Didapro

Actes en ligne des premières journées francophones 
de didactique des progiciels
(10 et 11 juillet 2003)

Éditeurs

Bernard André
Georges-Louis Baron
Éric Bruillard

© INRP/GEDIAPS

Didapro@inrp.fr

Mis en ligne le 2 octobre 2003
Dernière mise à jour le 15 octobre 2003

Comment ont évolué les représentations des publics demandeurs d’une formation professionnelle en informatique au cours des 15 dernières années ?

Florent Chenu, Cathérine Mattar, Christine Mélotte

Résumé

Cette communication a pour but de rendre compte de la manière dont évoluent les représentations relatives à l’ordinateur de publics demandeurs de formation en informatique.Pendant 15 ans, des personnes débutant une formation ont jugé un même ensemble de propositions à l’aide d’une échelle de Likert. Ce texte présente le traitement de ces données et propose quelques hypothèses pour les interpréter.

1. Dans quel cadre l’étude a-t-elle été menée ?

Depuis 1988, le Service de Pédagogie expérimentale de l’Université de Liège organise, avec le soutien du Fonds Social Européen, des formations professionnelles en informatique destinées aux demandeurs d’emploi. L’offre de formation de notre service a évolué au fil des années et plusieurs domaines en ont fait l’objet : la bureautique, le patronage assisté par ordinateur, la gestion et la programmation de base de données, l’infographie, la gestion et l’administration des réseaux et le hardware.

2. Quel est l’objet de l’étude ?

L’objet de l’étude présentée dans cette communication est de rendre compte de la façon dont évoluent, au cours des quinze dernières années, les représentations des publics demandeurs de formation en informatique par rapport à l’ordinateur.

3. Quelle méthodologie a été employée ?

Au début et à la fin de chaque formation (qui durait, selon les formations, entre 7 et 12 mois), l’équipe a administré un questionnaire aux personnes sélectionnées. Son objet étant d’investiguer les caractéristiques de chaque apprenant et notamment ses représentations quant à l’ordinateur et aux relations entretenues entre l’informatique et la société.

Plus particulièrement, les demandeurs d’une formation informatique étaient invités à juger une série de propositions relatives :

  1. à l’autoperception par l’apprenant du niveau de ses compétences informatiques ;
  2. à l’importance du rôle de l’informatique dans les entreprises ;
  3. aux conséquences sur l’emploi de l’introduction de l’informatique dans le monde du travail ;
  4. à l’automatisation des tâches routinières permises par l’informatique ;
  5. à la facilité d’utilisation des outils informatiques ;
  6. aux projections quant à l’impact des nouvelles technologies de l’information dans le futur.

Les propositions à juger au moyen de l’échelle de Likert ( à 4 degrés) sont restées identiques de 1988 à 2003 et ce pour toutes les formations organisées. En tout, plus de 800 personnes ont été amenées à se prononcer à leur sujet au fil des ans. Toutes ces données ont été encodées et traitées.

4. Quel est le public interrogé ?

Les 840 sujets qui ont répondu au questionnaire ont comme caractéristique commune le fait d’être tous des demandeurs d’emploi s’inscrivant à une formation dite qualifiante en informatique.

Voici un tableau reprenant la répartition des publics dans les différentes formations depuis 1988 [1] :

  Pas l'info Hardware Patronage assisté par ordinateur Bureau-tique Base de données Infographie Réseaux Total
(n)

1988 - 1991

95
37%

20
8%

29
11%

45
18%

65
26%

254

1992 - 1995

34
14%

144
60%

54
23%

8
3%

240

1996 - 1999

2
1%

54
21%

97
38%

73
29%

29
11%

255

2000 - 2003

11
12%

18
20%

34
37%

28
31%

91

Il est important de remarquer que, pour le dernier bloc, presque 70% des formations concernent l’infographie et la gestion de réseaux.

La répartition hommes-femmes du public se présente de la manière suivante au cours du temps :

Hommes

Femmes

Pas l'info Total

1988-1991

109 (43%)

133 (52%)

12 (5%)

254 (100%)

1992-1995

96 (40%)

144  (60%)

0 (0%)

240 (100%)

1996-1999

103(40%)

152 (60%)

0 (0%)

255 (100%)

2000-2003

56 (62)%

35 (38%)

0 (0%)

91 (100%)

Total (n):

365

464

12

481

La majorité des personnes inscrites sont des femmes. Cette tendance est valable pour les trois premiers blocs d’années (1988-1999) et s’inverse au dernier bloc (2000-2003). Cette inversion peut s’expliquer par l’inscription massive d’hommes dans la formation de gestion et administration de réseaux qui a été proposée à partir de l’année 2001.

En ce qui concerne la formation initiale des publics, nous bénéficions d’informations valables à partir de l’année 1996. Le tableau ci-joint reprend le diplôme le plus élevé obtenu pour chacune des personnes inscrites dès 1996.

Diplôme le plus élevé obtenu par les stagiaires : 1996-1999 2000-2003 Total

N’a pas atteint le niveau étude de base primaire

0

0

0

CEB (certificat d’étude de base primaire, 12 ans)

1

1

2

CESI (certificat d’étude secondaire inférieur, 15 ans)

30

11

41

CESS (certificat d’étude secondaire supérieur, 18 ans)

159

55

214

Diplôme de l’enseignement supérieur

50

22

72

Manque d’informations

15

2

17

Totaux 255 91 346

La majorité (62%) a obtenu le CESS, c’est-à-dire le certificat d’étude secondaire supérieur. Douze pour cent sont détenteurs du CESI (certificat d’étude secondaire inférieur) et 21% ont réussi une formation dans l’enseignement supérieur.

5. Comment les représentations des publics ont-elles évolué les quinze dernières années ?

Pour plusieurs items, les tendances qui ressortent des résultats mettent en évidence des évolutions quant à la façon dont un public demandeur de formation en informatique se représente ce domaine. Elles montrent aussi qu’il est possible que la définition donnée par ce public à certains termes évolue. Enfin, pour certains items, aucune évolution n’apparaît clairement. Nous allons détailler chacun de ces résultats en tentant d’y associer des hypothèses explicatives.

5.1. L’autoperception des personnes du niveau de leurs compétences informatiques

Nous avons demandé de juger deux propositions sur l’autoperception que le demandeur d’une formation a de ses compétences en informatique.

Voici les résultats pour la première :

Les personnes questionnées ne se sont jamais senties incapables de s’en sortir avec l’informatique depuis que le questionnaire est administré. On remarque également que les sujets sont de plus en plus catégoriques à ce propos. Si lors des années 1988 - 1991, 63% des personnes rejetaient complètement la proposition, ce pourcentage n’a cessé d’augmenter jusqu’à 85% pour les années 2000-2003. Ceci est peut-être à rattacher à une banalisation progressive de l’ordinateur auprès du grand public.

Le jugement de la seconde proposition sur le sujet donne des résultats similaires et même plus marqués :

Alors que les sujets étaient 51% à se dire « tout à fait d’accord » avec la proposition, ils sont aujourd’hui 78% à l’affirmer.

5.2. L’importance du rôle de l’informatique dans les entreprises

Les résultats ci-dessous donnent une idée de l’importance que les personnes reconnaissent à l’entrée de l’informatique dans les entreprises :

Ici aussi, les résultats s’accentuent : en 1988-1991, 43% des personnes interrogées sont tout à fait d’accord avec l’importance de l’informatique pour l’entreprise. En 2000-2003, elles sont 58%.

Dans le même ordre d’idées, le jugement du caractère utile de l’informatique a été investigué :

Pour cet item, les proportions de stagiaires en accord et en désaccord ne sont pas modifiés. Néanmoins, leurs propos se radicalisent au fil des ans : on passe de 70% de personnes rejetant complètement la proposition en 1988-1991 à 85% en 2000-2003. Plus le temps passe et plus l’informatique est « prise au sérieux ».

5.3. Les conséquences sur l’emploi de l’introduction de l’informatique dans le monde du travail

Tout un temps, l’idée selon laquelle l’homme allait être remplacé par la machine a été véhiculée dans la société. C’est un peu cette dernière idée que les résultats suivants abordent :

On remarque ici que les résultats évoluent légèrement au fil du temps. Pour le dernier bloc d’années, ils vont jusqu’à s’inverser. Ces derniers chiffres sont à éclairer par une donnée complémentaire : les années 2000-2003 se caractérisent par une centration des formations du SPE sur les domaines de l’infographie et de la gestion de réseaux. Les métiers d’infographiste et de gestionnaire de réseaux sont des emplois qui ont été créés par l’informatique tandis que les formations en bureautique ou en patronage assisté par ordinateur qui disparaissent ou ont disparu dans ce bloc ciblent des domaines visant plutôt une certaine automatisation et gain de temps dans les tâches. Ce changement de public constitue une hypothèse possible pour interpréter cette inversion de tendance.

Quant aux conséquences de l’informatique pour le métier de la secrétaire, les réponses sont les suivantes :

La majorité des sujets reste convaincue de la nécessité du métier de secrétaire (cf.graphique ci-dessus). En effet, on peut penser que si elles n’élaborent plus des documents de A à Z, elles sont néanmoins sollicitées pour leur maîtrise des fonctions avancées du traitement de texte (plus grandes exigences pour la qualité de la mise en page des documents permise de l’informatique). Peut-être assument-elles aussi d’autres tâches informatiques (gérer des courriers électroniques, encoder, rechercher des informations sur Internet, …) ou autre (tenir l’agenda, prendre les coups de téléphone, etc.).

5.4.L’automatisation des tâches routinières permise par l’informatique

La notion d’automatisation a fait l’objet d’une proposition à juger :

Les résultats ont tendance à se mitiger au fil du temps. En effet, plus le temps passe, plus les personnes sont en désaccord avec la position prise dans cet item. Plusieurs hypothèses fournissent une explication à ces résultats. 

D’une part, l’utilisation de l’ordinateur pour la réalisation de tâches de routine comme celle de l’encodage reste toujours actuelle. D’autre part, les résultats obtenus au dernier bloc d’années peuvent aussi être renforcés par un « glissement » du public. Les formations des dernières années (2000-2003) se centrent sur les domaines de l’infographie et de la gestion de réseaux.

Ces activités sont caractérisées par des tâches nouvelles qui créent un nouveau  « temps de travail » tandis  que les domaines de la bureautique, du patronage assisté par ordinateur, de la gestion de bases de données, … visent plus un gain de temps à travers une automatisation des tâches routinières et/ou répétitives.

5.5. La facilité d’utilisation des outils informatiques

Une proposition faisant référence à l’utilisation facile ou non de l’outil informatique a été incluse dans le questionnaire. Voici les résultats que l’on obtient :

Alors que les personnes étaient très favorables à la proposition dans les premières années durant lesquelles le questionnaire a été administré, elles sont devenues de moins en moins d’accord avec elle au fil des ans. Pourtant on entend souvent dire que les concepteurs de logiciels tentent de rendre l’utilisation de leur produit toujours plus intuitive et plus facile. Alors, de deux choses l’une : ou bien, les résultats témoignent d’une complexification de l’utilisation des logiciels perçue par les personnes interrogées, n’en déplaise à leurs concepteurs, ou bien il faut chercher une autre explication des résultats.

En nous penchant sur cette dernière possibilité, nous avons fait l’hypothèse selon laquelle il serait possible que la signification attribuée par le public demandeur de formation au terme « programme » ait évolué pendant ces quinze ans. En effet, le terme serait passé de la signification de « logiciel » à celle de « langage de programmation ».Autrement dit, en 1988, utiliser un programme, c’était utiliser un logiciel tandis qu’en 2003, utiliser un programme serait plus proche de « programmer, maîtriser un langage de programmation ». Dès lors, on pourrait comprendre que la seconde acceptation du terme recouvre une réalité plus complexe que la première.

Une autre hypothèse peut également être envisagée. Certains logiciels offrent tellement de possibilités que les exigences qu’on a envers les personnes qui les utilisent ne peuvent  pas être rencontrées par un novice.

5.6. Projections quant à l’impact des nouvelles technologies de l’information dans le futur

Deux items sont relatifs aux projections quant à l’impact des nouvelles technologies dans le futur. Les résultats obtenus sont assez révélateurs. Voici les chiffres pour le premier item :

Jusqu’à l’année 1999, les résultats n’ont cessé d’évoluer dans le même sens. Au fil des ans, de plus en plus de personnes considèrent comme importante la maîtrise du langage informatique. Pourquoi la situation change-t-elle les dernières années ? Une conception différente du concept « langage informatique » pourrait expliquer les résultats. Les personnes inscrites dans des formations de type « gestion des réseaux  » organisées les dernières années au SPE n’associeraient-elles pas le concept  de langage informatique à un autre contenu que celles inscrites dans des formations antérieurs ? Les dernières lieraient l’expression « langage informatique » à l’idée « utiliser un logiciel » tandis que les premières, ayant des bases plus solides et nécessaires pour entamer la formation, attribueraient le sens exact à l’expression.

Voici les résultats pour le second item :

Pour chaque bloc d’années, on retrouve la même distribution : l’informatique va révolutionner notre mode de vie dans les toutes prochaines années. Faut-il parler d’une révolution qui se fait attendre ou d’un révolution permanente ?

6. Les évolutions se différencient-elles selon le sexe du public ?

Parmi les items analysés, des différences dans les résultats ont été dégagées selon le sexe du public interrogé pour un types de propositions, à savoir l’autoperception des stagiaires au niveau de leurs compétences informatiques. Les résultats d’un item spécifique à la question des différences de capacités informatiques selon le sexe seront présentés ci-joint.

6.1.L’autoperception des personnes du niveau de leurs compétences informatiques

Si l’autoperception des personnes interrogées de leur capacités informatiques n’a cessé d’augmenter, c’est surtout le cas pour les hommes. Leurs propos à ce sujet se radicalisent davantage comparé à ceux des femmes. Cette tendance s’observe à travers les résultats obtenus pour les deux items suivants.

6.2. Les filles savent aussi bien que les garçons comprendre le fonctionnement d’un ordinateur

Un item est relatif à la différence de compréhension du fonctionnement d’un ordinateur par une fille ou par un garçon. Il est intéressant de comparer les avis des hommes et des femmes à ce sujet.

Depuis les années 1988 jusqu’aux années 1999, les propos sont identiques pour les hommes et les femmes. Ils s’expriment « tout à fait en accord » avec l’item proposé. Pourquoi alors la situation change-t-elle les dernières années ? A nouveau, la variable du type de formations octroyées peut expliquer ce phénomène. Pour rappel, durant les dernières années, les formations de types bureautiques ont cédé leurs places aux formations d’ordre de la gestion des réseaux. 

Dans ce contexte de formation de gestion de réseaux, les hommes sont plus réticents que les femmes en ce qui concerne la capacité égale des filles et des garçons de leur compréhension du fonctionnement d’un ordinateur.

7.  Les représentations des personnes évoluent-elles après les formations  ?

Nous avons pu dégager une évolution, voir radicalisation, des représentations des personnes après les formations pour deux items proposés dans le questionnaire. Le graphique ci-dessous présente les résultats des personnes interrogées vis-à-vis de l’intérêt des possibilités du micro-ordinateur avant et après la formation.

En effet, les avis des personnes interrogées se radicalisent après leur formation.

En ce qui concerne l’énoncé selon lequel faire sa comptabilité sur ordinateur est compliqué et dangereux, nous avons traité uniquement les résultats des personnes ayant suivi la formation bureautique proposant des cours de comptabilité. Voici, les résultats obtenus pour cet item :

Les personnes sont plus nombreuses à ne pas être du tout d’accord après la formation qu’avant. La formation a donc sans doute confirmé leur avis.

8. En conclusion

L’étude dont on vient d’examiner les résultats avait pour but de repérer des évolutions quant aux représentations du public s’inscrivant à une formation en informatique. Plusieurs constats ont été soulevés quant à l’évolution des représentations des personnes durant les quinze dernières années, quant aux différences dans l’évolution de ces représentations selon le sexe ainsi qu’aux évolutions des représentations observées après les formations.

Premièrement, les tendances qui ressortent des résultats mettent en évidence des évolutions quant à la façon dont un public demandeur de formation en informatique se représente ce domaine Elles soulignent un certain nombre de phénomènes intéressants à observer sur ces quinze années :

Il est également intéressant de remarquer que les résultats à certaines questions mettent en évidence des différences assez marquées entre les publics spécifiques de chaque formation par rapport à des problématiques précises. Par exemple, les participants aux formations en bureautique, domaine de l’informatique permettant une certaine automatisation des tâches, ont tendance à considérer que l’informatique a plutôt tendance à supprimer des emplois tandis que les participants aux formations en infographie et en gestion et administration de réseaux (dont la profession est en quelque sorte créée par l’informatique) pensent davantage que l’ordinateur est générateur d’emplois.

Les résultats permettent en outre de faire l’hypothèse que le sens de certains termes et/ou expressions changent au fil du temps, notamment l’expression « utiliser des programmes » ou « langage informatique ».

Enfin, certaines idées sont jugées de la même façon de 1988 à 2003 :

Deuxièmement, en ce qui concerne les évolutions des représentations des personnes interrogées selon leur sexe, nous pouvons conclure que des différences apparaissent au niveau de :

Enfin, nous avons relevé une différence des représentations des publics pour deux items du questionnaire posé avant et après la formation concernant :


[1]   Les données ont été regroupées par bloc de 4 ans comme cela sera le cas pour les résultats. Pour ces derniers, regarder l’évolution de 4 ans en 4 ans permet d’obtenir une meilleure lisibilité.


Florent Chenu,Cathérine Mattar, Christine Mélotte
Service de Pédagogie expérimentale, Université de Liège.

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Éditeurs : Bernard André
Georges-Louis Baron
Éric Bruillard
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