ou de loin aux documents, à tel point qu’un débat s’est récemment instauré pour mieux cerner ce que ces différentes communautés pouvaient entendre sous la notion de document [5].

La question peut se poser pour la recherche documentaire effectuée par les élèves. Qu'entend on exactement par document ? Quelles sont les caractéristiques qui font retenir une ou plusieurs pages consultées comme un document ou comme faisant partie d'un document ? On considère en effet que certaines pages qui ne sont destinées qu'à faciliter la navigation ou à une proposer une présentation sommaire d'informations ne peuvent pas être considérées comme des documents utiles au sens de la recherche documentaire. Il en va de même pour les images et illustrations graphiques présentes sur ces pages. Ces questions sont en partie discutées par les professionnels de la documentation à propos de l'évaluation des sites ou des pages de la toile [6]. Mais il semble nécessaire d'opérer une analyse plus fine suivant la discipline de référence principale du sujet de la recherche documentaire.

Du point de vue de la production, se posent également des questions liées à l'évolution des documents sous l'influence de la numérisation. Il conviendrait de s'interroger sur la nature des documents électroniques produits par les élèves au cours de ces activités documentaires. En effet, il s'agit d'un type de document relativement nouveau dont le statut dans le cadre de la production scolaire n'a pas encore été bien défini. Il semble se situer à mi-chemin entre un carnet de notes électroniques rédigées au fil de la recherche, différant cependant des carnets de bord produits dans le cadre des TPE, et un document rédigé et mis en forme comme le sont bon nombre de rapports demandés aux élèves dans les formations professionnelles. Le statut de ce type de documents peut aussi varier suivant qu'ils sont produits à la demande des enseignants, soumis à évaluation ou considérés par les élèves comme de simples documents intermédiaires en cours de travail.

Quelles pratiques sociales peuvent servir de référence à ces activités ?

Afin de mieux cerner les rapports entre les productions des élèves et les apprentissages associés aux outils de production mis à leur disposition, il serait intéressant d'étudier de manière détaillée les pratiques de professionnels en matière de production de documents à l'instar de ce qui a été fait sur la recherche d'informations chez les professionnels de la documentation par (Choo et al. 2000).

La question qui se pose alors est de déterminer à quel groupe social faire références pour étudier ces pratiques professionnelles (Martinand 2001). En effet, en ce qui concerne les productions associées à des activités documentaires, l'identification et la caractérisation de ces pratiques de références posent quelques difficultés.

Si la production de dossiers documentaires est une activité courante des centres de documentation des entreprises, elle a été profondément transformée par l'affluence des documents disponibles sur la toile et ne s'est pas encore stabilisée. L'activité des centres documentaires importants fait désormais appel à des logiciels spécialisés pour la fouille de données, l'exploitation de ces données et la gestion des connaissances. Les documents qui en résultent risquent alors d'être assez éloignés de ceux qui sont demandés aux élèves.

Sans aller rechercher des pratiques trop spécialisées, il serait peut-être plus intéressant d'interroger les pratiques de catégories professionnelles qui ont pour activité la rédaction de documents de synthèse à partir de sources identifiées, et notamment celles des journalistes scientifiques et techniques. Peut-être même pourrait-on trouver des pratiques intéressantes chez certains chercheurs ou encore chez certaines catégories d'ingénieurs ou de techniciens. L'analyse de ces pratiques pourrait éclairer certains aspects techniques et cognitifs de la production de ce type de documents concernant la planification et la révision des textes.

Références

Beaufils A. (2003).- "Recherche documentaire sur Internet, utilisation de l'assistant ARI par des élèves de lycée". in Desmoulins, C., Marquet, P. & Bouhineau, D. EIAH2003 Environnements Informatiques pour l'Apprentissage Humain. Strasbourg, 15,16 et 17 avril. Paris : INRP, 421-428.
[En ligne] http://archiveseiah.univ-lemans.fr/EIAH2003/Pdf/n040-122.pdf

Beaufils A. (2001).- Aide pour la recherche d'informations au collège et au lycée, in : de Vries E., Pernin J.P., Peyrin J.P. (eds), Hypermédias et Apprentissages 5 : Actes du cinquième colloque. Grenoble, 9, 10, 11 avril 2001 – Paris : INRP-EPI, pp. 167-181.

Blondel F.-M., Le Touzé J.-C., Tarizzo M. (2002).- ARI : un assistant logiciel pour accompagner la formation à la recherche d'informations - in : Frasson C., Pecuchet J.-P. (eds), Actes du Colloque TICE2002, INSA, Lyon, novembre 2002, pp. 167-174.

Baccino, T. & Colombi, T. (2001). - L’analyse des mouvements des yeux sur le Web, In A.Vom Hofe (Ed.), Les Interactions Homme-Système : perspectives et recherches psycho-ergonomiques, pp. 127-148. Paris : Hermès.

Choo, C. W., Detlor, B., & Turnbull, D. (2000).- Information seeking on the Web: An integrated model of browsing and searching. First Monday, [En ligne] 5(2). http://firstmonday.org/issues/issue5_2/choo/index.html (consulté le 23 juillet 2003)

Crinon J. (2000).- Ecrire mieux avec le traitement de texte, in Lecture-écriture et nouvelles technologies, Anis J. & Marty N. (coord.), Collection de l'ingénierie éducative, CNDP, Paris, pp. 47-58.

Dessus P. (2001).- Aides informatisées à la production d'écrits : Une revue de la littérature, Sciences et Techniques Educatives, vol 8, n° 3-4.

Fayol, M. (1991).- « From sentence production to text production: Investigating fundamental processes », European Journal of Psychology of Education, vol. 6, n° 2, p. 101-119.

Mangenot F. (2000).- Aide à l'écriture ou environnements d'écriture ?, in Lecture-écriture et nouvelles technologies, Anis J. & Marty N. (coord.), Collection de l'ingénierie éducative, CNDP, Paris, pp. 59-68.

Martinand, J-L (2001).- Pratiques de référence et problématique de la référence curriculaire, in Terrisse A. (Ed.) Didactique des disciplines. Les références au savoir. DeBoeck Université. Bruxelles. pp. 18-24.

Tricot, A. & Rouet, J.F. (1998, dir.).- Les hypermédias: Approches cognitives et ergonomiques. Paris: Hermès.

[1] Commercialisé par le CRDP de Versailles, informations à l'adresse http://www.crdp.ac-versailles.fr/vitrine/produit.asp?id=52

[2] Une version gratuite mais réduite de ce logiciel est disponible au téléchargement à l'adresse http://www.copernic.com/

[3] Ce logiciel a été conçu et réalisé par François-Marie Blondel, Jean-Claude Le Touzé et Martial Tarizzo, avec la contribution de Alain Beaufils. Les informations disponibles sur cet assistant sont consultables à l'adresse suivante : http://www.inrp.fr/Tecne/Savoirplus/Rech40123/ari/

[4] Voir l'aide du logiciel en ligne :
http://www.inrp.fr/Tecne/Savoirplus/Rech40123/ari/aide/Utilisation/Prise_de_notes/prise_de_notes.htm

[5] Voir le travail de réflexion mené par Roger T. Pédauque au sein du réseau thématique pluridisciplinaire 33 du département STIC du CNRS, sous l’intitulé   "Document : forme, signe et relation, les re-formulations du numérique", consultable à l’adresse http://rtp-doc.enssib.fr/p_pedauque.htm

[6] Voir par exemple le tutoriel Detective du projet européen Desire (http://www.desire.org/ ) à l'adresse http://www.desire.org/detective/detective-fr.html


François-Marie Blondel, Alain Beaufils
Institut National de Recherche Pédagogique
francois-marie.blondel@inrp.fr

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