Didapro

Actes en ligne des premières journées francophones 
de didactique des progiciels
(10 et 11 juillet 2003)

Éditeurs

Bernard André
Georges-Louis Baron
Éric Bruillard

© INRP/GEDIAPS

Didapro@inrp.fr

Mis en ligne le 2 octobre 2003
Dernière mise à jour le 15 octobre 2003

Logiciels déviés ou logiciels dédiés ?

Comparaison de l’usage du traitement de textes et des logiciels spécifiques dans des scénarios d’apprentissage par la création en formation initiale des PE.

Christophe GENTIL

Résumé

S’il est aujourd’hui couramment admis que les nouvelles technologies favorisent la mise en place au sein des écoles de processus de créations faisant appel au multimédia en s’intégrant facilement au projet de classe, la question de l’outil informatique à utiliser dans ce cadre reste ouverte. L’apparition de fonctions de plus en plus complexes dans les traitements de textes du type WORD fait de ce style de logiciels de véritables plates-formes de production qui concurrencent directement les logiciels dédiés. Dès lors peut-on abandonner l’apprentissage de logiciels de création dédiés ? En comparant deux populations de stagiaires PE en formation à l’IUFM de Paris, l’une formée exclusivement à Word, l’autre formée à des logiciels dédiés, nous allons mettre à jour les apports et inconvénients de chacune des approches, puis nous réfléchirons sur leurs conséquences à long terme.

INTRODUCTION

S’il est aujourd’hui couramment admis que les nouvelles technologies favorisent la mise en place au sein des écoles de processus de créations faisant appel au multimédia en s’intégrant facilement au projet de classe, la question de l’outil informatique à utiliser dans ce cadre reste ouverte. L’apparition de fonctions de plus en plus complexes dans les traitements de textes du type WORD fait de ce style de logiciels de véritables plates-formes de production qui concurrencent directement les logiciels dédiés. Ainsi, il est désormais possible de produire non seulement des documents multimédias interactifs, grâce par exemple aux technologies OLE, mais aussi de réaliser, d’administrer et de publier un site complet à partir d’un seul et même logiciel. Dans le cadre de la formation initiale des enseignants et face aux contraintes horaires qui pèsent sur l’alphabétisation informatique et sur la présentation des usages pédagogiques qui peuvent en être fait en classe, il peut être tentant pour un IUFM de se contenter de l’apprentissage de l’unique outil « traitement de texte » et de le présenter comme un « couteau-suisse » aux multiples applications pédagogiques. Dès lors, l’apprentissage de logiciels de création dédiés peut être abandonné, quitte à faire l’impasse sur les concepts sous-jacents spécifiques à la création multimédia ou à la mise en ligne d’un site. Quels sont les impacts d’une telle approche sur les usages des TICE sur le terrain ? Quels biais induit-elle dans la vision des stagiaires vis-à-vis de l’informatique et des ses invariants ? En comparant deux populations de stagiaires PE en formation à l’IUFM de Paris, l’une formée exclusivement à Word, l’autre formée à des logiciels dédiés, nous allons mettre à jour les apports et inconvénients de chacune des approches, puis nous réfléchirons sur leurs conséquences à long terme.

METHODOLOGIE

Nos deux groupes étaient constitués de 30 stagiaires chacun. Une remédiation mise en place précédemment permettait à tous les stagiaires d’arriver à la formation avec un niveau de compétences techniques satisfaisant (au moins égal au B2i de niveau 2). Chaque population de professeurs des écoles a eu à produire trois types de supports pédagogiques : « livre dont on est le héros » imprimé,site Internet et cédérom, les thèmes étant libres. Les logiciels dédiés utilisés étaient inconnus des stagiaires, notre choix s’étant porté sur le logiciel de création de cédéroms Mediator et sur le logiciel Dreamwaver. Le temps imparti pour la phase d’apprentissage et de réflexion pour chaque groupe étant institutionnellement limité à 16 heures, les groupes disposaient d’un mois pour mettre au point leurs « productions » [GEN2000]. Si le support papier ne présente dans notre cas que peu d’intérêt, sa présence permettait de présenter auprès des stagiaires les traitements de texte comme des logiciels « dédiés » et non déviés, notions qui auraient pu induire un biais dans la prise d’informations. Chaque groupe a fait l’objet d’un suivi à l’aide d’entretiens libres individuels immédiatement après la formation et d’une évaluation sur la base des documents rendus. Puis, au retour des stages sur le terrain d’un mois en cycle III, une série d’entretiens individuels a permis de déterminer les usages pédagogiques qui avaient été fait des TICE. A un an, les mêmes stagiaires ont été réinterrogés sur leurs pratiques intégrant l’usage des TICE.

RESULTATS

En impact immédiat, l’apprentissage d’un seul outil permet une rapide appropriation de la part des stagiaires des scénarios pédagogiques qui peuvent être mis en œuvre. Nous avons alors pu constater que les PE n’hésitaient pas à mettre en place des activités ambitieuses autour de l’usage de l’ordinateur en tant qu’outil de création et de production. 75% des stagiaires suivis ayant eu une formation « traitement de texte » ont ainsi fait mettre en ligne par leurs élèves un ensemble de pages structurées lors de leur stage. Ce taux est beaucoup plus faible dans le cas de la formation aux logiciels dédiés. Seul 30% de ces stagiaires ont effectué une production. Cependant, ces résultats purement statistiques se doivent d’être nuancés par une approche plus qualitative : la plupart des sites mis en ligne dans le premier cas sont techniquement non aboutis (temps de chargement trop long dû aux images, liens morts, etc…) et les stagiaires avouent ne pas savoir comment les corriger. De plus, la non disponibilité immédiate dans les écoles de logiciels dédiés a fortement handicapé les stagiaires formés sur ce type d’outils. Quoiqu’il en soit, le traitement de texte faisant partie de l’environnement informatique immédiat des stagiaires, sa mise en œuvre rapide dans les classes ne semble pas poser de problèmes particuliers, peut-être même trop peu. Il est en effet frappant de constater que peu d’entre eux ont mené une réflexion personnelle poussée sur le cadre pédagogique dans lequel cet outil peut ( ou doit ) être mis en œuvre. Des pratiques dites innovantes, tels la mise en place d’élèves-experts (ISA2002) ou le travail entre plusieurs classes, ne sont même pas envisagées par cette population. Plus grave encore, aucun des stagiaires ayant suivi une formation sur le traitement de texte n’a tenté de valider des compétences du B2i alors que pratiquement la totalité des autres stagiaires se sont investis dans leurs écoles d’accueil pour participer aux validations du B2i. Le nombre d’items se reportant à des compétences instrumentales directement liées au traitement de texte est pourtant très important. Les gens ayant suivi une formation sur logiciels dédiés et ayant mis en place une activité de création ont tous mis en œuvre de manière individuelle des organisations de classes tournées vers leur projet : mise en place en fond de classe d’affiches symbolisant la structure du site et répartissant le travail entre les élèves, élaboration de rôles pouvant être tenus par les élèves (responsable de la sauvegarde sur disquette, planificateur, claviste, superviseur, etc… ). De plus, cette population a largement communiqué entre elle pour régler les difficultés techniques rencontrées par telle ou telle personne.

Les raisons avancées pour expliquer cette relative non-utilisation des TICE sont essentiellement liées à la prise de conscience de l’ampleur de la tâche et au profond sentiment d’un manque de temps pour mettre en place un projet complet ou même reprendre le projet de classe existant. Si une réflexion est bien élaborée par cette population quant à l’usage des TICE, elle n’aboutit pas à une émulation positive mais plutôt à un effet de rejet momentané, qui conduit les stagiaires à remettre en cause à ce niveau la formation et les TICE.

A un an, la tendance constatée s’inverse complètement sur la population se trouvant en cycle II ou III (80% des stagiaires que nous considérerons maintenant comme la population totale). Les néo titulaires ayant suivi la formation au traitement de texte ne sont plus que 17% à avoir mis en place une activité de création alors qu’ils sont 60% dans l’autre cas. L’usage général des TICE étant dans tous les cas proche des 75%. Les autres activités mises en place sont basées sur l’usage de l’ordinateur en temps que machine à écrire ou sont axées sur des logiciels éducatifs de type I (cédéroms). Dans tous les cas, pour la population ayant intégré les TICE, le B2i a été en partie abordé, sous l’impulsion parfois pressante des directeurs d’écoles, il convient de le souligner.

INTERPRETATION

Comme nous pouvons le voir, la formation basée sur le traitement de texte en temps que logiciel de création, c'est-à-dire en situation d’utilisation déviée, permet un usage rapide des nouvelles technologies en temps qu’aide à la création. Elle conduit les stagiaires à se sentir aptes à mener des projets ambitieux, même si cette aptitude reste discutable dans les faits. Mais cette tendance disparaît extrêmement rapidement, pour amener à un an les stagiaires formés sur les logiciels dédiés à être pratiquement les seuls à faire un usage cohérent de l’outil informatique pour la conception et la création en classe d’applications ou de sites multimédia. En tant que formateurs ou décideurs, nous pouvons nous interroger sur les causes qui influent directement sur l’usage à long terme des TICE dans les pratiques pédagogiques des enseignants.

Morais [MOR2000] propose 5 étapes pour l’appropriation des TICE par les enseignants (voir figure 1). Le traitement de texte en tant que logiciel et avec la plupart des concepts sous-jacents fait déjà partie de l’environnement informatique des professeurs des écoles, puisque la plupart d’entre eux s’en sont déjà servi pour la réalisation de mémoires ou de fiches de préparations. Par conséquent, lors de la formation au traitement de texte en temps qu’outil de créations, deux étapes ( et pratiquement trois) sont occultées : la période de preuve et de peur. Concrètement, il n’y a pas de temps consacré à l’appropriation des usages et à une réflexion en amont de l’usage de l’ordinateur, ou tout du moins ce temps n’est pas considéré à sa juste valeur par les stagiaires qui le jugent ennuyeux. Les stagiaires suivant une formation sur des logiciels dédiés repartent plus volontiers de zéro dans leur approche de l’outil informatique. Ils acceptent, en se trouvant face à des logiciels qu’ils ne maîtrisent pas, de remettre en cause toute leur vision sur les TICE sans partir sur des a priori. Ils passent ainsi par toutes les phases en étant accompagnés par un formateur. Ainsi, lorsque le cycle d’utilisation se referme, que le résultat « premier » obtenu n’est plus jugé satisfaisant et qu’une période de remise en cause s’avère nécessaire (période que nous évaluerons à un an, c'est-à-dire à deux postes), ils sont capables de repasser par la phase de peur pour reprendre un nouveau cycle d’utilisation à priori plus long. De plus, il apparaît que la conservation des réalisations antérieures et de documentations variées permet aux stagiaires s’étant approprié les logiciels dédiés, de se constituer un portfolio professionnel tel que définit par Wolf [WOL91] et repris dans le cadre de l’enseignant par Desjardins [DES02]. Ce portfolio semble constituer un des principaux facteurs de réintégration des TICE à un an en étant une véritable mémoire de la formation suivie, ducheminement de la pensée de l’enseignant. Ainsi, les stagiaires qui n‘ont pas utilisé dès le début l’ordinateur en classe pour la création en ayant le sentiment de manquer de temps, capitalisent leur réflexion, ce qui les amène à être plus efficient.

Rectangle avec flèche vers le bas: Point de départ de la formation au traitement de texte.

CONCLUSION

Ainsi que nous l’avons vu, le type de logiciel sur lequel sont effectivement formés les stagiaires pendant leur année de stage au sein de l’IUFM n’est pas sans conséquence sur l’usage à long terme qu’ils font des TICE. Même s’il est impossible de prétendre à une formation exhaustive, deux voies peuvent être explorées pour mêler court et moyen terme: la première consiste à offrir aux stagiaires une formation basée à la fois sur un usage raisonné du traitement de texte afin de garantir un usage immédiat et sur des logiciels spécifiques qui assure à long terme une intégration des TICE. La deuxième approche consiste à reprendre la formation un an après la titularisation, ce qui permettrait de mettre en place le cycle d’utilisation. Les réformes à venir des IUFM tendent à favoriser cette deuxième approche. Finalement, cette problématique de formation revient à se poser la question fondamentale de la place des TICE dans la formation des enseignants et des objectifs de cette dernière. Deux visions s’affrontent sur le fond : soit un IUFM se doit de former avant tout des pédagogues qui sauront introduire immédiatement dans leur posture d’enseignant l’informatique en tant qu’outil (validant ainsi à court terme la formation suivie), soit il se doit d’assurer un certain niveau de technicité et de conceptualisation à des enseignants qui devront pouvoir suivre par autoformation l’évolution constante d’un objet technique pour en faire un usage raisonné.

BIBLIOGRAPHIE

Anis J., Texte et ordinateur, L'écriture réinventée ? .De Boeck Université, 1998

Baron, G.-L., TICE : quelles compétences pour les enseignants. Education et formation n°56, avril juin 2000

Depover, C., Fondements d'un modèle d'intégration des activités liées aux nouvelles technologies de l'information dans les pratiques éducatives. Informatique et éducation : regards cognitifs, pédagogiques et sociaux: p. 9-20, 1996

Deschaintre, E., Gaume, A., et al. Technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement. Paris, Editions Casteilla : Techniplus.,1999

Desjardins, R. Le portofolio de développement professionnnel. [En ligne]. Disponible : http://www.umoncton.ca/leprof/portofolio/portofoliomenu.htm, 2002

Morais,M.A. Les cinq niveaux d’appropriation des TIC dans les pratiques pédagogiques chez les enseignantes et enseignants, document inédit, Nouveau Brunswick, Université de Montcon. http://www.district1.nbed.nb.ca/mentorat/ressources/ppppp.doc, 2000

Wolf,K.P. Teaching Portofolios : Synthesis of Research and Annoted Bibliography, Washington, DC, Office of Educationel Research and Improvement, 1991


Christophe GENTIL
IUFM de Paris, LIREST
Christophe.gentil@paris.iufm.fr

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