« INFORMATIQUE ET SOCIÉTÉ » :
DES COMPÉTENCES TRANSDISCIPLINAIRES POUR LES ENSEIGNANTS

Félix Paoletti
Département Recherche Informatique
Université Pierre et Marie Curie - Paris VI
 

INTRODUCTION

   Le champ « Informatique et Société » s'est constitué progressivement depuis le début des années soixante-dix.

   Les premières études portent sur le thème « Informatique et Libertés ». Cependant, dès le milieu des années soixante-dix sont abordés des problèmes de politique industrielle en matière d'informatique ainsi que les questions relatives à l'informatisation de la société. De nombreux rapports officiels sont publiés à partir de cette époque (« Rapport Tricot », « Rapport Nora-Minc », Actes du Colloque International « Informatique et Société »).

   Tout au long des années quatre-vingts d'autres rapports officiels sectoriels (J.-C. Simon, B. Schwartz, M. Nivat, J. Vignes...) ainsi que de nombreux ouvrages, traitant de l'ensemble de la problématique ou relatifs à l'un de ses aspects, verront le jour. Mentionnons également, pendant cette période, la tenue de colloques et la soutenance de thèses portant sur ce sujet.

   Un enseignement « Informatique et Société » sera introduit dans les programmes nationaux des IUT en 1977 et un peu plus tard dans un certain nombre d'universités et d'écoles d'ingénieurs. Actuellement, « Informatique et Société » fait également partie des programmes d'enseignement de technologie dans les collèges et écoles (cf. programmes 1985 et textes récents des Bulletins de l'EN n° 61 et n° 63) et de l'option informatique des lycées.

1. L'INTÉRÊT D'UN ENSEIGNEMENT « INFORMATIQUE ET SOCIÉTÉ »

   L'étude des interactions entre l'informatique et la société offre un intérêt tout particulier. En effet, l'informatique, science du traitement automatique de l'information, voit son champ s'élargir sans cesse. Grâce au développement des recherches (systèmes experts, reconnaissance des formes, représentation des connaissances, logiciels interactifs et communication homme-machine...) un nombre de plus en plus grand d'activités humaines peuvent être complètement ou partiellement formalisées et automatisées.

   Ainsi, l'informatique est aujourd'hui au cour des technologies de l'information et de la communication.

   Or, ces technologies se différencient des autres techniques dans la mesure où elles présentent un triple aspect : « universel », « intellectuel » et « opérationnel ». L'universalité de ces technologies est liée à leur caractère transversal. Elles pénètrent progressivement l'ensemble du tissu social et sont virtuellement utilisables dans tous les secteurs d'activité et pour toutes les fonctions, dans les usines et les bureaux comme dans les foyers.

   L'aspect intellectuel de ces technologies réside dans le fait que tout utilisateur d'un système informatique ou informatisé doit développer une activité intellectuelle ; il doit faire appel à des processus cognitifs (représentation, abstraction, mémorisation, raisonnement, prise de décision...).

   Enfin, par l'intermédiaire du système informatique l'homme a prise sur le réel : concevoir et produire des biens et des services, faire de la recherche, communiquer, s'informer, se faire aider dans les prises de décision, etc. Cette possibilité de modifier le réel confère bien à l'informatique un caractère opérationnel.

   Tout au long des années soixante-dix il est apparu que le développement de l'informatique et l'informatisation multiforme de la société posaient avec de plus en plus d'acuité tout un ensemble de problèmes d'ordre juridique (protection de la vie privée et des libertés, sécurité des systèmes informatiques et propriété des logiciels...), d'ordre économique (productivité des entreprises, indépendance industrielle...), d'ordre social (organisation et conditions de travail, emploi, qualifications, formation...), d'ordre culturel (accès au savoir, communication, création...).

   L'analyse et l'étude de ces enjeux permettent de sensibiliser les élèves à ces problèmes, de développer leur réflexion et leur esprit critique.

   Le thème « Informatique et Société » est devenu aujourd'hui une composante importante de la culture générale.

2. DES COMPÉTENCES TRANSVERSALES POUR LES ENSEIGNANTS

   L'étude des interactions entre les deux parties du diptyque « Informatique-Société » constitue l'objet de ce thème de recherche et d'enseignement ; cette étude permet :

  • d'expliciter quels sont les facteurs d'ordre économique, politique, social, culturel qui ont influé sur la naissance et l'essor de l'informatique ;

  • de comprendre quelles sont les conséquences d'ordre économique, politique, social, culturel engendrées par le développement de l'informatique sur la société.

   Le champ d'étude « Informatique et Société » étant ainsi défini, on peut se poser un certain nombre de questions.

  • Quelles sont les recherches scientifiques et techniques qui ont conduit à l'élaboration des concepts fondamentaux de l'informatique et à la réalisation des machines (calculateurs puis ordinateurs) ? Aux différentes étapes de ce processus quel a été le rôle des conditions économiques, sociales, politiques et culturelles ?

  • L'informatique remet-elle en cause la répartition et l'équilibre des pouvoirs ? Le développement des fichiers et des traitements informatisés nominatifs peut-il porter atteinte à la vie privée et aux libertés ? Comment se posent, pour un pays comme la France, les problèmes d'indépendance technologique et de démocratie ?

  • Quelle est l'importance économique de l'industrie de l'informatique et quelles sont ses perspectives de développement ? Comment l'informatisation de la société peut-elle contribuer à la relance et à l'expansion de l'économie ? Une politique nationale en matière d'informatique et d'informatisation est-elle une nécessité ? Dans la mesure où la délinquance informatique risque de porter atteinte à l'efficacité de l'informatisation, de quels moyens dispose-t-on pour la combattre ? Les formations à l'informatique (nombre de diplômés, contenu des enseignements) sont-elles en mesure de répondre aux besoins de la profession et aux exigences de l'informatisation ?

  • L'introduction de l'informatique dans le monde du travail peut-elle se ramener à un simple processus technique ? L'informatisation impose-t-elle un déterminisme technologique ? Quel peut être l'apport de l'ergonomie, de l'organisation du travail, de la formation à l'amélioration des conditions de travail des utilisateurs de systèmes informatiques ? Comment concevoir un processus d'informatisation qui prenne en compte, non seulement les impératifs techniques, mais aussi la dimension sociale ?

  • L'informatique modifie-t-elle fondamentalement notre appréhension du réel ainsi que nos modes de pensée ? Quel est son impact sur notre façon d'accéder à l'information, de communiquer, d'acquérir des savoirs et des savoir-faire, de créer ?

   On peut essayer d'apporter des réponses à ces questions sans, évidemment, prétendre à l'exhaustivité, en les regroupant en cinq chapitres.

3. CONTENU D'UN ENSEIGNEMENT « INFORMATIQUE ET SOCIÉTÉ »

I. Histoire et épistémologie de l'informatique

  • Conditions historiques d'émergence des ordinateurs et de l'informatique.
  • Notions et concepts fondamentaux.

2. Informatique, libertés et démocratie

  • Informatisation : quelles menaces pour la vie privée et les libertés des citoyens ?
  • Les principales dispositions de la loi « Informatique et libertés ».
  • Comment la loi a-t-elle été appliquée ?
  • Informatique, exercice du pouvoir et démocratie.

3. Informatique et enjeux économiques

  • Les caractéristiques de l'industrie informatique (française, européenne, mondiale).
  • Les problèmes de la productivité et de la compétitivité des entreprises.
  • La création de nouveaux marchés de consommation de masse (biens et services).
  • La protection des logiciels et la sécurité des systèmes informatiques.
  • Les métiers de l'informatique (marché de l'emploi, fonctions, formations).

4. Informatique et enjeux sociaux

  • De nouvelles formes d'organisation du travail.
  • Des qualifications polyvalentes.
  • Des besoins importants de formation.
  • L'amélioration des conditions de travail et l'ergonomie.
  • Des modifications de grande ampleur dans la structure de l'emploi.
  • De nouvelles formes de contrôle et de surveillance des employés.
  • La prise en compte de la dimension sociale lors des processus d'informatisation.

5. Informatique et enjeux culturels

  • La modification des formes d'appréhension du réel.
  • De nouveaux moyens de communication et d'accès à l'information.
  • De nouvelles méthodes d'acquisition des savoirs et des savoir-faire.
  • La création artistique assistée par ordinateur.

CONCLUSION

   Le champ « Informatique et Société » constitue un vaste domaine d'étude comme en témoigne le nombre, sans cesse croissant, de publications traitant de ce thème. Les débats et les apports des différents participants à ce Colloque permettront, j'en suis certain, de préciser et d'approfondir un certain nombre de points.

Paru dans L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants ; actes du colloque des 28-29-30 janvier 1992 au CREPS de Châtenay-Malabry, édités par Georges-Louis Baron et Jacques Baudé ; coédition INRP-EPI, 1992, p. 232-237.

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Bulletin de l'EPI, plusieurs articles sur le thème « Informatique et société » (cf. répertoire informatisé PC/MS-DOS).

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