Commission pour la Libération de la Croissance Française

Contributions de :
MM. Jean-Pierre Archambault et Jacques Baudé
Association Enseignement Public et Informatique (EPI)
 

Le rôle de l'informatique et des technologies de l'information et de la communication (ITIC) dans la croissance de l'économie de l'immatériel

Deux propositions pour le système éducatif
 

Introduction

   Les deux propositions que nous faisons concernent les enjeux forts de culture générale en matière d'Informatique et Technologie de l'Information et de la Communication (ITIC) à donner à tous les élèves, ainsi que la formation des spécialistes de haut niveau dont le pays a besoin et que les entreprises ont du mal à recruter actuellement. Ces propositions comportent les grandes lignes des modalités de mise en oeuvre d'une politique scolaire ambitieuse. Nous prônons pour le système éducatif la complémentarité des approches : l'informatique et les TIC dans la didactique et le pédagogie des disciplines traditionnelles, l'informatique et les TIC comme discipline spécifique.

   Dans leur rapport sur l'économie de l'immatériel, Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet soulignent que, dans l'économie de l'immatériel, « l'incapacité à maîtriser les TIC constituera (...) une nouvelle forme d'illettrisme, aussi dommageable que le fait de ne pas savoir lire et écrire ». Ils mettent en évidence les obstacles qui freinent l'adaptation de notre pays à l'économie de l'immatériel, notamment « notre manière de penser », invitant à changer un certain nombre de « nos réflexes collectifs fondés sur une économie essentiellement industrielle ». Ils citent l'édition de logiciels parmi quatre technologies représentatives des enjeux de la croissance des années à venir. Ils insistent « sur le risque qu'induit également la capacité trop faible de notre système d'enseignement secondaire à répondre aux exigences de l'économie de l'immatériel dans le contenu même des formations dispensées... »

   Tous les domaines de la vie économique, tous les métiers sont profondément transformés par l'Informatique et les TIC, que ce soit dans les processus de production des richesses ou avec les objets fabriqués, matériels et immatériels. L'Informatique et les TIC sont au coeur de la société de la connaissance (La France dans l'économie du savoir : pour une dynamique collective, rapport Commissariat général du Plan, La Documentation Française, 2003). Elles favorisent l'accélération de l'innovation des procédés et des produits car elles sont des technologies génériques. Elles sont le support d'une production plus collective et plus interactive des savoirs et des compétences. Elles permettent des pratiques innovantes en réseau. Elles systématisent l'accumulation du savoir dans des bases de données, l'intégration des connaissances et leur mobilisation, les externalités de connaissance. L'Informatique et les TIC sont un facteur majeur de croissance.

   Il y a donc pour l'École un enjeu fort de culture générale, scientifique et technique, faisant toute sa place à l'ITIC. Sans connaissance pas de croissance. Or beaucoup s'accordent à trouver la situation actuelle non satisfaisante. L'EPI avait interrogé les candidats à l'élection présidentielle sur l'opportunité d'un enseignement spécifique de l'informatique, complémentaire de l'approche par les différentes disciplines et activités. Nicolas Sarkozy avait répondu qu'il « considère que l'enseignement informatique prévu au socle commun des connaissances et des compétences doit être renforcé, et inclure notamment l'enseignement des bases essentielles à l'écriture de programmes informatiques ». Il proposait alors une « refonte des programmes éducatifs consacrés à l'informatique, trop centrés sur la pratique, et le renforcement des moyens consacrés à ces formations informatiques ». Pour Nicolas Sarkozy, « en se concentrant sur la pratique, on crée une génération dépendante de la technique ; en se concentrant sur la technique, on crée une génération autonome et capable d'inventer toutes sortes d'usages ». Notre association EPI se reconnaît dans de pareils propos.

Première proposition

   L'approche exclusive actuelle des TIC par le biais des disciplines traditionnelles est notoirement insuffisante. L'Informatique et les TIC doivent faire l'objet d'un enseignement spécifique. Aux compétences attendues doivent correspondre une explicitation des contenus disciplinaires précis et progressifs permettant de les acquérir, dans une approche globale, cohérente, structurée et progressive couvrant l'ensemble de la scolarité. Ce n'est pas le cas actuellement. Au lycée, une discipline scientifique et technique « informatique et TIC » en tant que telle est incontournable. « Objet » et « outil » d'enseignement, loin de s'opposer, sont complémentaires et se renforcent mutuellement.

1) À l'école maternelle et à l'école élémentaire, une première initiation se fait à travers la découverte et les usages des outils informatiques. On sait l'importance des apprentissages précoces.

   Dans le cadre de la pédagogie pratiquée à ces niveaux, l'Informatique et les TIC, de par leurs vertus pédagogiques spécifiques, se prêtent bien à des activités favorisant la créativité et l'inventivité des enfants ainsi que le « travailler ensemble ».

   À la faveur d'activités signifiantes, on introduit, toutes les fois que nécessaire, les notions élémentaires de nature à faciliter la compréhension (structure de la machine, périphériques, informations, fichiers...). Celles-ci ne sont pas introduites pour elles-mêmes mais pour faciliter la maîtrise des pratiques.

   Dans les années quatre-vingts, l'utilisation du langage Logo s'intégrait bien dans des démarches de construction du savoir par les élèves et l'on peut regretter que cette pratique ait été abandonnée.

2) Au collège, le cours de technologie constitue le cadre institutionnel pour l'Informatique et les TIC. Comment imaginer, dans la société de l'immatériel, la technologie sans l'ITIC ? Or un projet de réforme en cours d'élaboration laisse craindre que l'Informatique et les TIC se voient réduites à la portion congrue, alors qu'au contraire il faudrait en consolider l'enseignement.

3) Au lycée, une discipline scolaire en tant que telle est une nécessité, pour organiser et installer durablement les savoirs et savoir-faire fondamentaux, donner les représentations mentales opérationnelles indispensables à « l'honnête homme du XXIe siècle ».

   Dans ses grandes lignes, un programme devrait comporter les chapitres suivants :

  1. Matériels : architecture de l'ordinateur et périphériques.

  2. L'information : numérisation et représentation uniforme de différents types d'informations (codage, bases deux, huit et seize).

  3. Algorithmique : connaissance des algorithmes élémentaires.

  4. Programmation : connaissance des principes des langages de programmation, pour savoir faire faire par la machine (structures, langages, notion de variable)

  5. Logiciels : dans une approche pluraliste, libre et propriétaire, le système d'exploitation, les progiciels.

  6. Structuration de l'information : du fichier à la base de données, avec un objectif d'initiation en s'appuyant sur le modèle relationnel.

  7. Les aspects informatiques de la problématique documentaire : organisation et recherche (sur Internet) de l'information, requêtes avec booléens ; notion de thésaurus.

  8. Communication-réseaux : les principes et les protocoles, la notion de couches logicielles, les réseaux locaux et longue distance.

  9. Informatique et société : thématiques diverses comme le droit d'auteur, les usages sociaux... abordées dans le cadre de la réalisation de projets informatiques et servant, de manière générale, de support naturel à la pédagogie pratiquée.

   D'une manière générale, les disciplines scolaires traditionnelles (Mathématiques, Sciences expérimentales, Lettres, Langues, disciplines Techniques et Professionnelles...) évoluent dans leur « essence » (objets, méthodes) de par l' « irruption » de l'informatique et des ordinateurs, qu'elles utilisent des moyens informatiques ou des concepts issus de l'informatique. Elles ne peuvent que bénéficier de l'acquisition des fondamentaux informatiques acquis dans une discipline « Informatique et TIC » spécifique.

   Il va de soi que la création d'une discipline « ITIC » va de pair avec celle d'un CAPES et d'une agrégation. Cette solution peut coexister avec des options « ITIC » dans les concours de recrutement des autres disciplines et la reconnaissance des compétences acquises, selon des modalités variées, par les enseignants ; ce qui présenterait l'intérêt de favoriser l'interdisciplinarité et l'intégration solide de l'Informatique et des TIC dans les autres disciplines.

Deuxième proposition

   Comme plusieurs responsables nous l'ont confirmé, les entreprises ont du mal à recruter les spécialistes de haut niveau qui pilotent les projets et sont à la pointe de l'innovation (voir notamment les « campagnes » du Syntec). Si des activités peuvent être délocalisées, la maîtrise et le contrôle des actions stratégiques ne s'externalisent et ne se délocalisent pas. Il y va de l'indépendance et en définitive de la croissance de notre pays.

   Le lycée doit aussi participer en amont à la formation en informatique des futurs ingénieurs dont le niveau aujourd'hui n'est pas optimal en informatique et celle-ci a vocation à figurer parmi les dominantes en série S. Les grands chapitres indiqués ci-dessus (cf. première proposition) devront donner lieu à des approfondissements pour les futurs scientifiques.

   En classes préparatoires, une introduction de l'informatique a été faite pour tous, avec un enseignement plus approfondi pour une partie seulement des élèves de la filière MP. Il est temps de généraliser cet enseignement pour assurer à tous un enseignement des méthodes fondamentales de l'informatique comme le souhaitent de nombreuses écoles.

22 novembre 2007

Jean-Pierre Archambault
Agrégé de Mathématiques
jp.archambault@laposte.net
Jacques Baudé
Agrégé de Biologie-Géologie
jacquesbaude@free.fr
Groupe « Enseignement de l'informatique et des TIC » de l'EPI
Co-responsables du groupe « ITIC » de l'ASTI

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Association EPI
Décembre 2007

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