« La maîtrise des techniques usuelles de l'information et de la communication »
comme faisant partie du socle commun des connaissances.
Oui, mais pas n'importe comment !

Jacques Baudé
Président d'honneur de l'EPI

 

« Dès l'École élémentaire, il faut donner à l'informatique pédagogique un rôle moteur dans les apprentissages fondamentaux, lecture, écriture, calcul ; mais une certaine maîtrise des technologies modernes doit faire également partie des apprentissages fondamentaux en cette fin de siècle. » Assemblée générale de l'association Enseignement Public et Informatique - EPI - 1990.

Ainsi, il a fallu attendre le début du XXIe siècle pour que la loi d'orientation 2005 pour l'École introduise dans le socle commun de connaissances « la maîtrise des techniques usuelles de l'information et de la communication ». Nous aurions mauvaise grâce de ne pas nous en réjouir à condition de faire la double hypothèse optimiste que cette introduction par la loi aura pour effet de convaincre les plus réticents, encore très nombreux, et que les moyens matériels et humains suivront.

On peut s'étonner qu'aucune voix discordante ne se soit élevée au cours des multiples débats qui ont accompagné la mise en place de cette loi. Ce consensus ne nous satisfait que partiellement car il reste de nombreuses questions importantes à poser.

Que signifie « maîtrise » dans l'esprit du législateur ? Le mot est fort. Sous quelle forme et avec quels moyens matériels et humains cette « maîtrise » aura-t-elle une chance d'être acquise ? Quelle en sera la nature ? Dispose-t-on des enseignants formés ? Pense-t-on sérieusement que le B2i (encore mal implanté et mal validé) traduise une maîtrise des technologies de l'information et de la communication (TIC) ? Ce serait faire preuve de beaucoup d'optimisme voire de légèreté.

Regrettons, une fois de plus, que la seule voie d'introduction de l'informatique et des TIC dans l'enseignement secondaire général (collège puis lycée) soit celle des disciplines.

Voilà des années que cette approche a montré ses limites pour de multiples raisons qui tiennent à l'insuffisante formation des enseignants, à l'absence de pression des programmes officiels et des inspections, à l'insuffisance des matériels et des personnes-ressources, à l'absence de statuts spécifiques, à l'épuisement des ressources du bénévolat, à la suppression récente des aides éducateurs, aux logiciels pédagogiques ne répondant pas forcément aux attentes...

Voilà des années que la fiction sur l'efficacité de cette approche est soigneusement entretenue par les responsables successifs, y compris ceux qui - par opportunité ou par faiblesse - sont convaincus de la nécessité d'un enseignement de l'informatique et des TIC.

La pratique de ces dernières dans les différentes activités et disciplines générales se développe à une lenteur désespérante. Ceci est vrai pour tous les niveaux d'enseignement, école, collège et lycée (à l'exception de certaines séries technologiques et professionnelles).

Qui ose le dire dans le concert général du « politiquement correct » ? Qui se pose seulement la question ? Certainement pas les parlementaires qui n'ont de ce dossier qu'une connaissance très superficielle.

Que nous avait promis le Conseil National des Programmes (qui vient d'ailleurs d'être supprimé) ? Que les programmes d'enseignement intégreraient les TIC, ce qui conduirait les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) à former les enseignants en conséquence. Avec plusieurs années de recul, le résultat n'est manifestement pas à la hauteur des enjeux.

Le Haut Comité prévu par la récente loi d'orientation aura-t-il plus de lucidité et plus de pouvoir ?

Il y a deux façons de mettre en musique « la maîtrise des techniques usuelles de l'information et de la communication ». Ou l'on continue, sans imagination particulière, ce qui se fait actuellement et la « maîtrise » n'est pas pour demain, ou on innove.

Innover, à l'école primaire, c'est possible (cf. la main à la pâte) mais ce n'est pas gagné d'avance s'il n'y a pas une bonne dose de volontarisme accompagnée d'un important effort de formation des maîtres par tous les moyens possibles, y compris... les TIC. Au collège, il conviendrait de renforcer la partie « informatique et TIC » du programme de Technologie, là aussi avec un important effort de formation, tout en développant, en synergie et par la pression des programmes d'enseignement, l'utilisation des TIC dans les différentes disciplines.

Car enfin, de quoi s'agit il ? D'abord, de mettre en conformité les paroles (et les textes) avec les actes. Ce n'est pas forcément superflu. Ensuite, de répondre aux besoins du pays.

« Une évolution du système éducatif intégrant résolument l'informatique et les technologies modernes est de nature à faciliter les évolutions économiques, sociales et culturelles de cette fin de XXe siècle, et à sauvegarder les chances de la France dans la compétition avec les autres pays développés » déclarait l'assemblée générale de l'EPI en 1993. (Voir).

Notre opinion n'a pas changé, nous restons persuadés qu'un pays comme le nôtre, et l'Europe toute entière, ne pourront garder leur identité culturelle, résister à la concurrence internationale, créer des emplois et dégager des ressources pour la collectivité que s'ils développent des secteurs technologiques nécessitant une main d'oeuvre hautement qualifiée issue d'une société dont la culture globale aura intégré, grâce au système éducatif, ces technologies.

Mais former des citoyens qui permettront à notre pays de relever les défis économiques et culturels du XXIe siècle ne relève pas de l'à peu près.

Le ministère de l'Éducation nationale se doit de reconnaître que l'ordinateur est un objet conceptuel, que son utilisation « raisonnée « nécessite un apprentissage spécifique, rigoureux, cohérent et progressif. Que sous leur « convivialité » et leur « simplicité » proclamées (par les vendeurs) les logiciels cachent une réelle complexité dès lors qu'on s'éloigne un peu des fonctionnalités de base. Que les TIC doivent être reconnues comme un objet scientifique et technique nécessitant un enseignement spécifique, par des enseignants correctement formés, dès le secondaire (collège puis lycée). Là précisément où naissent les vocations.

Ce serait certainement moins coûteux pour la Nation que les conséquences d'un bidouillage généralisé et plus porteur d'avenir pour un pays qui veut promouvoir la culture scientifique et technique des citoyens et s'imposer dans les technologies de notre temps.

Le développement des TIC dans le système éducatif et les objectifs fixés par la loi nécessitent des moyens nouveaux, sachant que tout effort financier pour une meilleure formation des citoyens aux technologies modernes doit être considéré comme un investissement pour l'avenir.

Jacques Baudé
jacquesbaude@free.fr
21 février 2005

   

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