Conférence / table ronde organisée par l'EPI
dans le cadre du Salon Educatice

le 20 novembre 2009

« Un enseignement de l'informatique au lycée »
 

   La révolution des TIC confronte notre société au défi de donner à tous une culture générale informatique. Le rapport « Stratégie nationale de recherche et d'innovation » préconise pour le lycée « une discipline scolaire informatique en tant que telle ». La commission « Économie numérique » recommande « d'élever l'enseignement du numérique au rang d'une discipline scientifique à part entière ». Pourquoi une discipline informatique au lycée est-elle nécessaire ? 

   Deux universitaires et un inspecteur étaient à la tribune avec le président de l'EPI pour justifier et confirmer cette évolution :
Gérard Berry, Professeur au Collège de France, membre de l'Académie des Sciences,
Gilles Dowek, Professeur d'informatique à l'École Polytechnique,
Pierre Michalak, IA-IPR de l'Académie de Versailles,
Jean-Pierre Archambault, Président de l'EPI, animait la table ronde.

   Vous trouverez ci-dessous un panorama synthétique des propos des intervenants, ainsi que quelques photographies.

Les principaux thèmes abordés

Les besoins du pays

   L'informatique représente 30 % de la R&D au plan mondial, et le plus grand gisement d'emplois. Il est temps pour notre pays de s'y mettre résolument. C'est une nécessité économique mais aussi scientifique. Il semble que les politiques en aient pris conscience mais leur réflexion englobe-t-elle les enseignements secondaires ?

La pensée informatique

   L'informatique permet de « penser autrement ». Cf. l'exemple de la biologie, qui a toujours vu dans les molécules des composés organiques et qui doit maintenant les penser aussi comme des éléments d'un système d'information.

   Il est urgent de faire baisser le niveau d'ignorance dans le vaste domaine des TIC. Le monde est devenu numérique. Nous sommes environnés d'outils électroniques souvent perçus comme des objets magiques alors que notre avenir dépend en grande partie de notre inventivité, de notre capacité à produire les outils nomades et quotidiens de demain. Ne dit-on pas que d'ici à cinq ans, aux ordinateurs que nous connaissons aujourd'hui, même les portables qui ont déjà supplanté les tours, succéderont des téléphones modulaires dont les écrans seront les parois de la maison, de la classe ou du bureau !

   C'est au point qu'on peut d'ores et déjà se demander si l'enseignement de l'informatique doit être réservé aux sections scientifiques et s'il ne faut pas l'étendre rapidement aux lettres et aux arts où peu de créations se font sans le recours à l'ordinateur, du livre électronique à la recherche documentaire en passant par les musiques et la vidéographie.

Une vraie rupture mais insuffisante

   Nous pouvons nous féliciter de la création d'un enseignement de spécialité (mais seulement optionnel...) « informatique et science du numérique » en classe de terminale S.

   On peut s'étonner qu'il ait fallu attendre si longtemps, alors qu'il ne serait venu à l'idée de personne de ne pas créer un enseignement de la thermodynamique, au prétexte qu'on n'en avait pas besoin pour apprendre à conduire une voiture.

   Un enseignement de l'informatique en tant que tel est indispensable pour répondre aux enjeux de la société du numérique, enseignement dispensé par des professeurs spécifiques correctement formés. (voir ci-dessous)

   La plupart des universités et des grandes écoles ont désormais des départements informatiques et assurent des enseignements ; il est étonnant, voire ridicule, qu'aucune base ne soit assurée au lycée. Certes, on aborde certains usages dans le cadre scolaire et on initie à des techniques, mais il faut aller au coeur du fonctionnement : la théorie de l'information, l'algorithme, la programmation, les machines et les réseaux...

   Les disciplines peuvent participer chacune pour ce qui la concerne (par exemple algorithmique en maths) à un enseignement de l'informatique, mais le danger est que l'on se contente de ça. En régime permanent, une discipline informatique s'impose dans le contexte actuel.

Théorie et pratique. Liens avec les autres disciplines.

   Tout le monde est d'accord pour dire qu'au moment où les sciences se décompartimentent de façon massive, il ne s'agit pas de dissocier la science informatique de ses applications, ce qui vaut d'ailleurs pour toutes les sciences. Cela a des implications dans les démarches pédagogiques adoptées. Cela étant, pour mettre efficacement en relation des disciplines, il faut aussi isoler dans la réalité complexe du monde et montrer aux élèves l'approche « simplifiée et spécifique » de chacune d'elles. On commence les mathématiques en comptant avec des bâtons.

   L'informatique a un caractère interdisciplinaire en tant que science en contact avec toutes les autres. Elle a un rôle structurant dans la qualification des autres disciplines (mathématiques, philosophie, français...).

Expérimentation

   Expérimentation d'une formation en informatique dans 10 lycées de l'académie de Versailles suite à la possibilité offerte par l'article 34 de la loi d'orientation de l'Éducation nationale permettant de mettre en oeuvre des mesures dérogatoires dans les établissements ( voir en annexe).

Des lacunes partout

   Des professeurs d'universités et de grandes écoles (Polytechnique...) font état aujourd'hui d'une formation très disparate de leurs élèves (qui ont parfois un niveau très faible en informatique) qui nuit à l'avancement de leur formation dans le champ de connaissance qu'ils choisissent (génie électrique, génie mécanique...).

   Le grand public n'a que très peu de connaissances concernant ce qu'est l'informatique et tend à faire peu de différence entre les usages et l'apprentissage des notions d'informatique. On peut pourtant observer une grande avidité des lycéens pour ces notions d'informatique (langage de programmation, algorithmes, réseaux, systèmes d'information, bases de données...) qui leur sont quasiment inconnues (15 élèves sur 100 seulement disent savoir ce qu'est l'informatique, alors que tous l'utilisent quotidiennement (MP3...)

Mais l'informatique ne doit pas être réservée aux séries scientifiques

   L'enseignement de l'informatique dans le secondaire ne doit pas concerner que les séries scientifiques. Dans les domaines littéraires et artistiques les apports de l'informatique sont considérables. Quelles que soient les séries et les applications, les fondamentaux informatiques restent les mêmes.

   L'informatique accomplit des miracles dans le monde des Lettres et des Arts. Elle concerne une part entière de la production artistique (art, musique, graphisme...), les industries de la langue (synthèse de reconnaissance vocale) et représente un côté magique pour le grand public. Elle ne doit donc pas restée confinée à l'enseignement dans les séries scientifiques du lycée.

   L'informatique permet d'éclairer des disciplines comme les Lettres d'un autre regard (moteurs de recherche, analyses lexicales...). La philosophie s'en trouve également renouvelée, la linguistique (Chomsky), la musique (Midi), les arts (traitement du signal...)

   Une formation adaptée est nécessaire dès l'école primaire. Il est nécessaire de faire un peu d'informatique tous les jours depuis la maternelle afin que les idées puissent mûrir et se décanter.

À propos de la formation des enseignants

   La création d'un enseignement « informatique et sciences du numérique » (pour l'instant seulement en Terminale S) va obliger à une formation de qualité.

   On dispose actuellement d'un grand nombre d'enseignants universitaires et de chercheurs en informatique qui peuvent assurer la formation des enseignants du secondaire. Ce n'était pas forcément le cas il y a quelques années. Il est possible de mettre en place un Capes et une Agrégation d'informatique car on ne formera pas des enseignants compétents en quelques demi- journées. Une « certification complémentaire » transitoire a été évoquée, en attendant les premiers capesiens et agrégés.

   Il faut exploiter les possibilités qu'offre internet (cours, ressources en ligne ). Il convient d'avoir de l'imagination...

   Il faut que les chercheurs en informatique s'impliquent dans l'enseignement, L'INRIA propose sur son site Interstice des contenus et des expérimentations (cf. le site « Interstices »).

Le problème récurrent de la maintenance

   Les problèmes de maintenance compromettent le déploiement de l'informatique dans le système éducatif. Les solutions apportées diffèrent selon les académies et les collectivités territoriales . Souhaitons que les solutions soient trouvées avant que l'ordinateur tel que nous le connaissons disparaisse du paysage ! G. Berry nous invite à observer ce qui se passe dans les pays asiatiques et ce que cogitent Apple et Google, par exemple)...

Le site de l'EPI comprend depuis longtemps une rubrique « Informatique et TIC » qui comporte notamment des documents concernant l'enseignement de l'informatique et la formation des enseignants. L'EPI compte l'enrichir sans tarder dans la période qui vient.
 


Annexe

 
Enseignement de l'informatique au lycée
Quelques initiatives de l'académie de Versailles

Pierre Michalak,
Inspecteur pédagogique régional en mathématiques
 

Le contexte

1. L'académie de Versailles a conclu en 2004 une convention de partenariat avec le centre de recherche INRIA Paris-Rocquencourt. Ce partenariat a été étendu en 2007 au centre de recherche Saclay Île-de-France. Au bilan de ces partenariats figure en bonne place la diffusion à tous les enseignants de mathématiques des lycées du logiciel Scilab et du livret Scilab pour les lycées.

2. Au début de l'année 2009, Monsieur le Recteur a invité les établissements à utiliser la marge d'autonomie que leur offre la loi d'orientation d'avril 2005, les faisant accompagner par la Mission académique d'appui aux expérimentations. Il a également invité les IPR à proposer des champs d'investigation ou d'expérimentation.

Les réalisations

1. Les IPR de mathématiques et de Sciences et techniques industrielles ont proposé à 13 établissements de substituer à l'enseignement de détermination ISI, à titre expérimental et pour une partie de l'effectif, un enseignement ION (Informatique et objets numériques). Le fil pédagogique y reste celui d'une pédagogie de projet : chaque cycle propose l'étude d'un « objet numérique » (GPS, photographie, robots, enregistreurs de sons, lecteurs optiques, etc.) et débouche sur des réalisations d'élèves. L'horaire est celui de l'enseignement ISI (3 heures hebdomadaires par groupe), auquel un enseignant de mathématiques participe une heure (avec quelques variantes). L'aide de l'INRIA a été fondamentale, puisque la formation initiale des équipes d'enseignants y a été assurée par des intervenants de haute tenue. Elle se poursuit, puisqu'il est prévu que les lycées engagés puissent faire appel à un chercheur, et elle se poursuivra notamment par des journées organisées sur le site de Rocquencourt autour des véhicules automatisés.
295 élèves suivent cet enseignement. Ils ont dès le début été amenés à programmer (des transformations d'images, des algorithmes de cheminement dans des graphes, etc.) Il n'y a pas de programme figé. En particulier, on ne se limite pas en mathématiques au programme de seconde et la partie « algorithmique » traitée peut sortir des boucles.

2. D'autres initiatives :

  • la formation des enseignants à l'utilisation de Scilab est inscrite au Programme académique de formation. 8 sessions de prise en main sont prévues en 2009-2010, et de nombreux stages d'établissements prévoient au moins une séance ;

  • à l'initiative de l'École doctorale d'informatique d'Orsay, quelques lycées de l'académie vont organiser des cycles de cinq séances d'informatique, assurées, avec le concours des professeurs des établissements, par des doctorants en informatique. Cela se mettra en place au second trimestre ;

  • une réflexion est engagée et des contacts sont pris en vue de la mise en place en 2010-2011 un enseignement expérimental autour du traitement automatisé de la langue, qui serait en quelque sorte le pendant littéraire de ION ;

  • le programme académique de formation pour 2010-2011 proposera une formation universitaire à l'informatique ;

  • enfin, le site académique de mathématiques, euler.ac-versailles.fr, a ajouté à ses 3 200 ressources les premières ressources en algorithmique et compte mettre en ligne avant l'année scolaire prochaine des éléments d'un cours d'informatique accompagné d'exercices. Des partenariats nouveaux se mettent en place à cette fin.

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Association EPI
Décembre 2009

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