Didapro

Actes en ligne des premières journées francophones 
de didactique des progiciels
(10 et 11 juillet 2003)

Éditeurs

Bernard André
Georges-Louis Baron
Éric Bruillard

© INRP/GEDIAPS

Didapro@inrp.fr

Mis en ligne le 2 octobre 2003
Dernière mise à jour le 15 octobre 2003

Peut-on enseigner les «  outils  » logiciels ?

Un dispositif pour une auto-formation au traitement de texte, balisée et assistée, partiellement à distance : analyse d'une expérience.

Charles DUCHÂTEAU

Résumé

La première partie de cette communication s'attache à décrire et à analyser quelques-uns des problèmes liés à l'enseignement des savoir faire relatifs aux usages des progi­ciels et à préciser quelques principes qui sous-tendent notre action dans ce domaine. En bref, on y aborde quelques facettes de la question « On peut apprendre à utiliser des logi­ciels, mais peut-on les enseigner et, si oui, comment  [1]? ».

Dans une seconde partie, on décrit un dispositif qui tente de prouver que, à condition de s'entendre sur la portée du terme « enseigner » et d'en recouvrir un ensemble assez diver­sifié de stratégies, on peut de fait faciliter la découverte et la maîtrise des logiciels afin d'en promouvoir un usage efficace et raisonné.

À titre d'illustration, on y évoque une formation organisée par le CeFIS à destination des enseignants[2] du secondaire; cette formation (initiation au traitement de texte), partielle­ment à distance, a été organisée deux années de suite (de 1999 à 2001). On évoque les contraintes en revenant sur la difficulté d'enseigner des savoir-faire, en tenant compte du public mais aussi de l'environnement global de ces formations. On décrit ensuite les solutions envisagées, en montrant que le dispositif mis en place est l'aboutissement d'une démarche commencée il y a plusieurs années. Sur base d'un recensement des éva­luations des participants, on évoque les facettes positives et les écueils du dispositif.

1. Thèmes abordés (parmi ceux de la rencontre)

2. Résumé (voir encadré)

3. La formation aux instruments logiciels ?

3.1. Quelques principes à la base de nos formations aux usages des progiciels

Même si aucune formalisation préalable n'en a été faite, on peut, rétrospectivement analyser quelques uns des grands traits qui sous-tendent et structurent nos actions en matière de formation aux progiciels. Ce sont en quelque sorte les valeurs ou finalités implicites qui guident nos choix de formateurs; elles sont souvent le résultat de constata­tions ou de contraintes diverses. En voici, en vrac, quelques unes.

3.1.1. Nous sommes tous des autodidactes qui aimons partager nos découvertes

Pour faire bref, ce que le formateur partage, c'est sa vision du progiciel, résultant d'une longue découverte de ce dernier. Pas question ici d'être un interface plus ou moins intel­ligent entre le contenu de manuels ou des pages d'aide en ligne et les apprenants. Après une longue pratique, attentive à prendre constamment un recul suffisant et alimentée par son expérience, le formateur est en mesure de transmettre le résultat de cette diges­tion préalable : pointer les éléments essentiels, structurer les caractéristiques importan­tes, pointer les détails qui peuvent faciliter l'usage ou le rendre plus efficace, bref parta­ger ses découvertes.

Autrement dit, enseigner les usages d'un logiciel, ce n'est pas reprendre en un long ca­talogue fastidieux les commandes trouvées au sein des menus, c'est donner sens aux fonctionnalités de cet instrument en montrant comment il peut rencontrer les souhaits de son utilisateur, mais c'est surtout en organiser la découverte.

3.1.2. Il faut d'abord, de la part du formateur, une connaissance aussi complète et profonde que possible du logiciel à faire maîtriser

Rien de nouveau : quelle que soit les stratégies pédagogiques du formateur, elles doivent reposer sur une maîtrise aussi large et solide que possible de l'instrument à découvrir, résultant d'une pratique exercée avec un important esprit critique.

L'évolution incessante des logiciels ne facilite pas cette connaissance en profondeur. Ainsi, depuis la ver­sion 97 de Word, je n'ai toujours pas compris comment marche vraiment la numérotation automatique des paragraphes et ses liens avec l'usage de styles appropriés. Je ne suis dès lors pas capable de présenter en une explication rationnelle et structurée les caractéristiques de cette fonctionnalité.

L'essentiel est d'ailleurs que cette connaissance soit organisée par le formateur dans une perspective d'apprentissage : autant que possible, il doit posséder et proposer une vision du logiciel comme d'un édifice accessible à l'entendement humain. Quand on sait quelles « usines à gaz » sont parfois les logiciels, ce n'est pas forcément une tâche simple...

3.1.3. Pas de saupoudrage, on prend le temps de « faire le tour » des concepts et outils à faire maîtriser

On a, pour caricaturer, le choix de deux parcours pour aider les apprenants à s'appro­prier les usages d'un « outil » logiciel : une approche qui glisse « en surface » et une démar­che qui creuse « en profondeur », les uns après les autres, les éléments à maîtriser.

Il est vrai que lorsqu'on utilise un logiciel, on mobilise simultanément un large ensemble de savoir faire relatifs à des aspects très divers de ce dernier. Mais est-ce pour autant que, lors de l'apprentissage, il est bon de sauter rapidement d'un élément à un autre. Ce n'est en tous cas pas la stratégie que nous utilisons en général : nous préférons nous ar­rêter le temps nécessaire pour faire découvrir les diverses facettes d'un concept ou d'une fonction, avant d'en explorer un autre.

Ainsi, lorsqu'il s'agit, dans l'initiation au traitement de texte (Word)[3], d'initier aux possibilités de mise en forme d'un texte, on va faire le tour des attributs possibles d'un paragraphe, la fixation de ces attributs réfé­rant à divers items au sein des menus. Le point de départ de l'exploration sera d'ailleurs « qu'est ce qu'un pa­ragraphe, du point de vue du logiciel de traitement de texte? » Ou pour dire les choses autrement, pour­quoi, du point de vue du logiciel, un document comporte-t-il (parfois) obligatoirement plusieurs paragraphes ? [4]
C'est la même exploration qui sera faite le moment venu, pour les attributs de section. Ainsi, je me refuse à expliquer « sur un coin de table » la recette pour mettre une portion de texte sur deux colonnes ou celle pour recommencer à 1 la numérotation des pages à partir d'un endroit du document. Mais le moment venu, un certain nombre de possibilités vont s'agréger autour du concept d'attributs de section.

Je pourrais poursuivre en parlant de « faire le tour  » du concept de style ou de celui de modèle (non, ce n'est pas seulement choisir dans une liste, après avoir donné les commandes « Fichier » et « Nouveau »...)

3.1.4. Dans la phase d'initiation, ce ne sont pas les questions des apprenants qui structurent le parcours d'apprentissage

C'est une autre manière de redire que lors de cette première phase de « prise de contact » avec le logiciel, les possibilités et fonctions ne sont pas découvertes « au hasard » ou « en vrac ». Ceci ne signifie pas qu'on reste sourd aux questions ou aux souhaits, mais qu'on ne se contente pas de transformer l'initiation au logiciel en un magma informe de manipu­lations juxtaposées et sans lien les unes avec les autres.

Très souvent, les apprenants sont d'ailleurs les premiers à constater qu'il leur faut d'abord maîtriser le vocabulaire spécifique : des mots pour poser les questions et surtout pour assimiler les réponses.

Lorsque, dès le premier cours, un enseignant demande s'il y a moyen de  placer sur une même ligne de texte, un petit bout de texte à gauche et le reste à droite, autrement qu'en séparant les deux morceaux par une suite d'espaces [5], je lui montre bien entendu que c'est possible et je m'assure qu'il assimile bien la re­cette nécessaire (sans utiliser d'ailleurs les mots adéquats pour en parler) : je le dépanne, sans plus. Mais bien évidemment, lorsque dans l'épisode traitant des attributs de paragraphe, le moment sera venu d'abor­der les taquets, j'aurai une attention particulière pour replacer dans ce contexte, avec les mots appropriés (taquet droit, tabulation,...) la « recette » précédemment livrée.
Notons que les recettes sont parfois longues à décrire et que les replacer dans le contexte qui leur donne sens est parfois longuement différé : ainsi, lorsqu'un enseignant se plaint de ce que, à chaque fois qu'il crée un document nouveau, c'est la police Times qui lui est imposée pour commencer à frapper son texte et qu'il préférerait, en permanence que ce soit la police Arial, l'explication va devoir s'appuyer sur les concepts de style et de modèle; c'est dire que même si, pour dépanner, on fournit immédiatement la pièce du puzzle, c'est bien plus tard qu'elle viendra s'insérer à sa place dans l'ensemble des autres.

On devine, que lorsque les apprenants ont suffisamment intégré cette « couche de base » (et le vocabulaire qui s'y rapporte), la stratégie de formation peut, si les circonstances le permettent, coller beaucoup plus à leurs questions en prenant appui sur leurs demandes. (Cf.[DUCHÂTEAU94]).

Reconnaissons cependant qu'il est souvent malaisé de dépasser les simples réponses im­médiates aux questions des apprenants pour élargir le champ de ce qui doit être décou­vert : il n'est pas facile pour eux d'accepter de faire la différence entre leurs demandes et leurs besoins. Surtout lorsque c'est le formateur qui définit ce que sont ces derniers.

On peut ajouter à ces principes qui fondent nos actions de formation, quelques constata­tions de bon sens :

3.2. Pourquoi les enseignants fréquentent-ils les formations consacrées aux logiciels ?

Les premières formations menées dans le cadre du CeFIS (Centre pour la Formation à l'Informatique dans le Secondaire) datent de 1981 [6]. C'était évidemment l'époque de la programmation triomphante. Cependant, dès 1983, une formation consacrée au logiciel de traitement de texte Apple Writer (tournant sur les Apple II) était organisée. Depuis 20 ans, c'est plus de trois cents enseignants qui ont participé au fil des années à ces ini­tiations et plus d'une centaine qui ont suivi des séances de « perfectionnement ». A côté de ces initiations au traitement de texte, bien d'autres logiciels ont été abordés. A titre d'exemple, citons cette année, extraites de notre « catalogue » de formations, les activités suivantes :

Pourquoi donc les enseignants acceptent-ils de consacrer, hors de leurs horaires de pres­tations scolaires, plusieurs après-midi à des formations. Les raisons sont diverses et ne sont évidemment pas identiques pour les « très novices » et les « presque experts ». Mais on peut en pointer l'une ou l'autre :

3.2.1. Pendant les formations, les enseignants n'ont rien d'autre à faire que se former

Nous savons tous combien la pression du quotidien et l'urgence des tâches à clôturer fi­nissent par repousser dans un futur indéfini nos velléités de formation. Lorsque les en­seignants se retrouvent sur les bancs de notre salle de cours ou face aux ordinateurs du laboratoire, c'est exclusivement pour « en apprendre davantage ». C'est un temps « bloqué », qui échappe en quelque sorte aux aléas du travail quotidien.

S'inscrire et participer à une formation, c'est souvent une manière de s'obliger à y consa­crer au moins le temps qu'on y passe.

3.2.2. Les enseignants savent que la formation va leur faire gagner du temps en matière d'apprentissage

On comprend aisément que cela soit vrai pour les novices, mais ce l'est également pour les utilisateurs confirmés. Si la formation est correctement menée (voir ci-dessus), les enseignants-apprenants savent qu'il vont remplacer des heures de tâtonnements, d'ex­ploration par essais et erreurs, par un parcours de découverte, où le formateur va leur faire percevoir tous les aspects utiles ou essentiels d'une fonctionnalité particulière du logiciel. Ce qu'il faut apprendre, qui a déjà été mâché et digéré, est de plus structuré et accompagné de la vision spécifique du formateur.

Aucun manuel, aucun ensemble d'aide en ligne ne peut remplacer l'interaction avec un humain qui tente de partager sa représentation et ses usages du logiciel à maîtriser.

3.2.3. La formation est le point d'entrée qui permet ensuite de bénéficier de l'expertise du formateur

Pendant la formation déjà, les enseignants profitent à la fois du contact avec le forma­teur mais aussi avec les autres apprenants pour aborder un certain nombre de questions. Ces questions portent évidemment sur les contenus abordés, mais aussi, bien plus lar­gement sur un assortiment relativement large de problèmes rencontrés lors de l'usage des logiciels.

Il y a bien d'autres raisons qui incitent les enseignants à participer aux formations orga­nisées : le plaisir de retrouver d'autres enseignants, partageant les mêmes questions et les mêmes souhaits, la « bouffée d'air » liée au fait de « sortir de l'école », ...

4. Enseigner des savoir faire ?

Bien des auteurs[7] ont mis en évidence la difficulté pour l'enseignant de trouver sa place dans cette boucle

En matière d'usages des logiciels, il est impossible d'agir sans un minimum de savoir, mais ces savoirs ne s'intègrent réellement aux compétences des usagers qu'à travers l'ac­tion (« les mains sur la clavier »).

Rappelons aussi que la question posée par cette contribution est (pour une fois) celle de l'enseignement beaucoup plus que de l'apprentissage.

Cet enseignement des savoir faire, qui nous laisse aussi démunis que les professeurs de guitare, de poterie ou de tennis, est cependant tout à fait exemplaire de cette ritournelle d'inspiration constructiviste, aussi vieille que les tentatives d'intégration des outils in­formatisés dans l'enseignement et qui plaide pour un changement des rôles de l'en­seignant.

4.1. Les rôles de l'enseignant

4.1.1. Du côté des savoirs

Le rôle reste ici relativement habituel : il va s'agir, en s'appuyant essentiellement sur son expérience d'utilisateur, de structurer, dans une perspective d'apprentissage, les facettes essentielle du logiciel à maîtriser.

Redisons cependant qu'il ne s'agit pas de dresser un catalogue des commandes disponi­bles, mais plutôt de donner sens à ces dernières et, en quelque sorte de les contextuali­ser.

Ainsi, un des rôles fondamentaux de l'enseignant est, me semble-t-il, de présenter le contenu à maîtriser en terme de problèmes à résoudre plus qu'en termes de commandes à retenir. Il est indispensable d'entraîner les apprenants à isoler des tâches que « l'outil » va permettre d'accomplir à condition que l'on combine en un petit algorithme séquentiel les commandes appropriées. Je pense que les multiples commandes et conventions ne peu­vent être retenues que si leur découverte les intègre dans des problèmes qui leur don­nent sens et permettent leur rétention. Ici comme ailleurs, ce ne sont pas les commandes élémentaires qui sont retenues mais un certain nombre de tours de main qui les intè­grent en des activitéssignificatives. 

Enfin, il est essentiel que transparaissent à travers la présentation de l'enseignant ses propres représentations (dont on peut espérer qu'il s'agisse de celles d'un expert) et ses tours de main particuliers. C'est aussi ce savoir critique et les « trucs et ficelles » acquis par le formateur lui-même dont sont friands les apprenants.

4.1.2. Du côté du « faire »

C'est ici essentiellement l'apprenant qui à la main : il est le seul à pouvoir agir pour que les savoirs que le formateur a présenté s'intègrent dans ses manières d'utiliser le logiciel. C'est donc ici que le formateur doit le plus faire preuve d'imagination pour « forcer l'ap­prenant à pratiquer », et de modestie, puisque quoi qu'il fasse, c'est l'apprenant qui a fi­nalement le contrôle.

4.2. Les diverses strates constituant les savoir faire à faire acquérir

Il me faut ici reprendre le schéma tiré de [DUCHÂTEAU02]  :

4. Méta-règles et organisation

3. Capacités de résolutions de problèmes

2. Maîtrise des primitives des instruments

1. Réflexes, habileté motrice, manipulation

et y renvoyer le lecteur pour plus de détails. Quelques remarques cependant :

4.3. Des difficultés particulières liées à l'enseignement et à l'apprentissage du traitement de texte

A côté des écueils que l'initiation au traitement de texte partage avec ceux relatifs à n'importe quel « outil logiciel », il faut pointer quelques particularités propres aux logiciels de traitement de texte. Ces traits spécifiques sont parfois seulement des amplifications des obstacles communs à l'enseignement des progiciels, mais ils rendent en quelque sorte exemplaire le cas du traitement de texte.

4.3.1.  Les représentations a priori des enseignants à propos de la création d'un texte : c'est un univers (trop) familier

La création de texte (et la conception qu'on s'en fait) est un univers connu (et souvent familier). Les apprenants transfèrent donc dans les usages du traitement de texte des évidences relevant de leurs conceptions préalables; en d'autres termes un logiciel de trai­tement de texte est faussement perçu par les débutants comme une « super machine à écrire » (Cf. [LEVY91]).

Chacun sait ce qu'est un texte, un caractère, un titre, un paragraphe, une table des ma­tières; il « reste » seulement à accepter d'entrer dans la logique propre au logiciel à propos de tous ces concepts familiers.

Il ne suffit pas d'avoir mis une portion de texte en gras, en taille 10 et centré pour que le logiciel le considère comme un titre. Il faut avoir compris que certains paragraphes peuvent acquérir un statut particulier (en-tête, titres, notes de bas de page,...). Il faut en quelque sorte comprendre qu'une portion de texte n'est pas une note de bas de page parce qu'on l'a placée en-dessous du texte, mais plutôt qu'elle est placée sous le texte parce qu'on lui a donné le statut de note.

4.3.2. L'épaisseur du logiciel oblige à des détours incompréhensibles et inacceptables pour les novices

Le traitement de texte est aussi l'un des logiciels ou apparaissent le plus immédiatement le caractère formaliste des traitements relevant de l'informatique (définition d'un mot, d'un paragraphe, pourquoi des sections,...) comme aussi l'épaisseur de la couche d'auto­matisation prise en charge par le logiciel, éloignant d'autant le « ce qu'on veut » de la ré­alisation proprement dite.

Une des difficultés principales est sans doute pour l'utilisateur de « déléguer » au logiciel la prise en charge d'un certain nombre de « décisions » en ayant compris que celles-ci vont faire l'objet d'un traitement automatique : saut de ligne, saut de page, effet de l'applica­tion d'un style, rôle des taquets,...

J'ai coutume au tout début de la formation, après avoir jeté l'anathème sur certains modes d'utilisation du logiciel d'ajouter qu'il y a cependant une situation où tous les comportements sont admissibles et défenda­bles : vous tapez un texte, votre premier jet est toujours le bon, puis vous le faites immédiatement imprimer; vous ne prenez donc pas la peine de l'archiver (vous pouvez dès lors faire l'économie de la connaissance de termes comme « ouvrir » ou « enregistrer »)... Si c'est bien le cas, une formation au traitement de texte est inutile, tous vos réflexes naturels lors de la création et de la mise en page sont bons. Mais on est évidem­ment en droit de vous demander pourquoi vous n'utilisez pas une machine à écrire...

4.3.3. La tentation est grande d'utiliser les outils d'édition pour réaliser la mise en page

Ce troisième élément est d'une certaine manière la manifestation la plus évidente des deux remarques qui précèdent : chacun sait l'usage pervers qui est fait des touches « es­pace », fin de paragraphe, tabulation qui sont des outils d'édition (ce sont même des ca­ractères) et non de mise en forme du texte.

C'est pourtant la règle chez la plupart des utilisateurs : avec la réception en document attaché à un courrier électronique non plus des versions « papier », mais des versions « fichier » des textes, on mesure à quel point, faute de formation correcte, le logiciel de traitement de texte est utilisé comme une machine à écrire.

5. Le dispositif d'auto-formation, partiellement à distance

Le dispositif décrit ci-dessous s'inspire partiellement des remarques et constatations qui précèdent. On en trouvera une description détaillée dans [DUCHÂTEAU00]. Il est disponible à l'adresse http://www.det.fundp.ac.be/cefis/ressources/word.html.

5.1. Le dispositif, en (très) bref

A deux reprises en 2000 et 2001, nous avons organisé une formation :

En bref, il s'est agi d'une initiation (au traitement de texte), en autonomie, balisée et assistée, et organisée partiellement à distance.

5.1.1. Les contraintes

5.1.2. Les matériaux utilisés et leur structure

La progression de l'apprentissage est organisée en étapes successives et clairement iden­tifiées. La structure des diverses étapes est toujours la même et s'articule autour d'acti­vités de natures diverses reposant toujours sur un ensemble de documents adéquats :

Il faut noter que l'ensemble de ces documents représentent plus de 300 pages.

Figure : les matériaux utilisés

5.1.3.  Les choix techniques

Ils répondent au souci de simplicité évoqué plus haut; aucun outil sophistiqué n'est re­quis, ni du côté du formateur, ni du côté des utilisateurs débutants.

Nous avons constamment tenté d'échapper à la fascination pour ce que permet la tech­nologie, négligeant ce qui est possible pour privilégier ce qui est utile. Ainsi, il est prévu d'utiliser la plupart des documents sous forme « papier », partant du principe qu'il vaut mieux, pendant le travail « à l'ordinateur » avoir quelques documents à consulter, à côté de son clavier, avec en continu à l'écran le logiciel de traitement de texte montrant le document de travail que de sauter constamment d'une fenêtre de tâche à une autre à travers des manipulations qui distraient les utilisateurs novices de l'essentiel.

On aura compris que dans cette mise à disposition des matériaux nécessaire au travail autonome, les technologies, comme canal, ne sont pas essentielles : on aurait pu faire pas mal de choses avec un courrier postal et des disquettes...

5.1.4.  L'organisation du cheminement d'apprentissage

5.2. L'évaluation du dispositif et de sa mise en oeuvre

5.2.1.  Les jugements positifs des participants

5.2.2. Les jugements négatifs des participants

5.3. Quelques enseignements de l'expérience

A l'issue de cette expérience, un certain nombre de constatations vont conduire à des modifications du dispositif :

6. Conclusions

6.1. Échapper à la « fascination technologique »

Les technologies, par les possibilités multiples qu'elles offrent, constituent des canaux et des outils qui permettent d'aborder ou de mieux (?) enseigner des usages efficaces et rai­sonnés d'instruments logiciels de plus en plus nombreux, divers et sophistiqués.

Il importe cependant d'échapper à la « fascination technologique » et de toujours repartir de qui semble utile et pertinent pour atteindre les objectifs d'enseignement et d'appren­tissage poursuivis.

Ce qui a fait le succès du dispositif décrit ci-dessus, c'est la diversité, la qualité et la quantité des matériaux permettant de découvrir et d'exercer les possibilités du logiciel de traitement de texte, de manière aussi autonome que possible. Le développement de ces matériaux s'est étendu sur plusieurs années et a commencé bien avant qu'on ne parle de e-learning!

Tant mieux si le courrier électronique et les listes de diffusion permettent une interacti­vité et un dépannage rapide des apprenants. Ajoutons cependant que le poids et la lour­deur de ces outils où tout passe par l'écrit, nous a fait redécouvrir, au sein de cette for­mation à distance, la souplesse et les bienfaits du téléphone...

En matière d'usage des technologies, il nous faut donc continuer à repartir de ce qui est utile et non de ce qui est possible, de ce qu'on veut faire et non de ce que l'on peut faire.

6.2. Une didactique des progiciels ?

En 2001-2002, trois enseignants seulement se sont inscrits à l'initiation au traitement de texte. Pour avoir l'occasion de poursuivre, il m'a fallu, tout en continuant essentielle­ment à proposer la même chose, y coller l'étiquette « perfectionnement ».

Je n'oserais pas montrer les textes qu'un certain nombre de mes collègues, spécialistes des TICE (TIC pour l'Education) confectionnent à l'aide de Word. Tout se passe comme si le « E » final abolissait la nécessité de maîtriser le « TIC » qui précède. Et je préfère ne pas parler des autres progiciels...

Je ne peux ici que renvoyer une fois de plus à mon illustration préférée de l'usage habi­tuel des « outils informatiques » ( http://bd.casterman.com/isbn/2-203-32408-2/) et à ce que j'en écrivais récemment ([DUCHÂTEAU02]).

Qu'on me permette seulement de rappeler, à l'heure des « B2i » et autre « ECDL », que l'école reste un lieu ou l'attention aux processus mis en oeuvre compte davantage que les résultats et où il est bon de continuer à poser la question du « comment ?« .

Nos efforts pour promouvoir des utilisations efficaces et raisonnées des progiciels ont aidé une partie infime des utilisateurs à améliorer leurs usages. La majeure partie des usagers des technologies se contentent de ce qu'ils connaissent et arrivent à en faire...

Heureusement, dans les moments de (très) grande lucidité, je me rassure en me persua­dant que ce sont là des divagations dues à l'âge ou des propos pessimistes et sans fonde­ment, causés par une fréquentation trop assidue des technologies!

Et je rallume mon ordinateur...

7. Bibliographie

[BARON01] Baron, G-L., Bruillard, E. (2001). Une didactique de l'informatique ? Revue Française de Pédagogie, n° 135, avril 2001, pp 163-172.

[BEGUIN91] Beguin, P. (1991). L'élève : utilisateur ou consommateur ? Quelques réflexions issues d'une approche instrumentale en ergonomie. In Informatique et apprentissages, INRP, PARIS, pp. 29-43.

[BRIZEMUR99] Brizemur, P. (1999). L'informatique à l'école élémentaire,
http://perso.club-internet.fr/brizemur/theorie.htm (consulté le 2 juillet 2003)

[DUCHÂTEAU94] Duchâteau, C. (1994). Faut-il enseigner l'informatique à ses utilisateurs? In Actes de la quatrième rencontre francophone de didactique de l'informatique, AQUOPS, Montréal, 1994

[DUCHÂTEAU00] Duchâteau, C. (1994). Serveur pédagogique et formation à distance. Premiers enseignements d'une expérience de formation organisée partiellement à distance : une initiation (au traitement de texte) en autonomie, balisée et assistée, Publications du CeFIS, 5.73, juillet 2000.

[DUCHÂTEAU02] Duchâteau, C. (2002). Mais qu'est la didactique de l'informatique devenue? In Les technologies en éducation. Perspectives de recherche et questions vives., Actes du Symposium international francophone, Paris, 31 janvier-1er février 2002, INRP, 2002.

[LEVY91] Levy, J-F, (1991). Le traitement de texte en formation professionnelle de niveaux v et III, observations et questions in Informatique et apprentissages, INRP, PARIS, 1991, pp. 107-130.

[MENDELSOHN95] Mendelsohn,P. (1995). Peut-on opposer Savoirs et Savoir-faire quand on parle d'apprentissage ?,In A. Bentolila «  Les Entretiens Nathan  », Actes 5 : «  Savoirs et savoir-faire  ». Paris : Éditions Nathan


[1] Et si non, il est inutile de lire ce qui suit : ce ne peut-être qu'un ensemble d'élucubrations sans aucune portée.

[2] Le public cible est bien constitué par des enseignants (en fonction); à chaque fois qu'il sera question ici d'apprenant, il faut donc lire « enseignant en formation continuée ». Enfin, si le nombre dictait la règle au lieu que ce soit  l'habitude ou la grammaire, nous parlerions plutôt d'enseignantes ou « d'apprenantes ».

[3] On peut y applaudir ou le regretter, mais Word est très souvent devenu synonyme de « traitement de texte », comme Excel l'est pour « tableur » et Powerpoint pour « logiciel de présentation ».

[4] Voilà une occasion rêvée, au-delà de l'initiation au traitement de texte, de faire percevoir le caractère toujours « formaliste » des traitements permis par « l'ordinateur ».

[5] Notons au passage que cette question surgit après que, dès le tout début de l'initiation, on ait gravé en un principe incontournable que l'espace sert seulement à séparer deux mots et que c'est un « énorme péché » que de répéter des espaces pour « faire de la mise en page ».

[6] À l'époque, c'était le terme « informatique » qui recouvrait les activités tournant autour des usages de l'ordinateur; les « technologies de l'information et de la communication » viendront bien plus tard.

[7] Ainsi, [BEGUIN91]« « ... on constate que les manuels d'utilisation sont peu utilisés : les usagers préfèrent apprendre en faisant. Cette forme d'appropriation de l'objet technique, bien que peu économique en temps, semble mieux assimilée, plus opératoire. Même lorsque l'apprentissage est précédé de cours théoriques, on voit apparaître des activités de manipulation non reliées aux propriétés fonctionnelles des dispositifs.... De sorte que le comportement ressemble à un tâtonnement : les connaissances sur le fonctionnement qui ont été présentées aux utilisateurs, ne deviennent organisées qu'après cette phase de manipulation. » ou
[BRIZEMUR99] : « On ne peut acquérir un savoir sur un domaine technique sans avoir acquis un minimum de savoir-faire ; on ne peut acquérir un savoir-faire sans faire. En revanche l’inverse est possible ; faire sans savoir-faire et sans conceptualisation est le lot de nombre d’utilisateurs d’objets techniques. Cela permet de survivre, mais ne constitue pas une culture. C’est ce que nous appelons un « savoir - utiliser » cette aptitude se constitue par le contact entre l’enfant et les systèmes informatiques, il se nourrit des apprentissages mutuels entre enfants, l’intervention d’un adulte bien intentionné, la manipulation sauvage dans les galeries d’un hypermarché… En dehors du fait que ce savoir-utiliser dépend fortement du milieu social, nous ne pensons pas qu’il est du rôle de l’école de se limiter à son développement. (Même si par ailleurs, il est indispensable de passer par cette étape, ne serait-ce que par un souci d’égalité entre les enfants). »
Si on désire amorcer dès l’école élémentaire l’acquisition d’une culture technique, il faudra donc mener de front trois activités complémentaires ; l’utilisation de machines, un premier pas en arrière sur la formalisation des actions que l’enfant mène sur la machine (l’utilisation consciente remplaçant la découverte hasardeuse ou imposée), l’inférence de règles générales et invariantes et formalisation de celles-ci, éclairées par l’acquisition de savoir sur les structures et les fonctionnements. »

[8] Les documents compactés auraient pu être joints en pièce attachée à un courrier électronique (ce qui aurait évité l'usage d'un navigateur WEB pour l'opération de téléchargement). La solution n'a pas été retenue :  les comptes de courrier électronique de certains participants ne permettaient pas la réception de pièces attachées relativement volumineuses ou n'autorisaient pas à ouvrir une pièce attachée exécutable.


Charles DUCHÂTEAU
CeFIS
Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix
rue de Bruxelles, 61
B-5000 NAMUR
charles.duchateau@fundp.ac.be

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Éditeurs : Bernard André
Georges-Louis Baron
Éric Bruillard
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