Quelle place et quel rôle les tuteurs accordent-ils aux consignes dans une formation hybride en langue étrangère ?

Nadia Chafiq, Assia Benabid, Mohammed Talbi, Mohamed Bergadi
 

Résumé
Depuis maintenant plus de deux décennies, les technologies de l'information et de communication permettent de développer des approches de formation ou d'accompagnement singulières. Ainsi, afin de contribuer modestement à améliorer la qualité des suivis à distance, il paraît pertinent de s'interroger sur le rôle des consignes que doit maîtriser lŽenseignant-tuteur dans une formation hybride et de voir les nouveaux rôles que le tuteur doit jouer.

L'objet de cette étude est d'essayer d'identifier le rôle des consignes mises en place par le tuteur pour permettre à l'interaction de se développer de manière efficiente. Dans cet article, nous nous proposons, après avoir passé en revue le rôle des tuteurs dans une formation à distance, d'étudier la place de la consigne dans un dispositif hybride : comment formuler des consignes qui aident vraiment à apprendre et qui permettent la construction d'un savoir dans un dispositif hybride ? La réflexion qui suit est essentiellement de nature pédagogique et se base sur une expérience d'enseignement du français de spécialité à des étudiants scientifiques via la plate forme Acolad à la Faculté des Sciences Ben M'sik - Casablanca.

Cette formation en ligne nous a donné en effet l'occasion de recueillir un corpus de données propres à observer et d'analyser des consignes formulées par le tuteur afin de rendre l'échange tutorial efficient, dans le sens où si les consignes sont bien formulées, donc elles sont compréhensibles et exploitables par ceux qui les reçoivent.

Les mots clés : formation hybride, enseignement des langues, consignes, tuteur.

Introduction

   Blended formation ou formation mixte, correspond à un système de formation hybride qui combine des modalités pédagogiques diversifiées, alternant formation à distance et formation en présentiel.

   La mise en oeuvre d'une formation hybride dans la faculté des Sciences Ben M'sik est motivée d'une part, par la mise à disposition de ressources supplémentaires en ligne en complément d'un cours en présentiel, d'autre part par l'individualisation de la formation et le dépassement des contraintes du présentiel (en termes d'horaires, lieux, effectifs...) au niveau de la faculté.

   Cette formation à distance s'est étalée sur dix semaines, début 2009, à la Faculté des Sciences Ben M'sik. En effet, des cours de remédiation linguistique ont été mis en ligne via la plate forme Acolad. Cette formation s'adresse à des étudiants scientifiques ayant un niveau A2 en langue française.

   Le développement des formations à distance appuyées sur les technologies de l'information et de la communication (TIC) entraîne l'émergence de nouvelles spécialisations professionnelles comme celle de tuteurs de langue en ligne. Le fait que la relation à distance soit médiatisée peut représenter quelques difficultés pour le tuteur au niveau de la régulation du travail effectué par les groupes d'apprenants en ligne. Le tuteur doit tout le temps s'assurer que tout le monde sait utiliser le matériel ou que tout le monde a compris la consigne.

   Par ailleurs, pour que l'apprenant puisse accéder à la plate forme Acolad, il aura besoin d'un savoir-faire technique. Par la suite pour répondre à la consigne déposée par le tuteur au niveau de la plate-forme, l'apprenant doit faire appel à un savoir-être car c'est après une lecture de la consigne que l'apprenant doit pouvoir agir en se débrouillant seul pour organiser son travail ce qui favorise l'apprentissage de l'autonomie, ainsi, le tuteur et l'apprenant devraient être impliqués dans une co-construction des savoirs.

   La première partie de l'article sera consacrée à la présentation de la conception des tâches. Nous préciserons ensuite dans la deuxième partie notre méthodologie de recherche avant d'entreprendre l'analyse des résultats. Cette recherche, de nature exploratoire, se donne donc pour objectif de mieux connaître les représentations des enseignants de langue dont l'élaboration des consignes.

I. Présentation de la formation analysée

   En collaboration avec l'ORDIPU (Observatoire de recherche en didactique et pédagogie universitaire) de l'Université Hassan II - Mohammedia, les enseignants du département langues et communication ont décidé de promouvoir les formations à distance en langue via la plate-forme Acolad  [1] au sein de la Faculté des Sciences Ben M'sik.

Formation Plate-forme Nombre d'étudiants Public / objectifs Présentiel / semestre Distance / semestre
Remédiation linguistique ACOLAD 20 Des étudiants scientifiques SMP 40 h 40 h

   La formation de remédiation linguistique s'adresse aux étudiants scientifiques de niveau A2. Elle concerne donc un public d'étudiants qui ne peuvent pas assister aux séances de langue régulièrement pour des causes variées (des étudiants chevauchés, ils ont plusieurs modules à valider ; des étudiants entamant une autre formation dans d'autres établissements etc.).

   Les cours en ligne seront construits sur la base des dossiers du manuel de français cap université qui s adressent aux étudiants de niveau A2, selon la classification du cadre européen commun de référence pour les langues CECRL inscrits aux semestres 1 et 2 de la filière Sciences de la Matière Physique SMP et vise à les amener au niveau B1, à titre d'exemple, le dossier 1 qui a pour intitulé Mon avenir ; ce dossier se constitue à base de documents scientifiques ayant des supports divers : audio et écrit.

   L'idée sous-jacente est évidemment d'exploiter les supports de ce manuel pour mettre en place une formation en ligne, le dossier le plus riche et le plus complexe du manuel serait traité de façon aussi exhaustive que possible dans le cadre de la classe et au niveau de la plate forme Acolad, de façon à ce que l'apprenant puisse faire des exercices de langue via la plate-forme.

   Les objectifs de ces cours en ligne permettent d'aider ces étudiants à remédier à leurs difficultés linguistiques en les aidant de prendre conscience de leurs manques, d'y remédier et de favoriser l'autonomie dans l'apprentissage d'une langue étrangère.

   Le questionnaire distribué aux enseignants permet de dégager plusieurs représentations récurrentes concernant l'importance que les enseignants accordent aux consignes dans la formation en langue. Le questionnaire comportait trois parties :

  1. Les données générales sur la formation en ligne : nom des tuteurs, langue, plate-forme, nombre d'étudiants, niveau de langue, heures en présentiel et à distance et description du contenu de la formation.

  2. La conception des tâches.

  3. La présence de la consigne d'interagir en ligne : sa fréquence, le canal par lequel elle est formulée.

  4. La représentation d'une bonne formation hybride.

   Les réponses obtenues ont également fait l'objet d'une analyse qualitative visant, à partir des réponses aux questions ouvertes et grâce aux commentaires faits en parallèle aux réponses aux questions fermées, à identifier les représentations des tuteurs.

II. Sur le plan de la conception des tâches

   La notion de « tâche » (Nunan, 1989) comme « une unité de travail centrée sur le sens impliquant les apprenants dans la compréhension, la production et / ou l'interaction en langue cible » est fondamentale dans une typologie des ressources en langue étrangère  [2].

   Par ailleurs, la tâche constitue une unité signifiante qui recouvre trois opérations pédagogiques majeures, à savoir planifier la tâche, la gérer et évaluer la production langagière à laquelle elle a donné lieu  [3].

   En effet, l'apprenant se construit une représentation de ce qui lui est demandé et réalise la tâche grâce à la consigne. Au cours de la réalisation de la tâche, le rôle de l'enseignant va varier selon que l'activité d'apprentissage se déroule en présentiel ou à distance. Gérer la tâche à cette étape revient à déployer un certain nombre de régulations par exemple les consignes, les explicitations et les rétroactions. L'interaction « refroidie » sous forme de captures dynamiques d'écran permet de rendre compte des productions langagières des apprenants. Celles-ci peuvent alors être évaluées en termes d'une performance par rapport à des objectifs initialement visés. Au final, le tuteur doit vérifier les étapes ultérieures pour évaluer le travail des apprenants.

   Les tâches sont généralement conçues par des enseignants dans le cadre d'un établissement éducatif et elles peuvent être réalisées par les étudiants soit en présentiel, soit à distance (communication entre enseignant ou tuteur et étudiants via chat et forum), soit en hybride (accompagnement en présentiel et à distance).

   Selon les contraintes institutionnelles, la liberté donnée aux enseignants de langue au Maroc dans la conception des tâches a varié : lorsque les enseignants utilisent le manuel Cap Université, les étudiants scientifiques sont amenés à se conformer aux thèmes de ce manuel réduisant donc l'ouverture des sujets potentiellement intéressants.

   Concernant l'accompagnement pédagogique, on distingue généralement deux formes de tutorat, à tendance réactive ou proactive. Pour le tutorat réactive, l'initiative est laissée aux étudiants et l'enseignant-tuteur a essentiellement pour rôle de « répondre aux demandes explicites des apprenants, sans anticiper sur ces demandes et sans chercher au-delà, tandis que les tuteurs plutôt proactifs prennent l'initiative de proposer une aide et s'appliquent à faire émerger des demandes » (Glikman, 2002, p. 64).

   Les consignes de l'enseignant-tuteur peuvent être considérées comme des interventions initiatives. La consigne permet d'orienter les différentes actions d'une tâche. Elle permet l'orientation et l'organisation temporelle de ces actions. Il faut donc que son énoncé soit clair, que les termes utilisés soient connus et compris, qu'elle donne les informations utiles. La réalisation des tâches par les étudiants amène ceux-ci à proposer des contributions réactives par rapport aux consignes, enfin l'enseignant-tuteur apporte un feed-back à ces travaux.

III. Sur le plan de la formulation des consignes par le tuteur

   Selon la manière de présenter la tâche, les apprenants s'investissent plus ou moins dans la tâche proposée. Des exercices de réflexion et de conceptualisation seront prévus pour chaque point important du dossier du manuel et la rubrique évaluation présentera des quizz vérifiant l'acquisition des connaissances.

   La consigne se fait de manière hybride, à la fois à distance et en face à face. À travers les consignes, les tuteurs fournissent des indications sur l'organisation matérielle de la tâche. L'analyse des questionnaires permet de dégager les moments d'utilisation de la consigne par les enseignants de langue : la consigne pour relancer l'activité à distance en cas de travail réalisé par l'apprenant est jugé insatisfaisant par le tuteur, de même, la consigne d'interagir en ligne, lorsqu'elle est donnée, est majoritairement formulée en présentiel.

   Par ailleurs, les enseignants interrogés assurent certaines tâches de tutorat en présentiel par exemple pour donner des consignes complémentaires même si ces tâches se rapportent à un travail réalisé en ligne. Élaborer des consignes adaptées et précises, fournir des explicitations utiles, maintenir un équilibre socio-affectif et une fluidité dans les échanges, constituent donc autant de gestes professionnels pour les tuteurs.

   Concernant la question ouverte portant sur la représentation d'« une bonne formation hybride », le rôle des consignes en ligne n'est jamais mentionné. Cette contradiction nous invite à penser que le rôle primordial des consignes n'est pas une finalité en soi. En effet, le tuteur doit utiliser le vocabulaire et la technique de la reformulation afin d'assurer la compréhension de la consigne de la part des étudiants. Il est important que dans une consigne, le vocabulaire utilisé soit précis et adapté. L'utilisation d'un mot à la place d'un autre peut complètement altérer la compréhension de la tâche.

En guise de synthèse

   On a pu montrer à travers cette analyse la dynamique de l'intégration des plates-formes de formation en ligne dans le contexte universitaire dans le domaine de l'enseignement des langues au Maroc. Dans les formations hybrides, la consigne prend nécessairement une place importante. En effet, dans chaque séance asynchrone, le tuteur et l'étudiant sont confrontés aux consignes, le premier pour proposer une tâche ou assurer le guidage, le second pour la réaliser.

   Nous avons essayé, dans cet article, d'identifier le rôle des consignes, nous voyons donc la nécessité d'accompagner les tuteurs, pour un travail notamment axé sur la formalisation de leurs consignes. Nous nous proposons de les présenter en terme de suggestions – non exhaustives – à prendre en compte pour faciliter l'échange entre les différents protagonistes du tutorat. D'abord, le tuteur doit adapter la consigne au type de tâche proposée. Adapter les consignes aux étapes de la tâche. Formuler des consignes en relation avec le paramètre temps/longueur de tâche. Le tuteur doit rédiger clairement la consigne avant de la déposer au niveau de la plate forme. Finalement, faire reformuler la consigne lors d'une séance en présentiel afin que les données soient claires et sans ambiguïtés pour que le résultat escompté soit probant.

Nadia Chafiq
nadia_chafiq@yahoo.fr
 Assia Benabid
a_benabid@hotmail.com
 Mohammed Talbi
maarifcentre@yahoo.fr
 Mohamed Bergadi
bergadi95@yahoo.fr

Laboratoire Interdisciplinaire de Recherches : Apprentissage, Didactique, Évaluation & Technologies de l'Information pour l'Éducation (LIRADE-TIE), Observatoire de Recherche en Didactique et Pédagogie Universitaire. Université Hassan II – Mohammedia ; Faculté des Sciences Ben M'Sik, Maroc.

Bibliographie

Barnier Gérard (1996). « Tutorat entre pairs et effet tuteur » :
http://recherche.aix-mrs.iufm.fr/publ/voc/n1/barnier/index.html.

Barnier Gérard (1996). Interaction de guidage entre pairs et effet tuteur, Éducation n° 9.

Barnier Gérard (2001). Le Tutorat dans l'enseignement et la formation, Paris, L'Harmattan.

Baudrit Alain (1999). Tuteur, une place, des fonctions, un métier ? Paris, Presses universitaires de France.

Drissi My M'hammed, Talbi Mohamed, Kabbaj Mohamed (2006). « La formation à distance un système complexe et compliqué (Du triangle au tétraèdre pédagogique) », EpiNet n° 87 de septembre 2006,
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0609b.htm.

Gaillat Thierry (2006). « Construction des interactions langagières dans un tutorat à distance », Expressions n° 27, mai 2006, p. 105-126.
http://www.reunion.iufm.fr/Recherche/Expressions/27/Gaillat.pdf.

Glikman Viviane (éd) (1999). Formations ouvertes et à distance : le point de vue des usagers, Actes de la journée d'étude du 28 novembre 1997, Paris, INRP.

Kerbrat-Orrechioni Catherine (1990-1994). Les Interactions verbales, trois volumes, Paris, Armand Colin.

Lièvre (de) Bruno, Depover Christian, Quintin Jean-Jacques & Decamps Sandrine (2003). « Les représentations a priori et a posteriori qu'ont les apprenants du rôle du tuteur dans une FAD », in C. Desmoulins, P. Marquet, D. Bouhineau (dir), Actes de la conférence EIAD 2003, Strasbourg, 15, 16 et 17 avril, Paris : INRP, p. 115-126.
http://archiveseiah.univ-lemans.fr/EIAH2003/Pdf/n014-105.pdf.

Messaoudi Faouzia (2008). « Tutorat et gestion de changement : deux leviers pour réussir la formation à distance au Maroc (Cas du Master ITEF) », CEMAFORAD 4 (Colloque Euro Méditerranéen et Africain d'Approfondissement sur la FORmation A Distance)
http://cemaforad4.u-strasbg.fr/pages.jsp?idsite=593,
http://edison.u-strasbg.fr/openconf/papers/138.doc.

Nunan David (1989). Designing Tasks for the Communicative Classroom. Cambridge. Cambridge University Press.

NOTES

[1] http://desa-pesup-tecform.u-strasbg.fr/.

[2] David Nunan (1989). Designing Tasks for the Communicative Classroom, Cambridge. Cambridge University Press.

[3] Nicolas Guichon (Université Lumière Lyon 2, France), Samira Drissi (École Normale Supérieure, Lyon, France). Les Cahiers de l'Acedle, volume 5, numéro 1, 2008, Recherches en didactique des langues – « L'Alsace au coeur du plurilinguisme visioconférence : comment former aux régulations pédagogiques ? »

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Association EPI
Mars 2010

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