COMMENT LES ENSEIGNANTS DE SCIENCES PHYSIQUES PERÇOIVENT-ILS L'USAGE DE L'ORDINATEUR DANS LEUR ENSEIGNEMENT ?

Marie-Joëlle Ramage

 
Résumé : Cet article présente les résultats d'une courte étude des représentations sociales des enseignants de sciences physiques sur l'usage de l'ordinateur dans leur pratique d'enseignement. À un questionnement sur l'utilisation des multimédias, la majorité des professeurs interrogés ont répondu en terme d'utilisation d'instrument de traitement de données ou de recherche documentaire. Ces représentations sont peut-être à mettre en relation avec les contraintes des structures dans lesquelles travaillent ces enseignants.

 
I. INTRODUCTION

     Le travail présenté ici est le résultat d'un travail de réplication de recherche effectué durant les mois de novembre et décembre 2000, dans le cadre de la première année de l'école doctorale « Enseignement et Diffusion des Sciences et des Techniques » de l'école Normale Supérieure de Cachan. Il peut être considéré comme une étude préliminaire des représentations sociales actuelles des enseignants de sciences physiques de l'usage de l'ordinateur dans leurs pratiques d'enseignement. Il n'est pas question ici de reprendre la démarche développée lors de la réplication de recherche mais plutôt de présenter les résultats qui nous ont semblé intéressants.

     En 1993 ; Baron et Bruillard  [1] avaient dressé un panorama des représentations de l'informatique - on ne parlait pas encore de multimédia à l'époque - de futurs enseignants. Il ressortait de cette étude qu'une faible proportion des étudiants interrogés possédait une machine (16 %) et l'utilisait peu, qu'ils avaient peu d'attente de l'informatique pour leur discipline et avaient un sentiment d'opposition homme contre machine très fort. En 2000, M. Kalogiannakis  [2] a effectué un premier travail de recherche sur les représentations sociales de l'utilisation des multimédias par les enseignants de sciences physiques et a abouti à des résultats différents : la majorité des enseignants interrogés possède un ordinateur personnel et l'utilise, les multimédias sont associés au sens du progrès, au goût des représentations propres, à la possibilité de varier les enseignements. Ils sont considérés comme un moyen d'enrichissement de l'enseignement ainsi qu'une aide à l'acquisition des concepts en physique-chimie. M. Kalogiannakis ne mentionne pas le sentiment de dualité homme-machine que pointent Baron et Bruillard. Les représentations ont-elles réellement changées de manière importante pendant l'intervalle ? Nous avons donc tenté de comprendre comment les enseignants percevaient l'utilisation des multimédias dans leur enseignement.

II. MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

     Ce travail a pour but de tenter d'expliciter quelques éléments des représentations sociales des enseignants sur l'utilisation des multimédias dans leurs pratiques. Pour cela, nous avons choisi de travailler sur des entretiens semi-directifs d'enseignants volontaires.

     Dans le cadre de cette étude, nous avons essayé de constituer un échantillon d'enseignants faible en nombre mais contrasté. Nous avons interviewé six enseignants de Sciences Physiques. Quatre d'entre eux ont été contactés par l'intermédiaire des proviseurs des établissements, eux-mêmes contactés par téléphone et à qui nous avions transmis une lettre de demande, expliquant notre démarche. Les deux autres ont été contactés personnellement. Les entretiens se sont déroulés durant les mois de novembre et décembre 2000.

     Le corpus d'entretiens étant relativement peu étoffé, nous avons fait une étude qualitative. Pour cela, nous avons analysé le contenu du discours des personnes interrogées en nous basant sur la méthode d'analyse des relations par opposition proposée par Blanchet et col  [3]. Nous avons recherché les mots ou les phrases signifiantes apparaissant dans le discours des interviewés et nous les avons catégorisés. Nous avons ensuite essayé de déterminer quels étaient les points communs des discours, ces points communs sont considérés comme des pistes pour la détermination des représentations sociales. Enfin, nous avons tenté d'établir une synthèse des résultats pour chaque thème.

III. RÉSULTATS

III.1 Le profil des enseignants et leur environnement de travail

     Les enseignants sont identifiés par le sigle Px où x est un chiffre de 1 à 6.

     Tous les enseignants interviennent dans des filières généralistes. Trois lycées sur cinq sont situés dans la vallée de Chevreuse qui possède un technopôle important et également des établissements d'enseignement supérieur dans le domaine technique et scientifique. La moyenne et le milieu socioculturel dont sont issus la plupart des élèves est un milieu de cadres et de techniciens supérieurs. Cinq enseignants interviennent dans des lycées généralistes (1 lycée privé et quatre lycées publics), le sixième intervient dans un lycée polyvalent public. Enfin, parmi les six enseignants, l'un d'entre eux a joué le rôle d'enseignant témoin puisqu'il affiche clairement sa réticence à utiliser les ordinateurs dans ses pratiques de classe. Les enseignants les plus jeunes (30-40 ans) sont considérés par leurs collègues comme actifs dans l'utilisation des multimédias.

     Les enseignants âgés de 50 ans et plus n'ont pas suivi de formation informatique contrairement aux enseignants de 30-40 ans qui ont bénéficié d'une formation à la programmation. Il est mentionné des formations à l'Expérimentation Assistée par Ordinateur ou la présentation de logiciels soit dans le cadre de la formation du CAPES, soit dans le cadre de stages de courtes durées. Aucun enseignant ne mentionne de formation à la recherche sur Internet. La formation à la recherche ou à l'utilisation de logiciels passe par l'autoformation. Le bulletin des Physiciens est mentionné comme source d'informations.

     L'ensemble des enseignants interrogés possède un voire deux ordinateurs personnels avec au minimum une imprimante. Trois sur six ont une connexion à Internet. Les enseignants effectuent majoritairement un travail de bureautique (frappe des cours et des textes distribués aux élèves, gestion des notes) et préparent leurs interventions en utilisant les logiciels ou visualisant les cédéroms qu'ils comptent utiliser avec leurs élèves. Ils ne mentionnent pas de recherche sur Internet chez eux ni d'éventuelles correspondances professionnelles par courrier électronique, excepté P5 qui fait de l'expertise de logiciels.

     Les lycées possèdent tous au moins une salle de TP équipée d'ordinateurs. Par contre, le nombre de dispositifs d'acquisition de données est très variable, d'un dispositif inexistant jusqu'au « projet d'établissement  » pour lequel l'équipement technique et informatique a délibérément été fait afin de constituer un tout s'intégrant dans la formation scientifique. Deux lycées sont équipés d'un Intranet et l'un d'entre eux dispose d'un site WEB. L'accès à Internet est possible dans tous les lycées mais exclusivement dans les CDI pour 4 établissements sur 5 et sur un nombre limité de machines. P2 et P3 disposent d'ordinateurs sans lecteur de cédéroms pour l'utilisation en salle de cours.

     L'ensemble des enseignants interrogés considère que le lycée est « bien équipé », ce qui donne à penser que la représentation de l'équipement informatique est plutôt dans le domaine des travaux pratiques que dans le domaine de la documentation ou autre.

     Les principales difficultés techniques mentionnées sont la mise au point des expériences informatisées (P2 : enseignant réticent) et le travail de maintenance informatique. Les lycées ne bénéficient pas d'aide technique. Seul P2 mentionne une décharge pour la maintenance de la salle) et les enseignants de sciences physiques se chargent du travail. Celui-ci demande aux enseignants des compétences technologiques qu'ils doivent acquérir seuls puisqu'il existe peu de formation. Il faut noter l'évolution très rapide des technologies qui rend le matériel rapidement obsolète ou qui crée des problèmes de compatibilité entre des matériels de générations différentes. Le coût des dispositifs n'est pas minime et complique la mise à jour. Cela étant dit, certains enseignants ne considèrent pas les problèmes techniques liés à l'informatique comme différents des problèmes rencontrés lors de travaux pratiques.

     Hors problèmes techniques, les enseignants mentionnent également l'investissement temporel important nécessaire pour une utilisation correcte de « l'informatique » en classe.

III.2 Images de l'ordinateur et de son utilisation en classe

III.2.1 Les images et l'utilisation de l'ordinateur

     Le tableau suivant regroupe les thèmes relatifs à l'évocation et à l'utilisation de l'ordinateur dans la classe.

 

Évocation

Utilisation

Perspectives

 
 

Multimédia, NTIC, Informatique

Multimédia, Internet, cédérom

(de l'ordinateur) en TP

 

P1

Hypertexte (Internet)

cédérom (cours)

traitement de données

 

P2

Ordinateur ; traitement de données

 

traitement de données

cédérom : recherche documentaire

P3

Informatique, traitement de données ; documentation

cédérom (cours)

traitement de données
acquisition de données

 

P4

Ordinateur

multimédia, Internet, ordinateur
didacticiel
Internet = recherche documentaire

Acquisition de données
traitement de données

 

P5

multimédia = moyen de communication
TIC = informatique + multimédia
Informatique= traitement de l'information

multimédia, TIC

option informatique terminale
mise à niveau seconde

acquisition de données
traitement de données

Tutoriel
Ressources documentaires dont Internet
Simulations dans le cadre des TP

P6

Recherche documentaire, cédérom, Internet
TIC = Recherche documentaire, traitement et simulation

cédérom = Ressources documentaires
cédérom = simulation

acquisition de données
traitement de données
travail sur les images

Simulation : activité en travaux pratiques

     Pour essayer de comprendre, comment s'effectuent les classifications relatives à l'ordinateur, au sens large, au sein du groupe que nous avons étudié, nous avons essayé de regrouper sur un même tableau, les thèmes ressortant des discours des interviewés suivant que nous leur demandons l'évocation des mots (colonne 2), l'utilisation en classe (colonnes 3 et 4). La colonne 5 présente les perspectives évoquées par les enseignants, c'est à dire ce qu'ils comptent faire au cours de l'année et ce qu'ils pourraient faire éventuellement sans qu'une date ne soit précisée.

     Lorsque nous avons demandé aux interviewés ce qu'évoquent les mots « multimédia », « TIC » ou « Informatique », nous avons obtenu des réponses relativement différentes. P5 et P6 ont répondu en terme de définition, les autres en terme de ressenti. On peut noter la réaction de P2 qui a assimilé l'utilisation de l'ordinateur « à du secrétariat » et citer P4 et P5 qui ont évoqué l'utilisation du multimédia comme quelque chose d'irréversible et d'incontournable mais en même temps ont parlé de leur méfiance par rapport à lui. . On ne note pas la dualité homme-machine qui apparaissait en 1993, les jugements sont plus nuancés.

     Globalement, si nous regardons l'évocation, nous pouvons dire que les enseignants ont une vision d'un matériel polyvalent et à usages multiples. Lorsque maintenant nous nous s'intéressons à son utilisation, nous voyons apparaître une première classification :

  • l'ordinateur est un outil de laboratoire, utilisé pour l'acquisition et le traitement des données. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les prévisions d'utilisation des logiciels de simulation ;

  • l'ordinateur est un support de multimédias. Les multimédias regroupent les ressources documentaires numériques, quelles soient sur cédérom ou Internet.

     L'utilisation de tutoriel est mentionnée par P4 et P5, sans qu'il soit possible d'établir clairement dans quelle catégorie, nous pourrions placer celle-ci. Il faut néanmoins mentionner que lors de l'interview de ces deux enseignants, la question posée était différente. On a remplacé « cédérom » par « Ordinateur » pour P4 et « Internet et cédéroms » par « TIC » pour P5. Cette différenciation introduit la notion d'Informatique au sens large dans le questionnement et peut-être a conduit les interviewés à mentionner ce type d'usage. Nous ne pouvons donc pas savoir si seuls P4 et P5 utilisent des tutoriels ou si d'autres enseignants les utilisent sans l'avoir mentionné lors des entretiens car la focalisation du questionnement différait entre les interviews.

III.2.2 Perception de l'usage de l'ordinateur

     Si maintenant, nous examinons de plus près l'utilisation de l'ordinateur, nous pouvons essayer de cerner la valence des opinions des enseignants. Le tableau présente une synthèse par mots clés des propos tenus par les interviewés à ce propos.

 

usages

mots clés positifs

mots clés négatifs

P1

Visualisation d'expérience
Animation
Vidéo
EXCEL

Clarté
intérêt / effet télé
focalisation différente des élèves

Zapper
Implication des enseignants

P2

pas d'utilisation cette année (IESP en 1999)
EXCEL

 

Support technique
Compétences techniques élèves
Détournement attention
Interface / Écran

P3

Recherche sur Internet (TPE)
Résumé du cours (CDRom)
Acquisitions de données
GENERIS, EXCEL

Clarté
gain de temps / focalisation différente des élèves

Crédibilité des informations
Compétences techniques des élèves

P4

REGRESSI
acquisition données monoposte
tutoriel

gain de temps / focalisation différente des élèves
rythme d'apprentissage personnalisé
intérêt / effet Télé
multiplication des exemples

Compétences techniques des élèves
Zapper
Interface / Écran

P5

Acquisition et traitement de données
logiciels de simulation

gain de temps
Autonomie, élèves plus actifs
Multiplication des exemples

intérêt / Effet Télé

Compétences techniques des élèves
Interface / Écran
Acquisition simultanée de compétences académiques et techniques

P6

Recherche documentaire sur Internet, sur CDRom
Acquisition et traitement de données
REGRESSI
Travail sur les images
logiciels de simulation

gain de temps / focalisation différente des élèves
Travail individuel
Multiplication des exemples

Compétences techniques des élèves
Acquisition simultanée de compétences académiques et techniques
Compétence des enseignants

     Une première remarque que nous pouvons faire à partir de ces résultats est l'ambivalence des sentiments face à l'écran. Certains enseignants soulignent l'intérêt provoqué par la machine et dont bénéficie la matière. En même temps, cette machine gène car elle peut être une interface supplémentaire entre le concept physique ou l'expérience et l'élève. Elle peut également détourner l'attention des élèves, soit à cause de leur intérêt pour la technologie plutôt que pour la discipline, soit du fait que la multiplicité des documents pousse les élèves à parcourir l'ensemble des ressources sans chercher à comprendre véritablement les concepts scientifiques.

     Un thème récurrent dans le corpus est la difficulté de gestion des compétences techniques élèves. Utiliser l'informatique comme instrument pour la physique et la chimie, demande que les élèves dominent l'utilisation de la machine, ce qui n'est pas encore le cas. P2 évoque précisément la perte de temps qu'implique la formation des élèves, au détriment du temps disponible pour la matière elle-même. Par contre, la majorité des enseignants interrogés insistent sur le gain de temps obtenu dès que les élèves ont acquis ces compétences. Cet acquis semble suffisamment important pour que ces professeurs investissent une partie des horaires dont ils disposent pour former les lycéens à ces techniques.

IV. DISCUSSION

     Lorsque nous interrogeons les enseignants sur leur pratique du multimédia, les images en retour sont celles de l'appareil lui-même et des usages multiples qu'il est susceptible d'engendrer. Ceci est développé dans la section précédente que nous pouvons résumer par la classification suivante :

  • l'ordinateur en tant qu'outil de laboratoire. Cette catégorisation regroupe l'acquisition et le traitement des données obtenues lors des travaux pratiques. C'est dans ce cadre qu'est évoquée l'utilisation des logiciels de simulation ;

  • l'ordinateur en tant que support à des produits multimédias. Dans ce cas, l'accent est mis soit sur la clarté des présentations permises par les produits soit sur l'apprentissage des élèves (autonomie des élèves, apprentissage individualisé en terme de rythme).

     Compte tenu de ces remarques, nous travaillerons plutôt en terme d'usage de l'ordinateur qu'en terme d'usage des multimédias.

IV.1 L'utilisation dans le cadre des travaux pratiques

     Les pratiques sont extrêmement hétérogènes et dépendent de l'équipement matériel de l'établissement. L'ensemble des enseignants mentionne le traitement des données ; Les logiciels utilisés sont soit EXCEL (tableur standard soit Windows), soit un logiciel de traitement plus spécifique (REGRESSI, GENERIS) qui propose les fonctions de tableur, de gestion et d'ajustement de courbes aux points expérimentaux. En ce qui concerne les acquisitions de données, toutes les situations sont présentes : P1 et P2 mentionnent des acquisitions manuelles et l'utilisation d'EXCEL, P4 parle d'acquisition faite par l'enseignant (nombre limité de dispositifs, problème de réseau qui ne permet pas la transmission aisée des données sur les postes clients des élèves) tandis que P3, P5 et P6 signalent des acquisitions effectuées par les élèves. Ces enseignants utilisent également les logiciels de traitement de données spécifiques. À noter également que les usages dépendent des convictions des enseignants puisque P3 et P2 interviennent dans le même établissement mais ont des pratiques très différentes.

     Les utilisations des logiciels de simulation ont lieu dans les créneaux horaires impartis aux travaux pratiques. Dans ce cas, ces logiciels permettent d'établir un lien entre les résultats expérimentaux que l'on peut obtenir dans le contexte scolaire et les lois de la physique (P6 « Il y a tout un travail qui leur permet, quand ils passent après sur l'expérience, de comparer l'image sur la simulation, sur l'ordinateur, comment on l'a retrouve sur le montage, de faire ce va et vient entre le montage, où on ne voit pas les rayons, où on voit que les images et les schémas d'optique où on voit les rayons, enfin où on modélise les rayons et les images, on ne les voit pas comme on les voit dans la réalité sur un écran. »). Ils permettent également de proposer des situations impossibles à mettre en œuvre dans la classe, soit par manque de matériel ou par risque de destruction.

     Bien que clairement exprimé uniquement par P5, il semble que l'incitation des autorités de tutelle via le choix des programmes soit importante. Ceci est corroboré par le fait que l'ensemble des lycées est équipé d'au moins une salle pour les options IESP, malgré les coûts importants de ces équipements.

     De manière générale, les enseignants utilisateurs de l'ordinateur lors des travaux pratiques affirment obtenir un gain de temps. Ils ne se réfèrent pas explicitement à l'acquisition automatique ou semi-automatique des données mais surtout au traitement des données lui-même. Les élèves sont affranchis des difficultés dues à la réalisation de graphes (P4 parle de problèmes techniques des élèves), ils peuvent obtenir des résultats sans avoir les compétences mathématiques nécessaires pour la résolution . Ceci permet la focalisation des élèves sur les concepts de la physique eux-mêmes et permet également de multiplier les exemples (travail sur les images pour P6, simulation pour P5 et tutoriel pour P4). De plus, la moitié des enseignants signale la possibilité d'un travail plus individualisé pour les élèves.

     En même temps interviennent de manière sous-jacente, les difficultés de maîtrise de l'ordinateur par les élèves et la multiplicité des compétences techniques et académiques que doivent acquérir simultanément les élèves. La première notion n'apparaît pas de manière claire, c'est plutôt une succession de réflexions. Les enseignants parlent de l'hétérogénéité des compétences techniques des élèves : « Il y a des fois des élèves qui sont bloqués parce qu'ils ne sont pas à l'aise avec l'outil informatique » (P4), « c'est à l'élève de rentrer les formules et là ça devient sportif » (P5) mais n'explicitent pas clairement comment les élèves peuvent acquérir cette maîtrise, excepté P6 qui inclut cet apprentissage dans la formation scientifique lors des 2 premières années du lycée. C'est une des raisons pour laquelle P2 hésite à s'engager dans l'utilisation de l'ordinateur car le temps nécessaire à la formation des élèves lui semble trop important par rapport au temps dont il dispose pour son enseignement.

     La perception de l'ordinateur comme outil de laboratoire est à mettre en relation avec les équipements des lycées. En effet, l'ensemble des lycées possède l'équipement nécessaire pour ce type d'utilisation. Les programmes officiels et les groupes d'experts  [4] insistent sur un usage des technologies informatiques dans ce cadre et donc le favorisent en terme de temps (heures de travaux pratiques) et de contenu.

     D'autre part, les séances de travaux pratiques ont lieu avec un nombre d'élèves moindre (P1 parle de demi-groupe ou de quart de groupe), ce qui rend la gestion du groupe plus aisée. Le travail individuel avec des tutoriels a également lieu sur les temps de travaux pratiques et donc probablement en groupes restreints. Ceci semble indiquer que la gestion du groupe est un facteur important pour le développement des pratiques : le travail individualisé de l'élève demande une disponibilité différente de l'enseignant et celle-ci n'est effective que lorsque les effectifs élèves sont réduits.

IV.2 Les autres utilisations

     Les autres types d'utilisation sont soit une demande de l'enseignant de recherche documentaire sur Internet ou sur cédérom sur un thème donné, soit la présentation de cédérom pendant le cours (résumé pour P3, animations et vidéo pour P1). Dans ce dernier cas, les enseignants concernés évoquent la clarté de la présentation avec ce support. La création de sites WEB a été proposée dans le cadre des Travaux Personnalisés Encadrés.

     Quelle que soit l'utilisation, il existe un intérêt provoqué par l'ordinateur lui-même (P1 parle « d'effet Télé ») et son pendant, une focalisation excessive sur la machine elle-même que P4 traduit par la phrase : « L'informatique, ça peut être un écran ». Autrement dit, le fait d'utiliser l'ordinateur provoque un intérêt dont la discipline bénéficie par contrecoup ce qui est positif mais en même temps, les enseignants s'inquiètent de la polarisation des élèves sur la machine elle-même qui peut à contrario, bloquer les apprenants. Cette polarisation peut prendre différentes formes : soit les élèves « zappent », c'est à dire utilisent les différentes possibilités du logiciel sans comprendre les concepts qu'illustre ce logiciel, soit encore utilisent la machine pour autre chose .

     Enfin, il émerge un questionnement face à l'utilisation d'Internet : crédibilité des informations, compétences des élèves pour la méthodologie de recherche documentaire ou pour la synthèse des informations, compétences des enseignants.

     L'usage de l'ordinateur en tant que support de produits multimédias reste faible et nous pouvons évoquer plusieurs raisons structurelles : l'équipement pour l'utilisation de ce type de produits reste inadapté ; équipement insuffisant en terme d'accès aux produits : pas de lecteur de cédéroms, peu d'accès à Internet dans la majorité des lycées. Les enseignants évoquent la gestion du temps par rapport au volume des programmes et la difficulté de gérer un apprentissage individualisé dans le temps par rapport au temps imparti pour l'acquisition des concepts. La gestion du groupe est également évoquée comme une difficulté. Enfin, le type des produits eux-mêmes est invoqué (P5 parle de piste intéressante concernant les tutoriels avec des réserves sur la gestion des erreurs).

     La recherche documentaire via Internet peut être classée séparément dans la mesure où elle intervient dans les projets de TPE et dans ce cadre, les professeurs prévoient une évolution des équipements.

V. CONCLUSION

     Le résultat le plus marquant de cette étude est qu'à un questionnement relatif à l'utilisation des multimédias en classe, les enseignants ont répondu en terme d'ordinateur « outil de laboratoire », d'instruments de présentation de cours ou d'instruments de recherche documentaire. Il semble que les représentations des multimédias dépendent des usages des enseignants, usages eux-mêmes contraints par les programmes, l'équipement et l'environnement technique des enseignants : les contraintes structurelles sont bien des variables influant sur les représentations des enseignants.

     Tout en gardant en mémoire, le faible effectif d'enseignants interrogés, il semble que le sentiment d'opposition homme-machine est diminué. Les enseignants ont une représentation de l'ordinateur en tant qu'outil au sens large (l'homme avec la machine proposé par Baron et Bruillard en 1993) et que son utilisation est plus liée à des contraintes techniques - facilité, entretien, gestion de groupe - ou à l'identité professionnelle plutôt qu'à ce sentiment d'opposition. Il faut noter que tous les enseignants interrogés possèdent et utilisent un ordinateur et que les équipements des lycées visités sont conséquents. Il y a là peut-être une relation à vérifier. Par contre, un questionnement fort est ressenti vis à vis de l'utilisation d'Internet. Peut-on envisager que l'inquiétude focalisée sur la machine, il y a 10 ans, s'est maintenant reportée sur le réseau ? Là où les enseignants parlaient d'opposition homme/machine (remplacement de l'homme par la machine), événement qui ne s'est pas concrétisé, nous avons maintenant une inquiétude quant à la transmission des connaissances : Où les élèves vont-ils chercher le savoir ? Que va devenir le rôle des enseignants ? Cette étude n'a pas la prétention de répondre à ces questions, mais il nous semble que les discours des enseignants sont porteurs de ces interrogations qui sont autant de pistes de réflexion intéressantes.

     Enfin, il ne faut pas oublier que cette étude est contextualisée : le public élève est relativement homogène de part le choix des lycées. Il serait sûrement intéressant d'observer l'influence du public sur l'utilisation des multimédias par les enseignants. Est-elle fonction de la difficulté à faire passer le discours scientifique ? En particulier, il serait utile de diversifier les filières et les publics : filières techniques et généralistes, éventuellement étude plus précise en classe de seconde indifférenciée et donc avec un public élève beaucoup plus large.

Marie-Joëlle Ramage

Laboratoire de Didactique des Sciences d'Orsay
Bâtiment 333
Université Paris XI
91405 ORSAY CEDEX

NOTES

[1] Baron, G.-L. et Bruillard, É. (1993). La prise en compte de l'informatique dans la formation des enseignants, rapport technique INRP 93-4 092.

[2] Kalogiannakis M. (2000). Représentations sociales d'enseignants de Sciences Physiques sur l'utilisation des multimédias dans leur enseignement, mémoire de DEA Sciences de l'Éducation (Paris V).

[3] Blanchet A. et col. (1985). L'entretien dans les sciences sociales, éditions Dunod.

[4] Bulletin de l'Union des Physiciens (1995). L'introduction d'outils informatiques et audiovisuels dans l'enseignement des sciences physiques au lycée, Propositions de l'Union des Physiciens, novembre, 778, 1-19

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Association EPI