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Un désert explicatif
 

   Dans un intéressant article « Le numérique peut-il casser des briques ? »  [1], Luc Cédelle, journaliste au Monde, relate une anecdote qu'il a vécue maintes fois : « Ne sachant comment effectuer une opération précise (exemple au hasard : placer un "son" dans un billet de blog), je pose la question à un collègue, puis à des collègues que je croyais plus calés... pour m'apercevoir qu'ils ne sont pas plus avancés et finissent par m'avouer avec réticence qu'ils dépendent de l'intervention d'un spécialiste ». Et d'ajouter : « Juxtaposer, avec une part aléatoire, les habiletés partielles n'est pas maîtriser l'outil. » Il va à l'encontre d'idées reçues sur les compétences supposées des natifs du numérique : « Les natives sont souvent bluffants, par leurs capacités à jongler intuitivement, mais restent majoritairement incapables d'expliquer pourquoi une chose a ou n'a pas marché. En cela, ils sont ultra dépendants d'une technologie qu'ils ne dominent pas. » Il use d'une formule choc en parlant d'un « désert explicatif » qui place l'école face à une responsabilité nouvelle, elle qui est « la seule force susceptible d'éclairer la masse des élèves sur les ressorts internes comme sur les enjeux de société des technologies numériques ».

   Il y avait dans les années 80 une option informatique dans les lycées d'enseignement général. En voie de généralisation, elle fut supprimée une première fois en 1992 alors qu'elle concernait 50 % des lycées, rétablie en 1995 puis à nouveau supprimée en 1998  [2]. Ce fut le début de « la traversée d'un désert » (le même que le précédent !) où l'on prétendait donner aux élèves la culture informatique correspondant aux besoins de l'époque par le biais de l'utilisation de l'informatique dans les autres disciplines. Cette approche, qui s'est incarnée dans le B2i, fut un échec, un échec prévisible.

   Mais les choses bougent. La rentrée 2012 a vu la création de l'enseignement optionnel informatique et sciences du numérique en Terminale S. Dans le Projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, on peut lire : « Une option de spécialité "Informatique et sciences du numérique" sera ouverte de façon adaptée à chacune des séries du baccalauréat technologique et général. »  [3]. Vincent Peillon, ministre de l'Éducation nationale, a présenté la stratégie pour le numérique à l'École en présence de Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique : « Il faut que les élèves puissent acquérir à l'École de nouvelles compétences pour comprendre le monde numérique. Le Président de la République a souhaité que l'option de spécialité "informatique et science du numérique" soit proposée, en terminale, dans toutes les sections du baccalauréat de l'enseignement général et technologique. Cette promesse sera tenue. L'extension progressive de cette option se fera dès la rentrée 2013. Au-delà, au collège, il faut que l'informatique soit renforcée dans l'enseignement de la technologie. »  [3 bis]. Fleur Pellerin a quant à elle déclaré : « Il est aussi nécessaire de développer la formation au numérique : à ce titre l'extension à l'ensemble des filières des options spécialité numérique en terminale est une excellente idée. Il me parait ainsi nécessaire de faire aborder aux élèves l'ensemble des concepts de l'informatique afin de montrer les articulations et la cohérence. »  [3 ter]

   La traversée du désert a commencé à prendre fin. L'éditorial d'EpiNet 149 faisait état de la large convergence qui se dessine en faveur d'un enseignement pour tous de la discipline informatique dans l'enseignement scolaire (école, collège, lycée). La conscience grandit qu'il est illusoire d'imaginer faire face aux défis économiques et sociétaux du numérique sans un environnement culturel porteur, sans une culture générale informatique partagée par tous, une culture générale qui permet d'« expliquer » le monde, de le comprendre et d'agir. Et que donner une telle culture à tous passe nécessairement par une discipline scolaire informatique.

   L'EPI a encore eu l'occasion récemment de dire ces choses de l'informatique pédagogique dans toutes ses dimensions lors des manifestations suivantes : colloque « Vers un musée de l'informatique et de la société numérique en France ? »  [4] ; salon Educatice 2012 dans la conférence « Informatique et sciences du numérique au lycée » que nous avons organisée  [5] et dans la matinée d'Eduforpro « Quel impact du développement des sciences, de la technologie et des savoirs numériques dans l'Éducation ? »  [6] ; journées de Renaissance Numérique à l'Assemblée Nationale « Comment sortir de la crise grâce au numérique »  [7] ; « Capitole du libre »  [8] et au « fOSSa 2012 »  [9].

   Nous terminerons cet éditorial en souhaitant un bon anniversaire à EpiNet, la Revue électronique de l'EPI, dont ce numéro du 15 décembre 2012 est le numéro 150. Son alerteur est diffusé gratuitement chaque mois à ses adhérents-abonnés à plus de 3 500 exemplaires. EpiNet est à la fois de plain-pied dans l'actualité et, les années passant, mémoire de l'informatique pédagogique dont l'EPI a une conception et une approche globales dans lesquelles l'informatique est à la fois, et de manière complémentaire, objet d'enseignement et outil pédagogique  [10]. Les articles publiés dans EpiNet en sont une illustration. Ils traitent des sujets variés, de la robotique à l'utilisation du traitement de texte en passant par les logiciels libres, la recherche documentaire, l'enseignement de l'informatique, les usages du web, etc., en France et à l'étranger.

Le 15 décembre 2012

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] « Pédagogie : le numérique peut-il casser des briques ? », Luc Cédelle, dans LeMonde.fr, 12 nov. 2012.
http://education.blog.lemonde.fr/2012/11/10/pedagogie-le-numerique-peut-il-casser-des-briques-1/

[2] « L'option informatique des lycées dans les années 80 et 90 », Jacques Baudé, EpiNet 128 et 129, oct. et nov. 2012.
Première partie « La naissance d'une option »
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb1.htm
Deuxième partie : « Le développement de l'option. Vers une généralisation ».
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb2.htm
Troisième partie : « Suppression, rétablissement et nouvelle suppression de l'option. Une politique en dents de scie ».
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb3.htm
http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/56/45/59/HTML/h10oi_jb.htm

[3] Projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République. (page 41) : d1212b.htm#ISN, d1212b_projet-de-loi-prerose.pdf

[3 bis] « Faire entrer l'École dans l'ère du numérique », discours de Vincent Peillon le jeudi 13 décembre 2012.
http://www.education.gouv.fr/cid66604/faire-entrer-l-ecole-dans-l-ere-du-numerique-discours-de-vincent-peillon.html

[3 ter] « École numérique », intervention de Fleur Pellerin le jeudi 13 décembre 2012 à la Gaîté lyrique (vidéo).
http://www.dailymotion.com/video/xvw2sv_ecole-numerique-intervention-de-fleur-pellerin_schoolundefined#.UMrPPqxO8k8

[4] Colloque pour un musée Informatique en France.
http://minf.cnam.fr/
« Quelques points de repère dans une histoire de 40 ans : L'association Enseignement Public et Informatique (EPI) de février 1971 à février 2011 », Jacques Baudé, EpiNet 132, fév. 2011.
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h11epi_jb.htm
http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/82/60/00/HTML/h11epi_jb.htm

[5] Educatec-Educatice, après-midi EPI.
http://www.educatec-educatice.com/animation_30_396_418_p.html?cid=1493

[6] Educatec-Educatice, matinée Eduforpro.
http://www.educatec-educatice.com/animation_30_396_418_p.html?cid=1504

[7] « Comment sortir de la crise grâce au numérique », compte-rendu de Jacques Baudé, EpiNet n° 150, déc. 2012 : d1212a.htm

[8] Capitole du Libre 2012.
http://www.capitoledulibre.org/2012/index.html
« Le libre dans l'éducation. Ses enjeux », Jean-Pierre Archambault : x1212a.htm

[9] Debate // Education & Open Source: toward our new society?
http://fossa.inria.fr/archives/3163

[10] « L'anniversaire d'EpiNet dans une actualité qui bouge », Jean-Pierre Archambault, EpiNet n° 150, déc. 2012 : a1212f.htm
« L'informatique dans les écoles, collèges et lycées français. Plus de 40 années de présence active de l'EPI », Jacques Baudé, EpiNet n° 150, déc. 2012 : a1212d.htm

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