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C'est un changement de paradigme
que l'informatique devienne une discipline scolaire

Jean-Pierre Archambault
Propos recueillis par Fabienne Guimont
 

La réforme du lycée réintroduit l'enseignement de l'informatique dans les programmes, après quinze ans d'absence dans les lycées. À la rentrée 2012, les élèves de terminale S pourront choisir la spécialité « informatique et sciences du numérique », qui devrait être proposée dans un millier de lycées  [1]. Jean-Pierre Archambault, président de l'association Enseignement public et informatique (EPI), est l'un des artisans de la réintégration de cette discipline. Ce militant de l'informatique pédagogique depuis trente ans raconte comment elle a fait sa réapparition sur le devant de la scène et comment elle se construit.

 
Pourquoi l'informatique avait-elle disparu des programmes du lycée ?

   Dans les années 1980, les lycées d'enseignement général proposaient une option informatique à tous les élèves et la France était alors en avance dans ce domaine. Au moment de sa suppression en 1992, elle était présente dans un lycée sur deux. Elle a été rétablie en 1995, avant d'être de nouveau supprimée en 1998 en tant que discipline. Officiellement, elle était considérée comme une option élitiste, mais la raison réelle tenait au manque de professeurs en mathématiques et sciences physiques, d'autant qu'un certain nombre d'entre eux devaient assurer les cours d'informatique.

Quels sont les clivages autour de cette discipline ?

   Le débat sur la culture informatique à donner aux élèves a toujours opposé les tenants d'une approche exclusive par l'utilisation de l'informatique dans les autres disciplines et les défenseurs de l'introduction d'une nouvelle discipline scolaire, comme les mathématiques ou la géographie. En 2000, c'est ainsi que le B2i a remplacé la discipline informatique en tant que telle, rendue obligatoire pour le brevet des collèges. Les compétences attendues étaient formulées de manière très vague et, si nécessaire, leur validation automatique par le chef d'établissement posait problème : c'est un échec qui était prévisible.

Comment votre association est-elle revenue à la charge ?

   À la faveur de la campagne présidentielle de 2007, l'EPI avait interpellé les candidats sur l'enseignement de l'informatique au collège et au lycée. Une fois l'élection passée, nous avions rencontré les conseillers éducation de l'Élysée, de Matignon, du ministère de l'Éducation nationale, avec le soutien de sommités de l'informatique membres de notre association, tels Gérard Berry et Maurice Nivat, de l'Académie des sciences. Nous avions obtenu que l'enseignement informatique soit dispensé en seconde dans la première version de la réforme du lycée, avant que sa seconde version ne propose cette spécialité qu'en terminale S. C'est un changement de paradigme qu'une discipline scientifique comme l'informatique devienne une discipline scolaire. Aujourd'hui, selon une enquête de l'INRIA, 80 % des Français déclarent que l'enseignement de l'informatique doit recevoir le même traitement que celui de la chimie.

Quels arguments avez-vous avancés pour imposer l'informatique comme discipline scolaire ?

   Les sciences physiques sont devenues une discipline scolaire car elles sous-tendaient la réalisation de la société industrielle. Aujourd'hui, 30 % de la R&D porte sur l'informatique et les sciences de l'information au plan mondial, contre seulement 18 % en Europe. En 2009, la Stratégie nationale de recherche et d'innovation  [2] constatait que les ingénieurs non informaticiens avaient un niveau insuffisant en informatique. À l'entrée de Polytechnique, la moitié des élèves n'a jamais écrit une ligne de programme alors qu'ils vont construire les Airbus et les TGV. Un autre de nos arguments avançait que l'informatique faisait partie de la culture de tout citoyen dans la société numérique, comme on peut avoir des notions sur l'atome pour débattre de politique nucléaire.

Comment cette discipline se reconstruit-elle ?

   Depuis 2011, on se concentre sur la formation des enseignants, mais dans un contexte de suppression de postes dans l'Éducation nationale et de réduction des dépenses publiques. Malgré cette difficulté sur les moyens – aucune décharge de service n'a été accordée notamment pour la formation –, le nombre d'enseignants qui se sont portés candidats pour enseigner la spécialité informatique est suffisant. Pour les profs de maths qui ont déjà des notions d'algorithmes, la formation doit mettre l'accent sur les machines-réseau, alors que, pour les profs de technologie, elle se concentrera sur l'algorithme-réseau. Des enseignants du supérieur la pilotent dans chaque académie. Un jury académique composé d'inspecteurs et de professeurs du supérieur leur délivrera une certification complémentaire.

Quelles sont les suites envisagées ?

   À terme, il faudra penser à un CAPES et à une agrégation d'informatique. Un inspecteur général d'informatique devrait être nommé  [3]. Pour l'instant, c'est Robert Cabane, inspecteur général de mathématiques, qui conduit le groupe d'experts sur le programme d'informatique. Après la spécialité en terminale S, il faudrait introduire l'informatique dans les séries ES, L et en seconde. En collège, c'est à la fois plus facile et plus compliqué. Il faudrait raviver la part d'informatique dans les cours de technologie où elle est en régression dans les contenus et les horaires.

Jean-Pierre Archambault
président d'Enseignement Public et Informatique

Cette interview de J.-P. Archambault par Fabienne Guimont, le 30 janvier 2012 pour l'Etudiant.fr, a été publiée, en ligne, sur le site EducPros.fr :
http://www.educpros.fr/detail-article/h/4ac0e2a12c/a/jean-pierre-archambault-president-d-enseignement-public-et-informatique-cest-un-changement.html

NOTES

[1] Spécialité informatique : ce qui attend les terminales S à la rentrée 2012.
http://www.letudiant.fr/etudes/lycee/la-reforme-du-lycee-en-2010-18029/specialite-informatique-ce-qui-attend-les-terminales-s-a-la-rentree-2012-13226.html
En l'état actuel des choses, l'option ISN devrait être proposée dans un premier temps dans environ 400 lycées.

[2] Stratégie nationale de recherche et d'innovation 2009. Rapport général.
http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/SNRI/69/8/ Rapport_general_de_la_SNRI_-_version_finale_65698.pdf

[3] Depuis cette interview, nous avons appris que Laurent Chéno, précédemment professeur de mathématiques de chaire supérieure au lycée Louis-le-Grand, a été nommé Inspecteur général pour l'informatique.

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