Comment organiser la formation des élèves à la maîtrise des outils d'expression, d'information et de communication ?

Jean-Yves Royer
 

   Je lis avec intérêt les articles publiés sur le site EPI et j'adhère à la plupart des choses qui sont écrites. Cependant, il m'arrive de réagir, par exemple à l'article « Le rôle de l'informatique et des technologies de l'information et de la communication dans la croissance de l'économie de l'immatériel - Deux propositions pour le système éducatif »  [1]. J'ai envie de crier casse-cou, non pas parce que je conteste ce qui est dit mais parce que mon expérience me montre que la méthode, implicitement proposée et habituellement employée, conduit à l'échec. Je voudrais donc étendre le champ de réflexion autour de la préparation des jeunes à l'usage des technologies d'expression, d'information et de communication.

   Loin de moi la prétention de proposer une solution miracle. Je voudrais seulement entraîner le lecteur dans une observation de la situation actuelle, lui suggérer des principes pour la réflexion et le conduire à se poser quelques questions.

1. En quoi mon expertise de l'usage des technologies à base d'informatique peut-elle aider des experts en pédagogie ?

   Avant de pouvoir former, il faut avoir une idée claire des objectifs et de ce que j'ai coutume d'appeler « l'état de l'art ».

1.1. Proposition de définition l'état de l'art ?

   Comment se caractérise l'état de l'art dans les usages des technologies à base d'informatique ? Il y a notamment deux approches pour le spécifier : les propriétés du produit fini et les méthodes pour l'obtenir. L'état de l'art ne consiste pas à faire des prouesses, mais à être un bon professionnel du métier que l'on exerce et à en respecter les règles. Sans voir un ouvrier travailler, on peut juger d'un aspect de sa compétence en observant son ouvrage. Pour le deuxième aspect, il faut le voir travailler ou mesurer ses performances. Il est aussi possible de l'écouter. Mon père me disait : un bon ouvrier sait ne pas se fatiguer et rester propre. Fatigue et maladies professionnelles des utilisateurs intensifs des ordinateurs ne proviendraient-elles pas, en partie, d'un manque de maîtrise de l'outil ?

   La première chose à faire est donc d'avoir une perception précise de l'état de l'art en matière d'usage de l'informatique pour tout ce que l'on fait avec un ordinateur. S'agissant d'enseignement, il serait aussi souhaitable d'anticiper ses évolutions majeures à moyen terme.

1.2. L'état de l'art est-il bien perçu par les enseignants ?

   Le monde enseignant a-t-il la perception de ce qu'est l'état de l'art en matière d'usages des nouvelles technologies ? Sans cette perception, toute formation par des enseignants ne ferait que propager de mauvaises habitudes. Pourquoi ai-je des doutes ?

   Depuis l'année 2000, comme formateur bénévole, dans le cadre d'initiation à l'informatique en prison et à la protection judiciaire de la jeunesse j'ai l'occasion :

  • de rencontrer des stagiaires qui viennent de sortir de l'école ;
  • pendant les vacances, d'être maître de stage d'étudiants qui viennent nous aider à assurer des formations en prison, souvent des élèves des premières années d'écoles d'ingénieurs,
  • de collaborer avec l'Éducation nationale en prison, dont des GRETA, et d'autres organismes de formation comme l'AFPA ;
  • de participer à des groupes d'animateurs d'EPN  [2] ou de promoteurs du logiciel libre ;
  • de réfléchir avec les autres formateurs de l'association qui intervient en prison, dont d'anciens enseignants en bureautique à haut niveau.

   Par ailleurs, je collabore à la rédaction de documentation pour la communauté française d'OpenOffice.org.

   Mes constats :

  • je n'ai pas encore trouvé un seul étudiant qui sache s'exprimer efficacement par écrit avec un logiciel de bureautique ; ils croient connaître mais ne font que bricoler ;

  • la grande majorité des documents produits par nos partenaires en prison montre qu'ils ne savent pas tirer parti d'un logiciel de bureautique pour rédiger à l'écran ; par exemple, des modèles de dossiers de VAE donnés à remplir aux candidats n'utilisent pas les styles et exigent de nombreuses manipulations inutiles pour remplir des tableaux ou effectuer la mise en page finale ;

  • les documents publiés, par exemple, sur le site de la DUI  [3], ne sont pas à l'état de l'art, comme on peut s'en apercevoir en les examinant au regard des règles élémentaires, notamment synthétisées dans une fiche  [4] ;

  • dans la communauté du libre, la plupart ne jure que par Latex  [5], sans faire d'analogies avec les autres logiciels qui reposent sur les mêmes concepts et qu'ils critiquent sans les connaître ;

  • dans les écrits sur l'évolution de la formation des jeunes, il y a des polémiques sur les méthodes d'enseignement qui me semblent animées par des personnes qui n'ont pas conscience de ce que j'ai constaté depuis près de trente ans dans mes expériences professionnelles et bénévoles.

   Dans le petit échantillon d'enseignants que je côtoie, je rencontre des personnes qui maîtrisent parfaitement les techniques la bureautique pour s'exprimer et produire des documents facilement modifiables dans leur fond et leur forme. Je voudrais contribuer à mettre leur action en évidence et à les promouvoir comme formateurs d'enseignants, car ils me disent manquer de considération de la part de leur environnement. Je souhaiterais aussi que des procédures de contrôle des publications officielles de l'Éducation nationale permettent de ne présenter aux enseignants et aux élèves que des documents pouvant servir d'exemple. L'exemple n'est-il pas le seul vrai moyen de former ? Pour donner l'exemple, il faut bien maîtriser le référentiel, l'état de l'art.

1.3. Ai-je quelque crédibilité pour réagir aux démarches d'enseignants ?

   Comme grand-père, je me crois obligé de réagir. Je voudrais tenter d'éviter à la communauté enseignante un nouvel échec dans l'apprentissage des nouvelles technologies d'expression et de travail  [6].

   Bien qu'étant utilisateur de l'informatique depuis 1960 et employant un ordinateur pour m'exprimer sous diverses formes quotidiennement depuis 1979, je n'ai pas la prétention d'avoir fait la moindre découverte. Tout ce qui me fait réagir et tout ce qui guide mes actions, notamment comme formateur, m'a été donné et est, pour l'essentiel, à la disposition de tous. Je suis éberlué de constater que ce n'est pas entré dans la culture générale. Comment en sommes-nous arrivé là ? Comment en sortir ?

   Pour ceux qui voudraient connaître mon parcours et « d'où je parle », j'ai placé à cette page  [7] une liste d'anecdotes qui ont orienté mes décisions et mes méthodes d'action.

2. Je tente de contribuer à la réflexion, mais pas à la solution

   Je me garderais bien d'apporter des solutions. En retraite depuis neuf ans, bien qu'actif dans le milieu associatif, je ne suis plus assez « dans le bain » pour prétendre avoir des avis pertinents. Je voudrais seulement contribuer aux réflexions, notamment sous forme de questions.

   Pour expliquer ma démarche, je ne peux m'empêcher de citer de mémoire ce qui a guidé mes actions de formateur et de chef d'entreprise. J'ai eu cette prise de conscience par la lecture, en 1971, de La grande mutation (vers une société nouvelle) de Peter F. Drucker : « Au rythme de l'évolution des besoins d'acquisition de connaissances, en l'an 2000, avec les méthodes actuelles, le matin la moitié de la population des États-Unis d'Amérique devrait former l'autre moitié et l'après-midi ce serait l'inverse. Pour nous réconforter, remarquons qu'avec la technologie de la fin du XIXe siècle toute la population des USA n'arriverait pas à acheminer les communications téléphoniques actuelles. Il faut donc qu'il se produise dans la formation une révolution de même ampleur que celle qui s'est produite dans la téléphonie ».

   Nous avons dépassé l'an 2000. Nos difficultés ne sont-elles pas en partie dues au fait que la révolution nécessaire ne s'est pas produite avec l'intensité suffisante ?

2.1. Que cherchons nous dans la formation initiale ?

   Sur les grands principes, nous sommes probablement tous d'accord pour dire que l'école doit, notamment :

  • préparer les jeunes à être bien dans leur peau et dans la société ;
  • les rendre autonomes pour évoluer et progresser tout au long de leur vie ;
  • les mettre en mesure de jouer un rôle social en apportant leur contribution, particulièrement en étant capables de s'intégrer dans le monde de la production des biens et des services en leur évitant d'être « débarqués » définitivement car ne justifiant plus leur coût.

   Comme responsable de recrutement et chef d'entreprise, je n'ai jamais réclamé de l'école des « produits finis ». La formation initiale est une première étape sur un chemin sans fin.

   Les questions qu'il faut se poser : à quoi et comment former aujourd'hui ? En quoi faut-il éviter de déformer ? Par exemple, j'ai constaté qu'il était plus simple d'intégrer des jeunes dans une équipe faisant un usage de la bureautique avant que l'école se mêle de bureautique. Je préfère qu'ils connaissent l'orthographe et l'usage d'un clavier, car en quelques jours il est facile de les amener au front du progrès dans l'utilisation de la bureautique. En revanche, s'ils arrivent en prétendant connaître la bureautique les difficultés d'intégration sont considérablement accrues. Si de plus, ils ne connaissent pas l'orthographe et rédigent avec deux doigts...

   L'école doit être ambitieuse en matière de nouvelles technologies, mais avec des ambitions mesurées et pertinentes. Comment les définir ? Sont-elles uniformes ?

2.2. Comment se former aujourd'hui, comment aider à se former ?

   En partant, notamment, des conclusions que j'ai tirées de la réflexion de Drucker, je peux indiquer les principes que j'ai adoptés pour me former et inciter mes collaboratrices et collaborateurs à le faire. Est-ce pertinent à l'école ? Probablement en partie.

  • Commencer par le plus rentable en temps gagné pour le réinvestir aussitôt, le plus rentable étant souvent le plus simple à mettre en oeuvre en améliorant des détails nombreux ;
  • éviter de prendre de mauvaises habitudes (les mauvaises habitudes sont des drogues dures auxquelles il est plus facile de ne pas goûter que de s'en libérer) ;
  • donner priorité aux compétences durables ;
  • élaguer le périssable inutile à court terme ;
  • apprendre à apprendre vite quand le besoin s'en fait sentir ;
  • savoir recourir à un formateur pour les apprentissages qui l'exigent.

   Peut-on imaginer des pistes de réflexion pour l'école ?

2.2.1. Commencer par le plus rentable en temps gagné

   Comment l'école peut-elle former les élèves à l'usage de l'informatique pour gagner du temps d'élève ? Que faut-il apprendre en premier pour bien exercer le métier d'élève dans toutes les disciplines ?

   Par exemple, je vois des élèves s'installer devant une machine :

  • Frappe du compte utilisateur,
  • Souris pour changer de champ,
  • Frappe du mot de passe,
  • Souris pour enfoncer le bouton OK.

   Il y a quelques jours, les jeunes hôtesses qui nous accueillaient à Autrans :

  • Votre nom ? Souris,
  • Votre prénom ? Souris,
  • Votre organisme ? Souris.

   Au guichet des banques et des administrations je me dis qu'en apprenant aux employés à utiliser les touches « tabulation » et « entrée » à la place de la souris le passage de 39 heures à 35 heures se serait fait avec des gains de production et de fatigue. C'est caricatural mais observez les employés quand vous êtes impatient dans une file d'attente. Chacun peut aussi examiner son propre comportement. Par exemple, ayant appris à utiliser le menu contextuel avec un ancien clavier, j'ai du mal à tirer parti de la touche ajoutée depuis une dizaine d'année, pourtant très confortable. Le plus scandaleux est que j'ai longtemps négligé de la signaler aux stagiaires qui me font confiance pour les guider dans leur formation !

2.2.2. Éviter de prendre de mauvaises habitudes

   Quelles sont les mauvaises habitudes généralement prises par les novices, notamment, les jeunes enfants ? Comment les éviter ? Faut-il alerter les parents qui pourraient être responsables avant l'entrée en maternelle de déformations irréparables en laissant leurs enfants écrire avec de mauvais gestes (avec crayon ou clavier) ? Comment se dégager de la pression du marketing des éditeurs de logiciels qui, par facilité commerciale, encouragent les mauvaises habitudes ?

2.2.3. Donner priorité aux compétences durables

   Quelles sont les compétences durables dans l'usage de l'informatique ?

   Dans toute action, n'y a-t-il pas un métier et l'outil pour l'exercer ? Le métier est assez stable alors que l'outil pour l'exercer se modifie souvent : il faut se former au métier, ce qui est toujours nécessaire et aide à employer n'importe quel outil approprié. Un formateur doit aider à distinguer ce qui est du métier permanent de ce qui est de l'outil temporaire. L'outil n'est qu'un intermédiaire de circonstance pour apprendre le métier puis pour l'exercer. Par exemple, ne faudrait-il pas éviter de former à Microsoft Word ou à OpenOffice.org Writer, mais former à l'écriture avec un ordinateur ? Passer sur un wiki ou une autre application en ligne ne devrait pas exiger un nouvel apprentissage significatif.

   Cette semaine j'étais dans un centre social à observer de nouveaux utilisateurs de l'informatique pour du photo-montage. Ils parlaient de la formation à GIMP. N'est-ce pas une erreur de terminologie ? En entendant les discussions, j'ai compris qu'ils s'étaient formés à la connaissance de la couleur et à plusieurs autres techniques génériques. Malheureusement ils ont dans la tête qu'ils sont formés à GIMP et seront craintifs à l'idée d'employer un autre logiciel pour réaliser les mêmes tâches.

   Dans chacune des tâches de l'élève et du futur citoyen, qu'est-ce qui est du métier, qu'est ce qui est de l'usage d'un outil spécifique à durée de vie courte ? Comment faire percevoir la différence aux élèves en formant à un métier à l'aide d'un seul outil ? Ne faut-il pas systématiquement former à l'aide de plusieurs outils concurrents pour faciliter la distinction ?

2.2.4. Élaguer le périssable inutile à court terme

   De l'information périssable est utile mais comment distinguer celle qui est inutile ? Comment apprendre à la négliger tout en étant capable de la retrouver si elle devenait utile ?

2.2.5. Apprendre à apprendre vite quand le besoin s'en fait sentir

   N'est-ce pas assez spontané chez l'enfant ? Comment l'informatique peut-elle aider ? Quels apprentissages sont nécessaires ?

   La connaissance peut s'acquérir de manière autonome en allant aux bonnes sources. Comment trouver les bonnes sources ? Un rôle essentiel du maître n'est-il pas dans ce conseil ?

   La méthode d'essais et échecs, chère aux jeunes, est à utiliser systématiquement, mais elle n'est pas sans risques, notamment, de passer à coté des solutions les plus efficaces. Elle doit être complétée par une confrontation avec les meilleurs professionnels. Une information préalable pertinente fait gagner du temps. Une mauvaise information conduit souvent à l'impasse. Un esprit critique est toujours nécessaire.

2.2.6. Savoir recourir à un formateur pour les apprentissages qui l'exigent

   Quels sont les apprentissages qui exigent le dialogue, voire le présentiel ? Comment donner priorité à ces apprentissages dans le temps de présence à l'école ? Pour pouvoir réserver le temps suffisant à ce travail en commun, comment se débarrasser de ce qui peut se faire sans ?

   En apprenant seul, avons-nous la certitude d'avoir bien assimilé et exploité ? Comment valider la compétence acquise ? On a besoin d'une validation sur le résultat de l'action mais aussi sur la manière d'obtenir le résultat. La première peut s'obtenir à distance ou en différé. La seconde n'exige-t-elle pas souvent la présence rapprochée d'un maître ? Cet accompagnement est gourmand en temps précieux, mais il est nécessaire. Ne doit-il pas se faire par le compagnonnage qui permet une aide essentielle mais très ponctuelle. Comment trouver des compagnons qui soient de bons tuteurs ?

3. Quelques observations et questions

   Il y a quelque temps, j'ai entendu Agnès Foray, du Centre Ressources Enfance Famille École Ain Rhône, dire que l'école exigeait que les écoliers connaissent leur métier d'élève avant d'arriver à l'école. Elle reprend un thème voisin dans « Les espaces publics numériques et l'école – Cahier de partage d'expériences n° 4 » qui vient d'être publié par CréATIF  [8]. Je serai tenté de reprendre son point de vue en ce qui concerne l'usage de l'informatique.

   Quelles sont les compétences qu'un élève doit avoir pour utiliser l'informatique dans son métier d'élève ?

   Je voudrais mettre au premier plan les techniques d'expression. Elles semblent occultées par celles d'information et de communication.

   Avant de servir à s'informer et à communiquer, historiquement l'ordinateur était utilisé, d'abord pour compter, calculer, puis pour s'exprimer, soit sous forme verbale, principalement par écrit avec le traitement de texte, soit sous forme graphique par le dessin, technique d'abord, puis d'illustration. Maintenant on peut y ajouter les expressions par la musique, la peinture, la vidéo, etc.

   Il me semble important d'insister sur l'usage de l'ordinateur pour s'exprimer sous divers modes ? N'est-ce pas la fonction d'expression qui demande le plus d'apprentissage, qui occupe le plus de temps devant un ordinateur ?

3.1. Qu'est-ce que l'ordinateur change dans les méthodes d'expression ?

   Les différences introduites pas l'ordinateur sont insignifiantes par rapport aux modes d'expression traditionnels, mais elles ont de grandes conséquences pour tirer parti ou non de la puissance de la machine.

   Par exemple, on peut dire que depuis l'invention de l'écriture, tout caractère écrit par un rédacteur était figé à jamais dans sa position et dans sa forme. On pouvait à la rigueur l'effacer ou le copier, mais rien d'autre. Avec l'ordinateur, les caractères ont pris « des roulettes » et si leur signification demeure, leurs propriétés de forme sont modifiables ce qui, notamment, entraîne le déplacement des caractères voisins, sans compter toutes les autres transformations utiles.

   Ce petit détail oblige à rédiger en pensant que le caractère doit glisser et qu'il doit pouvoir subir de nombreux traitements automatiques sans perturber le résultat affiché. Le changement à la rédaction est minime, s'apprend en quelques minutes et devient réflexe, mais les conséquences sur le confort, la qualité, la productivité, même sur la créativité, sont colossales.

   Alors, pourquoi y a-t-il autant de lignes mal coupées sur les sites web, dans les journaux, parfois même dans des ouvrages ? Pourquoi la plupart des utilisateurs bricolent-ils leurs documents après un aperçu avant impression, à la fin de la rédaction, alors que dès la rédaction achevée le document doit être impeccable à l'écran et sur l'imprimante ? Pourquoi, dans la formation au C2i©, dit-on qu'il faut autant de temps pour la mise en page que pour la rédaction  [9] ?

3.2. Quels seront les outils de demain ? Comment se préparer à les utiliser ?

   En matière de prothèses à base d'informatique, d'outils d'usage quotidien, il est difficile de se projeter à très long terme. Cependant, on peut se poser quelques questions :

  • Que va-t-on faire avec un ordinateur, notamment, dans le cadre scolaire ?

  • Comment va-t-on dialoguer avec l'ordinateur ? Est-il déjà raisonnable de considérer qu'on lui parlera, qu'il sera connecté directement à notre cerveau ?

  • Si c'est encore de la science fiction, quels sont les critères de confort pour pouvoir travailler avec cet outil au cours des prochaines années ? Si on considère que les dix doigts sont encore un mode d'expression privilégié, faut-il en profiter pour adopter une disposition des touches plus efficace ? Est-ce encore pertinent d'envisager cette révolution en profitant de la souplesse de paramétrage des ordinateurs ? Droitiers et gauchers doivent-ils utiliser le même clavier ? Pourrait-on utiliser des claviers avec touches vierges ?

  • Comme le font certains jeunes, peut-on se contenter de la souris ou d'un autre instrument ? L'écran tactile est-il une bonne solution ? Etc.

  • Quelles représentations faut-il avoir de l'outil pour s'en servir avec sécurité ? Comment schématiser les « fonctions de transfert » d'un ordinateur en considérant les logiciels comme une série de « boîtes noires » dont on maîtrise les transformations sans en connaître le fonctionnement ?

  • Ai-je beaucoup de choses à connaître ? N'y a-t-il pas des constantes, des normes ? Comment les découvrir et comment combiner à l'infini quelques connaissances et réflexes ?

  • Comment adapter ma pratique aux enjeux ? Comment utiliser l'ordinateur pour augmenter mon confort et mes performances lors d'un usage intensif ?

  • Quels réflexes et connaissances sont pérennes ? Quels sont ceux qui sont spécifiques à une machine ou à un logiciel ? Sur quoi dois-je faire porter les efforts ? Comment dégager le pérenne de l'occasionnel, du transitoire ? Qu'est-ce qui est du domaine de la particularité d'un outil et qu'est-ce qui est du « métier » ?

3.3. Quelques règles pour choisir sous forme de questions

  • Quand on enfonce un clou, on ne regarde pas sa main ou le marteau ! Quand on conduit une automobile, on ne regarde pas le volant, ni le fossé qui est en face de soi mais la route que l'on doit prendre ! Que doit-on regarder lorsque l'on utilise un ordinateur ? La réponse est-elle la même pour un rédacteur ou un secrétaire qui recopie un manuscrit ? Quelles conséquences dans l'apprentissage ?

  • Quels sont les critères de confort et d'ergonomie pour bien utiliser un ordinateur ? Comment se fait le dialogue homme-machine ? Quelles exigences avoir mais aussi quelles normes s'imposent ? Quels apprentissages pour l'utilisation des normes de dialogue ? Quel siège et quelle posture ?

  • Comment l'ordinateur s'adapte-t-il à l'usage ? Comment passer de la découverte à un usage épisodique puis à un usage intensif ? Quels mécanismes d'escalade sont prévus ? Comment apprendre à les utiliser constamment ? Il y a l'usage de l'ordinateur et le méta usage ! En utilisant, il faut réfléchir à ce que l'on fait et utiliser l'ordinateur et les autres ressources à sa disposition pour adapter l'apprentissage aux enjeux. Que faut-il connaître des règles de l'ergonomie et des mécanismes d'apprentissage offerts pour acquérir ce réflexe de prendre du recul par rapport à l'action et pour se remettre constamment en question ? Comment améliorer les robots assistants et tenir compte de leurs conseils ?

  • Quels sont les concepts qui fondent l'usage des divers outils disponibles sur un ordinateur ? Beaucoup sont antérieurs à l'ordinateur car l'ordinateur ne change pas fondamentalement le métier ou l'art, même quand il l'influence grandement comme on l'a illustré avec la coupure des lignes et des pages par un logiciel de traitement de texte.

  • Comment apprendre à apprendre avec un ordinateur ? Comme il n'est pas possible de tout savoir, de tout maîtriser, comment sélectionner ce qui est nécessaire, utile ? Comment apprendre rapidement à la demande pour éviter de s'encombrer d'inutile ? Ne faut-il pas des méta connaissances ? Quelles sont-elles ?

4. Quels souhaits pour mes petits enfants ?

   Je souhaite que mes petits enfants soient heureux ! Qu'ils ne soient pas dans un état d'insécurité insupportable mais qu'ils sentent en permanence un certain risque qui les motive à se former et s'entraîner pour avoir une certaine liberté d'implication dans la société et de choix de mode de vie.

   Comme depuis l'origine de la civilisation, cette liberté leur sera en partie donnée par la maîtrise des outils disponibles, dont celle de l'ordinateur. Comme la maîtrise d'un instrument de musique, d'un stylet, d'une gouge ou d'une arme, il faut conjuguer la tête et la main pour bien utiliser un ordinateur. La précision, la vitesse, la performance tiennent autant à l'aptitude à s'exprimer avec les doigts ou la voix et à lire qu'à la manipulation de concepts.

   Toutes ces aptitudes et connaissances sont indispensables. Par quoi commencer pour libérer du temps et le réinvestir ? Faut-il commencer par le calcul binaire ou l'usage de la touche tabulation ? Quelle stratégie pour rester constamment compétitif sans se mettre dans le « rouge », sans dépasser ses propres limites ? Comment faire des compromis qui satisfassent ses attentes profondes dans le contexte socio-technique du moment ?

   Un degré de liberté est donné par la compétence appréciée par la société. Cette compétence n'est « achetée » que si elle est accompagnée de la performance : il faut faire « vite et bien » ou « bien et vite ». L'ordinateur maîtrisé avec une grande dextérité est un outil essentiel pour atteindre ces objectifs dans bien des situations.

   Je souhaite que mes petits enfants sachent bien travailler vite avec un ordinateur, sans se fatiguer plus que nécessaire. Il faut donc qu'ils apprennent à dialoguer rapidement avec un ordinateur et à exploiter toutes ses fonctions automatiques pour alléger leurs tâches. Comment y contribuer ?

   Pour conclure je cite ce que j'ai retenu d'une intervention de Jean-Yves Beaudoin, qui fut chef de projet pour « Bromont ville branchée » au Québec, lors de la biennale Accès pour tous aux TIC, entre illusions et réalités, organisée à Grigny (69) en décembre 2007 :

« Pour introduire les nouvelles technologies il faut une vision partagée des objectifs à atteindre.
Une formation
suffisante et adéquate est indispensable.
Une évaluation permanente est nécessaire pour adapter le système au besoin. »

28 janvier 2008
Jean-Yves Royer
http://royerjy.perso.cegetel.net/

NOTES

[1] http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0712e.htm.

[2] Espace Public Numérique.

[3] Voir par exemple : http://www.delegation.internet.gouv.fr/chrgt/Test_PIM-07.odt ou
http://www.educnet.education.fr/chrgt/ProjetProxima.doc (ce document signé du nouveau directeur de la DUI). La page de garde de ce dernier document suffit pour comprendre que les producteurs n'ont pas idée de ce qu'est le traitement de texte. On rencontre pire, mais l'Éducation nationale ne devrait-elle pas ne publier que des documents à l'état de l'art ?

[4] http://fr.openoffice.org/Documentation/How-to/writer/ControleDocument.pdf.

[5] Logiciel issu du monde Unix, qui sépare bien le fond de la forme et qui a servi de référence à tous les logiciels modernes de traitement de texte. Il semble encore sans concurrence pour des ouvrages mathématiques complexes.
Voir par exemple : http://fr.wikipedia.org/wiki/LaTeX.

[6] Noter que je n'insiste pas sur l'information et la communication.

[7] http://royerjy.neuf.fr/pages/index.html.

[8] http://www.creatif-public.net/article828.html.

[9] http://w2.c2imes.org/MODULES/B4txt/_lfrFR/index.html :
Partie A Conception de documents, Préambule, Remarque : On peut estimer que le temps à réserver à la mise en forme d'un texte est équivalente voire supérieure à la durée de saisie du texte lui-même.

___________________
Association EPI
Février 2008

Retour