TICE et création littéraire :
Une expérience d'écriture interactive en classe de langue

Odile Pouchol
 

   Le développement de la compétence écrite est un des défis que doit relever l'enseignant de langue en lycée. Il s'agit de conduire les apprenants à rédiger différents genres de textes d'une longueur déterminée et qui fassent preuve de richesse lexicale et d'une syntaxe suffisamment élaborée pour répondre aux spécificités des classes d'enseignement général et aux exigences du baccalauréat. Cet exercice présente souvent un caractère fastidieux et parfois dénué de sens pour les apprenants. Comment parvenir à stimuler l'écriture créative en langue étrangère ? Les TICE peuvent-ils avoir une place privilégiée dans la réalisation de tâches écrites complexes ?

   Des expériences d'ateliers d'écriture individuelle ont déjà été réalisées avec succès en lycée – poèmes, nouvelles bilingues, pièces de théâtre – avec l'utilisation du traitement de texte et d'un dictionnaire en ligne, comme le montrent les « Mots Migrateurs »  [1] ou bien des romans virtuels sur internet dans le cadre e-learning  [2]. Une approche pédagogique similaire consiste à commencer par l'étude de courtes nouvelles en langue étrangère pour conduire l'apprenant vers la production d'une écriture personnelle illustrant ce genre littéraire. Dans ce contexte l'outil informatique peut être utilisé à la fois comme procédé d'élaboration contrôlée de l'écrit en langue cible et comme vecteur de réalisation d'une production écrite de qualité. Cette production peut faire preuve d'une inventivité supplémentaire si elle se sert des fonctionnalités multimédias qui permettent la création d'un e-book. La réalisation finale témoignera ainsi non seulement des compétences langagières de l'apprenant mais aussi de sa créativité personnelle par la présentation d'un produit multimédia original qui pourra être visible et consultable par tous.

   L'aspect innovant et déclencheur de motivation de ces ateliers d'écriture est la dimension interactive que l'enseignant peut leur donner : proposer des activités collaboratives contribue à soutenir l'intérêt des apprenants dans les différentes tâches qu'implique la création de nouvelles et d'enrichir la production demandée. Celle-ci pourra ainsi se présenter sous forme « d'écriture à quatre mains », c'est-à-dire d'une nouvelle ayant deux auteurs qui rédigeront des paragraphes se succédant selon une logique narrative.

   Ces activités s'inscrivent dans une approche actionnelle  [3]. Il est en effet clair qu'ici « l'apprentissage se fait à travers l'accomplissement de la tâche, c'est-à-dire qu'à travers la tâche entreprise, l'apprenant va développer des stratégies » (Bourguignon 2008). Cette démarche d'écriture collaborative vise à développer l'élaboration raisonnée d'énoncés en langue cible. Elle va inclure la recherche et l'utilisation d'un champ sémantique adapté au récit et sera facilitée par l'utilisation de compétences technologiques nécessaires à l'accomplissement de la tâche demandée. Celle ci sera évaluée tout au long de sa réalisation. L'objectif final est la réalisation et la publication sur le web d'un recueil de nouvelles enrichies par l'apport de plusieurs voix narratives. Cette activité peut aussi être réalisée avec grand profit en tirant parti de la collaboration d'une classe d'un lycée partenaire européen et/ou dans le cadre d'un etwinning  [4]. Cette plate-forme électronique conçue pour faciliter les activités de partenariats européens en collège et lycée permet en effet la transmission de dossiers divers et l'accès rapide aux données stockées par chaque classe ainsi que leur modification éventuelle par chaque partie du tandem constitué.

Quelle procédure utiliser ?

   Ce type d'activité requiert de l'enseignant une bonne organisation préalable, l'explication claire des consignes et la maîtrise des outils multimédias qu'il proposera à sa classe. Pour les apprenants, une fois l'objectif final perçu dans une perspective collaborative, ce sera la compréhension des procédures, des micro-tâches à accomplir et de leur enchaînement, la répartition des rôles et le respect des échéances ainsi que la maîtrise des outils multimédia.

1 Les conditions matérielles requises pour cette activité sont une salle multimédia permettant l'accès à un ordinateur par élève, l'utilisation du traitement de texte, d'un logiciel de retouche d'images tel que Photoshop ou Paint, du logiciel de création Didapages  [5] et éventuellement du magnétophone de Windows ou du logiciel Audacity. Il conviendra d'enregistrer les pages des élèves dans un dossier Creative Writing facilement accessible sur le réseau de l'établissement.

2 Durée de l'activité multimédia : Elle peut se dérouler sur un mois et demi à 2 mois, à raison d'une heure de groupe par quinzaine ou par semaine selon les horaires qui pourront lui être consacrés. Un nombre de 12-14 élèves permet à l'enseignant d'être à la disposition de chacun. Si la possibilité existe de mettre en oeuvre cette activité dans le cadre d'un échange linguistique annuel cela lui conférera une authenticité particulière et facilitera la recherche des sujets d'inspiration.

3 Les activités préalables : Sur une durée d'un mois l'enseignant bâtit une séquence d'entraînement à la lecture de quelques nouvelles de longueur réduite de type micro-fiction  [6] avec la classe entière. Il fait dégager la spécificité de la nouvelle comme genre littéraire. Il peut suivre une démarche classique partant de l'étude des réseaux sémantiques selon le thème de la nouvelle, sa construction, l'idée centrale, la construction temporelle spécifique et l'importance de la chute finale. Pourra s'ensuivre une réflexion sur les nouvelles étudiées, leur originalité, leur intérêt, la façon dont le sujet est traité et les autres fins envisageables.

4 Passage à l'activité « d'écriture créative » : L'enseignant explicite les différents aspects et étapes du déroulement du projet :

  • Communication et explication de la tâche d'écriture interactive : chaque apprenant sera le coauteur d'une nouvelle qui sera publiée sur un site web.

  • Mode de réalisation et échéances : une heure par semaine ou par quinzaine d'atelier d'écriture sur traitement de texte en salle multimédia. Donner aux élèves la date de la fin des ateliers et la prévision de la mise sur le web du recueil de nouvelles.

  • Constitution de tandems d'élèves par affinités : l'élève A et l'élève B commenceront à rédiger chacun une nouvelle à partir de consignes précises (voir ci-dessous). Ils échangeront leurs récits lors de la séance suivante, l'élève A ajoutant deux ou trois paragraphes à la nouvelle de l'élève B et vice versa. Si l'écriture interactive se fait avec une classe partenaire il faudra prévoir l'échange régulier des différents jets d'écriture ou bien entrer les récits sur pages web dans la plate-forme électronique du projet etwinning prévu à cette intention pour que les coauteurs puissent y ajouter leur partie narrative.

  • Prise de connaissance des consignes : commencer l'écriture avec l'aide d'amorces telles qu'une image ou une photo prise pendant un échange linguistique, un titre choisi dans une liste donné. Faire le choix du style narratif – lettre, récit, etc. Choisir un First person narrative ou Third personne narrative ; utiliser le discours direct ou /et discours indirect, les temps du récit, des phrases complexes avec connecteurs, déterminer le champ sémantique.

  • -La prise en main des logiciels à utiliser se fait en salle multimédia. Celle de Didapages pouvant nécessiter du temps, chaque tandem pourra saisir sa nouvelle dans le logiciel dès que la version finale sur traitement de texte aura reçu l'aval de « publication ».

   Le schéma ci-dessous résume les étapes principales de cette activité :


Thinkgraph

   La première étape est donc celle de la prise de connaissance de l'objectif final, de la description des différentes tâches à réaliser, la compréhension des consignes, la constitution des tandems et de la prise en main des outils multimédia. Chaque élève crée un fichier pour enregistrer sa nouvelle au traitement de texte dans un dossier Creative writing sur le réseau de l'établissement. Il procède ensuite au choix de l'amorce de la nouvelle (titre ou photo) et commence à rédiger un premier paragraphe de 15 lignes environ directement en langue cible. Dans les séances suivantes les élèves poursuivront la rédaction de leur récit, puis ils passeront à l'écriture alternée en tandem en variant la longueur des paragraphes selon le type de récit. L'utilisation d'un dictionnaire en ligne peut être autorisée mais il est préférable de déconseiller la traduction automatique.

   Entre deux séances l'enseignant relit les textes sauvegardés dans les fichiers /ou pages web. Il indique, en les soulignant, les erreurs de syntaxe, d'orthographe, ou d'approximation lexicale. La séance suivante commence avec la correction des erreurs repérées par l'enseignant et les modifications à apporter. Puis l'élève B prend la suite de la rédaction du texte de l'élève A avec la consigne de donner une suite personnelle mais obéissant à certains critères : même nombre de mots, garder une certaine logique narrative, le registre de langue et les personnages. L'élève A procède de la même façon avec le texte commencé par l'élève B avec demande possible d'éclaircissement par rapport au texte original.

   L'illustration personnelle des nouvelles et la création de fichiers son à intégrer dans la nouvelle sont réalisables avec le logiciel Didapages. Cette fonctionnalité supplémentaire est très appréciée des élèves. Cela donne en effet la possibilité de faire preuve de compétences orales et permet le développement non redondant de la nouvelle, lui conférant ainsi sa pleine dimension multimédia.

   Le résultat de ce type d'atelier d'écriture interactive réalisé avec une classe partenaire dans le cadre d'un projet européen peut être vu sur le web comme e-book  [7].

Le rôle de l'enseignant

   L'appui actif de l'enseignant est indispensable : en retrait mais toujours présent, celui-ci a la possibilité d'avoir du recul par rapport à l'écrit réalisé, il peut critiquer sans porter de jugement négatif. Il est toujours sollicité mais ne prend pas part à la création. L'aide donnée à l'apprenant est constante : rappel des consignes, aide lexicale, vérification de la syntaxe, aide technique et de mise en forme. L'enseignant peut ainsi être au coeur du processus d'apprentissage et se rendre compte des stratégies mises en oeuvre par chacun. Tout au long de l'opération il va donc conseiller, suggérer des pistes, attirer l'attention sur des erreurs de syntaxe, dispenser des encouragements. Au niveau logistique, et si cela lui est possible, il vérifie la bonne utilisation des logiciels utilisés, tient le compte des productions et les sauvegardes. Il maintient les échéances, valide la publication et procède à une évaluation finale.

   Lorsque les consignes et l'objectif final sont clairs, et si des problèmes techniques ne viennent pas ralentir le processus, cette activité multimédia peut se révéler très motivante et porteuse d'une réussite langagière pouvant déboucher sur un intérêt accru pour la langue cible. L'expérience menée par Raby et Penilla (2003) avec la création d'un journal en ligne en tant qu'activité multimédia collaborative en cours de langue a mis en évidence le rôle des TICE pour la motivation interne et externe de l'apprenant en situation de création  [8].

Observations

   L'activité de rédaction « à quatre mains » a été proposée à des classes de premières et terminales littéraires. Durant la première séance d'écriture aucun élève ne s'est révélé inactif ou dénué d'imagination : Une élève a commencé par décrire son appréhension devant la page blanche et cela s'est transformé en une nouvelle originale témoignant de « l'angoisse de l'écrivain ». Le rythme d'écriture a varié selon chaque élève mais n'a jamais occasionné de retard important dans les tandems. Une partie des élèves faisant cette activité a échangé les textes avec des élèves d'un autre lycée européen en utilisant la langue anglaise dans le cadre d'un projet Comenius (voir e-book mentionné plus haut).

   Cette activité d'écriture a permis le développement de plusieurs savoir-faire : langagiers, avec l'élaboration de l'art du récit (rédaction d'un genre littéraire), la précision lexicale et l'exigence de la correction de la langue, et l'accompagnement possible de prise de parole ; méthodologiques, avec l'organisation des pages écrites et leurs différentes composantes visuelles et sonores ; d'interaction sociale grâce au va-et-vient de leur récit créé à quatre mains ; technologiques, avec l'appropriation des fonctionnalités du traitement de texte ou celles de pages web pour la rédaction de la nouvelle ainsi que celle d'autres logiciels intégrant le son et l'image.

   Non seulement cette activité a maintenu les apprenants dans une rigueur d'écriture mais elle leur a apporté une grande valorisation personnelle (« Je suis capable de »... « On est publié sur internet »). La publication sur le web donne en effet une vision très qualitative de cet écrit en langue étrangère par rapport à une production format papier.

   Les coauteurs ont écrit ainsi des textes d'une qualité et d'une longueur bien supérieures à ce qu'ils auraient pu produire s'ils avaient eu à rédiger une série d'essais sur les mêmes thèmes en classe ou chez eux. On note peu de tentation de passage par la langue maternelle- sauf pour les élèves en grande difficulté, et aucun recours au copier-coller de textes trouvés sur internet. Une émulation très positive se crée entre les groupes. Les élèves ajoutent volontiers des éléments personnels significatifs pour leurs doubles récits tels que des photos ou des dessins scannés. Grâce à la possibilité d'intégrer des fichiers son à la page web, les enregistrements réalisés développent certains aspects du texte et suscitent une mise au point phonologique débouchant sur un enregistrement d'une bonne qualité phonétique.

   Ce type d'activité permet de maintenir une forte motivation et l'interaction suscitée développe des liens d'entraide linguistique nouveaux. Pour l'apprenant, se transformer en auteur de nouvelles en langue étrangère, procure un plaisir d'invention doublé d'un sentiment de fierté dû à la visibilité du produit final sur un site internet. Cette valorisation des écrits met également ceux-ci à la disposition des autres élèves et de leurs proches. Pour l'enseignant, l'investissement que représente la conduite de cette activité est certes important mais l'intérêt montré par les élèves tout au long du déroulement des séances et les résultats obtenus sont une réelle gratification. Pour citer à nouveau C. Bourguignon, il s'agit bien ici de la mise en oeuvre de « nouveaux types de tâches qui ne sont pas uniquement communicatives : on passe de l'apprenant à l'apprenant usager ayant à accomplir des tâches qui ne sont pas que langagières », soit de la tâche de communication à l'action sociale. Cette approche didactique des TICE est riche de nouvelles pistes à explorer pour développer des savoir-faire qui donnent du sens à l'apprentissage des langues.

30 décembre 2009

Odile Pouchol

Sitographie et bibliographie

[1] Mots migrateurs :
Les mots migrateurs : Écriture d'une nouvelle bilingue français/anglais à partir d'une image, P. Cochet-Terrasson, M. L. Conan, 2007.
http://www.maitrise-de-la-langue.ac-aix-marseille.fr/mlangue/spip.php?article71
http://www.premiumorange.com/renard/travaux/europeLV/MotsMigr/accueil.htm

[2] Pour l'apprentissage des langues et la pratique des technologies nouvelles (en français, anglais, allemand, espagnol et arabe).
http://www.romans-virtuels.com
« Les histoires virtuelles sur internet : activités d'écriture collective et internationale sur l'internet », M. Perdrillat, 2003.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0305e.htm
Romans virtuels sur internet soutenus par la Commission Européenne - e-learning
http://www.francparler.org/dossiers/perdrillat_2003.pdf

[3] Claire Bourguignon, conférence du 15 novembre 2008 sur le scénario d'apprentissage action :
http://www.canal-u.education.fr/themes/ lettres_arts_langues_et_civilisations/langues_litteratures_et_civilisations_etrangeres/japonais/ b3_le_scenario_apprentissage_action_par_claire_bourguignon
et aussi : C. Puren, Une conférence iconoclaste sur le CECRL, 2007,
http://www.pedagogie.ac-nantes.fr/1179594990125/0/fiche_ENSPEDA__actualite/&RH=PEDA

[4] Etwinning, la communauté pour les écoles d'Europe, http://www.etwinning.net.

[5] Didapages : ce logiciel peut être téléchargé sur http://www.fruitsdu savoir.org.
Il permet notamment la réalisation d'un livre électronique intégrant du texte, des photos et du son.

[6] Les livres de nouvelles utilisés dans l'expérimentation décrite ci-dessus sont :
a) Micro fiction - an anthology of really short stories, edited by Jerome Stern, 1996, Norton Company New York, London.
b) Flash Fiction, 72 very short stories, edited by James Thomas, Denise Thomas, Tom Hazuka, 1992, Norton Company New York, London.

[7] From Turkey to France and back: "Interactive creative writing", 2009.
http://www.ac-grenoble.fr/end/rcft/sitefrance/litterature/interactive writing/index.html

[8] Raby, F., Lima, L., Campanale, F., Andrieux, C., Pernin, J.-P., Meillon, B., Pesty, S., Bonneville, J.-F., Jacques, P., Chapelle, C., Rodriguez, J., Sahin, M., Dornyei, Z., Gebellin, J.-M., Pouchol, O., Penilla, F. (2003). Effet de l'utilisation d'un scénario collaboratif dans un environnement informatique sur les apprentissages en anglais au lycée, Grenoble, France.

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Association EPI
Février 2010

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