Constat d'expérience :
la bureautique s'apprend-elle ?

Jérémy Monnet
 

Le témoignage qui suit a été suscité par une rencontre, à l'occasion des Journées Du Logiciel Libre (JDLL), entre Jean-Pierre Archambault, l'auteur du témoignage et moi-même.
C'est un témoignage d'une démarche qui n'est pas encore aboutie totalement mais dont les résultats sont déjà très probants.

J'en tire comme conclusions :
- Il ne suffit pas d'être expert en informatique pour savoir s'exprimer confortablement et efficacement avec un ordinateur ;
- Suivre les recommandations formulées depuis trente ans par les chercheurs et les concepteurs des merveilleux logiciels que nous employons n'exige pas de temps et est un investissement d'une « rentabilité fabuleuse » ;
- Il est grand temps de sortir de leur ignorance et que ces recommandations soient présentées aux futurs enseignants et à tous les élèves pour éviter : la fatigue, les pertes de temps, la mauvaise qualité et le stress qui en résulte.

Jean-Yves Royer

Il était une fois un étudiant

   Qui a étudié

   Qui a eu des exposés à préparer. Qui a eu des dissertations à écrire. Qui en a rédigé certaines au stylo, qui a utilisé un ordinateur pour les autres. Qui y a passé de longues heures.

   Qui a bidouillé

   Qui a appris l'informatique pour s'installer des jeux, sur le premier ordinateur qu'il s'est offert avec les salaires des ses travaux saisonniers : pendant les vacances scolaires, puis pendant ses études. Qui a appris à utiliser des systèmes obscurs de formatage de texte, qui lui donnaient l'impression de pouvoir, enfin, structurer ses documents.

   Qui, pour l'anecdote, pourrait raconter la fois où il vantait auprès d'une amie les mérites de ce fameux formateur de texte, notamment pour réaliser des tables des matières impeccables. Qui a ri au nez de son amie (heureusement qu'elle le connaissait déjà suffisamment bien pour ne pas lui en tenir rigueur !) lorsqu'elle lui a dit qu'on pouvait faire aussi bien avec un traitement de texte. Après tout, cet étudiant était bien meilleur qu'elle en informatique, que pouvait-elle savoir de plus que lui ?

   Qui pestait contre la bureautique

   Qui suait sang et eaux pour rendre un rapport joli. Qui passait des heures à surligner ses titres, les mettre en gras, en taille de police 12 points, quand il ne fallait pas repasser tout le rapport en revue pour corriger l'italique des citations.

Qui devint salarié

   Qui n'étudiait plus

   Qui devint un professionnel de l'informatique. Qui passait une bonne partie de son temps à remplir des tableaux pour réserver des ressources. Qui écrivait des rapports. Qui préparait des présentations pour ses supérieurs.

   Mais qui bidouillait toujours autant

   Et qui pestait toujours autant contre ces logiciels qui n'étaient jamais fichus d'aligner son texte correctement, dont la table des matières automatique – quelqu'un d'autre l'avait insérée dans le document, rassurez-vous, il remplissait sa table des matières comme les hommes, manuellement.

   Et même plus !

   Qui apprit d'ailleurs au contact de ses supérieurs ; il devint ainsi « Grand Bidouilleur Expérimenté ». Tous les jours il apprenait une petite astuce de plus. Comment utiliser le pinceau pour recopier une mise en forme, comment copier/coller un caractère caché qu'il n'arrivait pas à reproduire autrement.

   Et qui a finalement compris

   Et qui a commencé finalement à avoir très peur le jour où il a dû écrire une documentation d'une centaine de pages, sans modèle, et sur plate-forme sur laquelle son formateur de texte favori n'était pas disponible, en tout cas pas facilement. Ce jour-là fût une révélation pour cette personne. Ce jour-là, elle a appris qu'un traitement de texte pouvait servir à structurer un document. Qu'un traitement de texte pouvait générer une table des matières de qualité, et automatiquement.

Quelle libération !

   À tous ceux qui se sont reconnus dans cette histoire, ou au moins dans la première partie, je tiens à dire que la bureautique n'est pas une fatalité. C'est même tout le contraire, dès lors qu'on a appris les quelques règles de base (notamment à utiliser les styles). Je fais le deuil depuis quelques mois des longues heures passées à vérifier la « tête » de mes documents.

   Là où je passais 50 % de mon temps à formater mon document, je n'en passe plus que 10 %  [1]. Vous rendez-vous compte ? Peut-être pas, je vais donner des chiffres explicites. Avant, sur une période deux heures de rédaction, j'en consacrais une au formatage. Il faut dire que ça prenait du temps, de monter et descendre dans le document pour vérifier la cohérence du plan. Aujourd'hui, sur la même période, je consacre 1 h 50 au fond du document, et une dizaine de minutes seulement à la forme. Si je travaille un document pendant dix heures, je consacrerai moins de 30 minutes à la forme du document.

   Et ceci, pour un rendu vraiment meilleur. Avec des notes de bas de page. Avec une table des matières qui contient des liens vers les paragraphes visés.

Mais un tel résultat doit demander de longues heures d'apprentissage !

   Que nenni ! Un ami m'a expliqué les bases de la bureautiques en une heure. Gageons que j'étais déjà sensible à cette problématique et que je suis de toute façon un expert en informatique. Alors, je prends les paris, il ne vous faudra pas plus d'une demi-journée pour apprendre à être productif en bureautique.

Conclusion

   Je faisais partie de ces gens qui prêchent l'investissement – c'est-à-dire le temps que vous perdez maintenant à apprendre, vous le gagnerez dix fois dans l'année qui suit. Je faisais partie de ces gens qui n'appliquent pas leurs règles à eux-mêmes. Je pleure aujourd'hui le temps perdu. L'apprentissage de ce que je connais aujourd'hui en bureautique m'a coûté le temps que j'aurais passé à formater ma documentation de cent pages. D'ailleurs, à titre d'exemple, la première version de ce document a été rédigée en 1 h dans le TGV Paris-Lyon. Je n'y ai pas consacré plus de temps, parce que j'ai aussi des jeux vidéos sur mon ordinateur portable ;-)

Jérémy Monnet

Jérémy Monnet est ingénieur système. Il est impliqué dans la promotion des logiciels libres. Membre du conseil d'administration de l'April, il promeut notamment l'usage des outils et standards bureautiques libres, tels que la suite OpenOffice.org et la norme ODF, avec lesquelles il a rédigé cet article.

NOTE

[1] Cette valeur est encore très importante et dénote une rédaction sans modèle. Un rédacteur qui rédige avec un modèle adapté à son travail ne doit passer aucun temps pour la mise en forme d'un document courant. Pour des documents exceptionnels ou devant faire l'objet d'une publication à fort tirage, des mises au point peuvent s'avérer nécessaires, mais elles sont du ressort de « l'éditeur » et non du rédacteur. (Jean-Yves Royer)

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Association EPI
Novembre 2008

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