Quel lycée pour demain ?

Propositions du Conseil National des Programmes
(présidé par Didier Dacunha-Castelle)
éd. MEN-CNDP-Livre de poche, 1991 (extrait)

 

Chapitre : « L'INFORMATIQUE AU LYCÉE », (p. 135 à 141)

L'option informatique au lycée a eu des effets positifs sur le plan de la formation des maîtres et de l'équipement des établissements: en 1990, plus de 500 lycées ont été équipés et 1300 enseignants formés. Cependant, cette option n'est pas satisfaisante actuellement, tant à cause de sa définition que des déviations observées dans sa mise en pratique, qui aboutissent à une vue restrictive de l'informatique et à une application élitiste de son enseignement. Il convient donc de redéfinir à la fois l'enseignement de l'informatique et son utilisation dans l'enseignement des autres disciplines. Dans ce nouveau cadre, la question de l'utilité d'une option de détermination informatique doit être reposée.

Critique de l'option informatique actuelle

Les principales critiques portent sur le contenu. Il faut en effet distinguer l'enseignement de l'informatique discipline et celui de l'informatique outil. Le premier - quel que puisse être son apport dans la formation générale (par exemple sur le plan de la méthodologie) - est destiné d'abord à ceux qui vont devenir informaticiens professionnels; le second s'adresse à tous ceux qui utiliseront l'informatique d'une manière ou d'une autre dans leur activité professionnelle future - voire dans leur vie personnelle. Le premier intéresse donc une branche professionnelle certes importante (constructeurs, sociétés de services, services informatiques de grandes sociétés...) mais relativement étroite; le second s'adresse, à ce niveau de formation et à notre époque, à tout le monde.

Or, les programmes actuels de l'option informatique sont, pour leur partie technique (on reviendra plus loin sur leur partie « sociale, économique et culturelle »), essentiellement orientés vers l'enseignement de l'informatique discipline: structures de données, traitements itératifs, conditionnels, représentations en mémoire. De plus, cette formation à la discipline informatique ne porte que sur un secteur particulier de l'informatique, à savoir l'algorithmique et la programmation. Enfin, même pour le secteur particulier de la programmation à l'intérieur de la profession informatique, l'enseignement dispensé par l'option n'est pas adapté: il porte en effet sur le seul langage PASCAL, très peu utilisé en dehors des établissements d'enseignement.

En ce qui concerne la partie non technique des, programmes, c'est-à-dire les aspects sociaux, économiques et culturels de l'informatique, on peut se demander si l'informatique mérite cet excès d'honneur : l'enseignement de la physique doit-il évoquer le problème de l'énergie? Ces aspects sont, encore aujourd'hui, controversés (l'informatique crée-t-elle le chômage?) et semblent plus devoir faire l'objet d'une réflexion que d'un enseignement. À supposer qu'il faille en parler, il n'est pas évident que les enseignants d'informatique soient les mieux placés pour le faire.

L'examen des épreuves du baccalauréat confirme les problèmes soulevés par le contenu actuel des programmes de l'option. Les questions posées sur partie socio-économique et culturelle sont soit de simples récitations (« écrire les caractéristiques de deux métiers de l'informatique »), soit des questions qui touchent à la métaphysique (« que pensez-vous de l'erreur de l'ordinateur ? »). La partie technique consiste à peu près immanquablement en tris et comptages de chaînes de caractères.

Tout comme le contenu, la manière dont l'option informatique a été mise en oeuvre est sujette à critique. Alors que l'informatique est par essence transdisciplinaire, la sélection des enseignants et des élèves présente un très fort déséquilibre en faveur des sciences pures et surtout des mathématiques. Les statistiques des épreuves de l'option au baccalauréat montrent que les élèves qui en tirent le plus de profit sont issus des séries C, puis E, D et enfin B. Avec toute la prudence qui s'impose, on peut même avancer que l'option informatique est surtout enseignée dans les meilleures TC des meilleurs lycées pour permettre à leurs meilleurs élèves d'intégrer les meilleures classes préparatoires.

Pour un nouvel enseignement de l'informatique au lycée

Tout d'abord, il convient d'enseigner en priorité non pas l'informatique discipline mais l'informatique outil. L'introduction de l'informatique dans l'enseignement général du second cycle devrait donc avoir deux objectifs :

- la familiarisation de tous les lycéens à l'utilisation d'un micro-ordinateur et de progiciels d'usage courant;

- l'aide à l'enseignement de toutes les autres disciplines.

Comment atteindre ces deux objectifs? En incluant l'utilisation de l'informatique dans toutes les disciplines. Il n'est pas indispensable pour cela de développer des logiciels spéciaux: des progiciels classiques du commerce peuvent être utilisés par les enseignants et par les élèves - traitement de texte, tableur, grapheur, solveur, logiciel de CAO ou de bases de données. Bien sûr, à ces progiciels pourront venir s'ajouter des logiciels « pédagogiques » tels que simulateurs, jeux pédagogiques, voire didacticiels, dans la mesure où de tels logiciels seraient efficaces et disponibles.

Quels seraient les moyens à mettre en oeuvre ? D'abord, des micros et des logiciels. En ce qui concerne les micros, on peut évaluer en première approximation à une centaine le nombre de machines par établissement (un dans chaque classe, plusieurs salles avec un micro par table). Il conviendrait certes d'affiner, mais cette estimation semble une bonne base de départ, même si par la suite on veut doubler ou même tripler ce nombre (ce qui viendra sans doute naturellement quand les premières machines seront amorties et remplacées, car elles peuvent alors encore servir en « libre-service »). Compte tenu des récentes baisses de prix, on peut tabler sur une dizaine de mille francs par machine, logiciel « classique » compris, soit environ un million de francs par établissement. La décentralisation des lycées au niveau des régions devrait faciliter cet investissement, qui n'a rien de démesuré.

En ce qui concerne les progiciels, une certaine centralisation semble plus efficace pour dialoguer avec les producteurs ou distributeurs. La hantise de ces derniers étant que leurs tableurs ne soient piratés par le gamin pour finir sur le micro de la P.M.I. du père, il devrait être possible de négocier des versions « bridées » des progiciels, suffisantes pour des besoins d'enseignement.

Dans la mesure où l'informatique doit être utilisée dans toutes les disciplines, les problèmes de formation des maîtres peuvent paraître encore plus difficiles que les problèmes d'équipement: ; que n'a-t-il pas fallu dépenser pour former un millier d'enseignants, et qu'est-ce que cela va coûter de les former tous ? Probablement moins. en effet, il ne s'agit plus de former à la discipline informatique mais à l'utilisation de l'informatique, et les progiciels modernes rendent cette formation beaucoup plus facile (s'il fallait trois ans d'études pour utiliser un traitement de texte, telle entreprise connue aurait fait faillite depuis longtemps...). On peut donc envisager une formation légère des enseignants. Bien entendu, l'utilisation de l'outil informatique devrait faire partie intégrante de la formation initiale à tous les niveaux (I.U.F.M., C.A.P.E.S., agrégation...), ce qui n'est pas le cas actuellement.

Reste le problème de l'installation des matériels et des logiciels, de la maintenance au premier niveau, d'aide et de conseil aux utilisateurs. C'est ici que les enseignants qui ont été déjà formés à la discipline informatique pourraient avoir un rôle très important à jouer, en animant l'équipe pédagogique de l'établissement autour de l'informatique. Dans ce but, ces enseignants pourraient être largement déchargés de leurs tâches directes d'enseignement.

Il conviendra d'accompagner cette évolution, d'une part par des structures de concertation et d'échanges aux niveaux régional et national, auxquelles les associations intéressées à la promotion de l'informatique dans l'enseignement seront étroitement associées; d'autre part par des directives au niveau des programmes (et pas seulement des instructions). Une série de dialogues entre le Groupe technique disciplinaire informatique et ceux des autres disciplines est une première étape.

Quant aux aspects économiques, sociaux et culturels de l'informatique, ils doivent être traités comme ceux de toutes les autres disciplines et industries, c'est à dire pluridisciplinairement par les enseignants de philosophie, d'histoire et/ou d'économie et d'autres intervenants, éventuellement extérieurs.

Faut-il un module de détermination informatique ?

Dans la mesure où l'informatique est utilisée dans toutes les disciplines, cela ne paraît plus nécessaire. En effet, la pratique de l'outil informatique doit permettre aux élèves de savoir si « ça les intéresse » ou pas, sans doute mieux d'ailleurs que l'apprentissage dé la programmation structurée. Ceux qui sont fortement motivés et/ou très doués ne mettront pas longtemps à devenir des virtuoses du DOS et à en remontrer à leurs enseignants, si ce n'est à bien des informaticiens.

Sur le plan socio-économique, est-on dans un tel besoin d'informaticiens qu'il faille encourager le plus grand nombre de jeunes à s'engager très tôt dans cette voie ? Certes, l'enseignement supérieur pourrait former utilement des informaticiens supplémentaires, mais ce n'est pas un problème de vocation. De plus, plus encore que d'informaticiens purs, les entreprises ont besoin de spécialistes (physiciens, mécaniciens, comptables, etc.) qui maîtrisent aussi l'informatique. La généralisation de l'utilisation de l'outil informatique dans toutes les disciplines est mieux à même de répondre à ce besoin qu'une option informatique spécialisée. Le Conseil national des programmes ne propose donc pas de module de détermination informatique pour l'enseignement général. Est-ce à dire que l'enseignement de l'informatique discipline doit être entièrement banni du lycée ? Certainement pas.

Tout d'abord, la familiarisation avec les outils informatiques est facilitée par l'acquisition des bases de compréhension des concepts et mécanismes informatiques utilisés dans les outils enseignés; ces concepts et mécanismes, réciproquement, sont plus efficacement enseignés et aisément compris lorsqu'ils s'appuient sur les exemples concrets d'outils dont l'utilité est directement perceptible. Il conviendra donc d'introduire dans chaque voie les notions informatiques de base qui sous-tendent les outils utilisés. La mise en pratique, voire l'approfondissement, de certaines de ces notions pourrait être introduite dans les programmes de certaines disciplines (par exemple, l'algorithmique en mathématiques).

De plus, certaines parties de l'informatique discipline seront enseignées dans certaines voies: par exemple, l'informatique industrielle dans le module « technologie » de la voie scientifique ou l'informatique de gestion dans la voie technologie tertiaire, à qui la priorité devrait être donnée en ce qui concerne l'équipement.

 

NDLR-EPI : Ce rapport a conduit à la première suppression de l'option informatique des lycées. Rétablie en 1995 par le ministre François Bayrou, elle a été à nouveau supprimée en 97 par Claude Allègre et ses conseillers toujours aussi avisés.
Voir la réaction particulièrement remarquée de Christian Hudowicz : Baroud d'honneur, publié dans la Revue de l'EPI n° 61 de mars 1991.

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Association EPI

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