Heurs et malheurs de la recherche bibliographique sur Internet

Jean-Marie Nicolle
 

   Je rapporte une expérience d'enseignement de la recherche bibliographique sur Internet auprès de deux classes d'hypokhâgne du lycée Jeanne d'Arc (Rouen), dans des conditions horaires difficiles. L'objectif est d'aider les élèves à acquérir une autonomie dans leurs recherches documentaires.

Le cadre du cours : deux classes d'hypokhâgne, soit 80 élèves ; donc quatre groupes de 20 élèves ; une heure de cours hebdomadaire, le lundi à 17h 30, soit un cours par mois par groupe. L'heure de cours se répartit pour moitié en apport théorique, pour moitié en travaux pratiques.

L'objectif : initier les élèves à la recherche de documents sur Internet en vue de travaux autonomes.

Sept thèmes étudiés :
 1. La structure réticulaire d'Internet
 2. La structure d'une page Web
 3. Un moteur de recherche : Google
 4. Le site du SUDOC
 5. Le catalogue BN-Opale Plus de la BNF
 6. Les bibliothèques virtuelles
 7. L'évaluation critique de sites

Deux questions à se poser constamment :
 1. Comment chercher ?
 2. Comment exploiter ce qui a été trouvé ?

J'expose cinq exemples (parmi des dizaines soumis aux élèves).

1° – Une recherche sur les extensions sur Google, grâce à ces trois requêtes : homme, "homme chauve", "homme chauve manchot".





   On constate que plus la requête est précise, moins il y a de réponses.

2° – Une recherche avancée sur Google qui permet de prendre en compte ses incertitudes : vous cherchez un poème de Baudelaire se trouvant dans Les Fleurs du mal où il est question de bêtise ou de front – vous ne savez plus –, mais pas d'ânes. Rédigez votre requête dans la recherche avancée.





3° – Une recherche sur SUDOC : vous cherchez des études sur la tolérance dans l'histoire de l'Espagne, notamment à propos de la tolérance entre l'islam et le christianisme : MTI : Espagne, MSU : tolérance ET histoire. Observez le résultat de cette requête pour en tirer une leçon de méthode.



   Un seul résultat s'affiche, n'ayant apparemment aucun rapport avec la requête. Aucun élève n'a pu dire quel était le lien entre tolérance et prostitution ! La notice du livre ne donne aucune indication. On constate la nécessité d'avoir une culture personnelle pour pouvoir interpréter un résultat.

4° – Une recherche sur le site BN-Opale Plus : Qui a traduit en français l'ouvrage de Manguel sur l'histoire de la lecture ?





   Il faut, bien sûr, procéder en plusieurs étapes pour y parvenir : d'abord, bien choisir le critère du filtre de saisie (auteur et sujet, plutôt que le titre si l'on n'en est pas sûr), puis sélectionner une notice en français, et enfin, lire la notice pour trouver le renseignement cherché.

5° – Une recherche d'occurrences.

   Allez sur ABU (abu.cnam.fr/BIB/auteurs/) ; cherchez la Lettre sur le commerce des livres de Denis Diderot. Faites une recherche d'occurrences sur le mot « censure ».

   Allez dans Les classiques des sciences sociales (classiques.uqa.ca/index.html). Allez sur la rubrique « Auteurs classiques » pour télécharger encore la Lettre sur le commerce des livres de Denis Diderot, en format .pdf. Faites la même recherche avec Adobe Reader. Pourquoi les chiffres sont-ils différents entre ABU et Les Classiques des Sciences Sociales ?

sur ABU :

sur Les Classiques des Sciences Sociales :



   La recherche sur le site ABU donne « aucun résultat » ; la recherche sur Les classiques des sciences sociales donne deux occurrences ; elles se trouvent dans des notes qui ne sont pas de Diderot, mais de l'éditeur. Diderot n'emploie pas le mot « censure » dans cette oeuvre. Il faut prendre garde au texte sur lequel se fait la recherche ; il faut distinguer dans les bibliothèques virtuelles le texte nu de l'oeuvre et l'apparat critique (introduction, notes, etc.).

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   On voit par là que si Internet favorise un certain accès à la culture, c'est aussi la culture qui permet d'accéder à Internet et de tirer profit des réponses proposées.

   Cette expérience a cependant tourné cours au mois de février, à la demande des élèves : l'horaire était dissuasif et les enseignements obligatoires leur paraissaient prioritaires. Je leur ai toutefois demandé leur avis par écrit.

Enquête auprès des élèves

   Ce cours leur a paru plus utile qu'inutile. Son niveau a paru pour beaucoup facile, voire trop facile, et adapté pour quelques-uns. Le reproche principal (64 réponses sur 74) est son horaire dissuasif. On propose de le concevoir avec des groupes de niveau et de le rendre facultatif. On voudrait élargir son contenu à la pratique de Word, et rapprocher son contenu des autres cours (il faudrait, en effet, partir des prescriptions données par les collègues dans les différentes disciplines, et non pas imaginer des recherches hors contexte). Les recherches pratiquées serviront plus tard. Cet enseignement leur paraît donc utile mais trop précoce ; ils ne se voient pas aller travailler à la BnF. Ils verraient cet enseignement plutôt en année de licence.

   J'ai pu voir que, malgré des différences de rapidité, ils étaient tous à l'aise avec la machine : à leur niveau, l'apprentissage technique est fait. Mais l'obstacle principal me paraît être de transformer l'ordinateur et Internet d'un instrument de loisir et de communication en un instrument de culture, de transmettre l'usage universitaire d'Internet.

Rouen, mai 2008

Jean-Marie Nicolle
Professeur agrégé de philosophie,
lycée Jeanne d'Arc, Rouen.

Le présent texte correspond à l'intervention de M. Nicolle à la session 4 « Les TICE : un outil efficace pour l'enseignement des disciplines littéraires » du colloque international ePrep 2008.
http://www.eprep.org/colloques/colloque08/colloque08.php.

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Association EPI
Septembre 2008

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