Didapro

Actes en ligne des premières journées francophones 
de didactique des progiciels
(10 et 11 juillet 2003)

Sommaire

Éditeurs

Bernard André
Georges-Louis Baron
Éric Bruillard

© INRP/GEDIAPS

Didapro@inrp.fr

Mis en ligne le 2 octobre 2003
Dernière mise à jour le 15 octobre 2003

Quelques réflexions concernant la misère typographique de la France profonde :
de la dactylographie vers la typographie

Yves Perrousseaux

Résumé

La PAO est si récente que l’apprentissage d’un minimum de règles typographiques qu’elle exigerait est loin d’être en place, et c’est dès l’école qu’il devrait être enseigné, étant donné que la majorité des jeunes, aujourd’hui scolarisés, travailleront plus tard – peu ou prou – sur ordinateur, et qu’il leur faudra bien, alors, manier typographiquement leur langue. C’est un enjeu culturel.

Je commence par une parenthèse pour vous signaler que quand j’emploie l’expression « écriture typographique », c’est pour signifier précisément les choses à faire et celles à ne pas faire, typographiquement parlant, lors de la frappe sur le clavier de l’ordinateur, étant donné que les logiciels de traitement de texte, et à plus forte raison les logiciels de mise en page, fonctionnent en mode typographique : je veux dire par là qu’ils permettent différents attributs des caractères typographiques en corps, inclinaison et en graisses, la composition des textes sur une ou plusieurs colonnes, que l’on peut justifier de différentes façons (et tous les problèmes qui en découlent), l’incorporation d’images, de leurs légendes, les notes automatisées, etc.

Avec le traitement de texte, nous ne sommes plus en fonctionnement dactylographique c’est-à-dire le fonctionnement des bonnes vieilles machines à écrire du XXe siècle, qui, pour enrichir le texte n’avaient à leur disposition, outre les lettres minuscules et les lettres majuscules, que le sous-lignage ainsi que le noir et le rouge du ruban de tissu.

Il ne s’agit donc pas, ou plus, de réaliser en traitement de texte une sorte de dactylographie améliorée, ni non plus de réaliser des compositions typographiques de haute volée, mais de mettre en œuvre un compromis, une écriture typographique simple mais quand même de bonne tenue.

Si je suis parmi vous aujourd’hui, c’est par l’intermédiaire de Bernard ANDRÉ qui, ayant fait, par hasard, la connaissance de mes ouvrages concernant l’écriture typographique du français et de la mise en pages en PAO, a découvert un monde qu’il ignorait complètement. Dans son premier mail, daté du 2 avril, il m’écrivait en effet : « Dans votre Manuel de typographie française élémentaire, Monsieur Perrousseaux, j’ai découvert un monde, une culture. Depuis, je pense qu’une bonne formation aux traitements de texte passe d’abord par une initiation à la typographie. Votre témoignage, lors de ce colloque, nous serait précieux. Il permettrait de faire un premier pas, me semble-t-il, pour réduire le fossé qui sépare la bonne PAO de la médiocre bureautique. »

Cette problématique m’a de suite interpellé, pour la bonne raison, qu’il y a un an et demi, j’ai réalisé une étude assez complexe de redéfinition de l’image graphique et typographique d’un assez important cabinet d’avocats de Lyon, spécialisé dans les litiges nationaux et internationaux des droits de propriété industrielle.

Par cette étude, j’aidécouvert un monde de bureautique « industrielle » (si je puis dire), dont je ne soupçonnais pas l’existence, et cela m’a fait un choc, j’en suis resté perplexe. Ce monde, si différent du mien, existe et représente un important besoin en apprentissage de la bonne écriture typographique de notre langue française, du moins pour un minimum culturel qui ne fasse plus sourire. Et ce besoin, en bureautique, qui concerne finalement un nombre de personnes infiniment plus important que celui des professions des arts graphiques, m’est apparu handicapé par les trois constatations suivantes :

  1. Le volume et la cadence de la frappe. Dans un tel contexte, les feuilles de styles, préétablies, doivent faire le tour des besoins que l’on va rencontrer, on s’y tient et c’est tout. Il n’est pas question d’avoir des états d’âme sur tel ou tel cas de figure typographique 
  2. Un niveau de maîtrise plus ou moins insuffisant du français. On s’en rend compte quand le texte fourni est un enregistrement sur cassettes.
  3. L’incapacité des logiciels de traitement, tel Word qui est couramment utilisé, à permettre la réalisation automatisée d’enrichissements typographiques un tant soit peu élaborés.

Par exemple, qu’en cliquant sur l’icône « italique » cela active la véritable police italique du caractère concerné à la place de l’inclinaison vers la droite, par anamorphose, du caractère romain (en typographie, « romain » signifie simplement : caractère dont le dessin est vertical, en différenciation d’un caractère italique dont le dessin est cursif, incliné vers la droite). Dans ce cas, nous n’avons pas d’italique mais un penché. Typographiquement parlant, c’est une supercherie et un abêtissement culturel car une italique vraie est dessinée d’une façon tout autre. Mais encore faudrait-il que toutes les polices de caractères, vendues pour la bureautique, possèdent leur italique vraie, ce qui est loin d’être la cas : l’Arial, par exemple.

Dans l’apprentissage du traitement de texte et de la mise en page en PAO, il y a d’abord bien sûr l’apprentissage du maniement des ordinateurs puis surtout celui des logiciels concernés. Mais cela n’est que la première phase de cet apprentissage, car ensuite, il s’agit de savoir ce que l’on va faire avec, et cette seconde phase n’est pas facultative, elle est même la plus importante.

Dans le texte figurant en quatrième page de couverture du Manuel de typographie française élémentaire, j’ai écrit : « La PAO est devenue un fait de société incontournable, comme le furent l’invention de la typographie vers 1450 et récemment celle d’Internet. En conséquence, chaque personne concernée devrait maîtriser l’expression typographique de sa langue, de même qu’elle a déjà appris à « lire, écrire et compter ». La PAO est si récente que l’apprentissage d’un minimum de règles typographiques qu’elle exigerait est loin d’être en place, et c’est dès l’école qu’il devrait être enseigné, étant donné que la majorité des jeunes, aujourd’hui scolarisés, travailleront plus tard – peu ou prou – sur ordinateur, et qu’il leur faudra bien, alors, manier typographiquement leur langue. C’est un enjeu culturel. »

À la suite de quoi, je reçois un courrier non négligeable provenant d’enseignants divers, mais pour le moment l’Éducation nationale ne semble pas sensibilisée à ce problème et les initiatives destinées à des élèves proviennent toujours d’enseignants motivés, mais à titre personnel.

En France, des millions de personnes font aujourd’hui de la PAO. Cela concerne principalement les secrétariats d’entreprises, de collectivités locales comme les mairies, les associations de tout poil, mais également le particulier très fier de réaliser le faire-part de naissance du petit dernier, agrémenté de photos numériques prises quelques heures après la naissance, faire-part expédié par Internet le jour même à « l’univers entier ».

Malheureusement la plupart des personnes ignore qu’il existe une règle du jeu pour écrire typographiquement leur langue et que cette règle du jeu a comme but essentiel que tout le monde la comprenne et la prononce de la même façon. Il s’agit de ce qu’on appelle « le code typographique ». En France il en existe cinq publications, dont la mienne, et les voici [un visuel montre alors les cinq couvertures que l’auteur explique]. Il existe en outre un Guide du Typographe, édité à Lausanne et concernant les particularismes du français pratiqué en Suisse romande.

Ce qui fait que les gens, en toute bonne foi, inventent leurs propres recettes, parfois d’ailleurs avec astuce, et recopient les erreurs qu’ils voient ici et là : il y en a même sur les écrans de nos chaînes françaises de télévision ! C’est un peu, en exagérant mon propos quand même, comme si, ignorant qu’il existât une orthographe du français, chacun inventait la sienne. C’est, dans les faits, un peu ce qui se passe d’ailleurs : les Français étant terrorisés par « la faute d’orthographe » et par crainte d’être moqués, préfèrent bien souvent ne pas écrire (aux administrations, par exemple).

De même l’équipe de jeunes gens, extraordinairement doués en informatique qui gère le site Web de mon entreprise, font une faute de français par ligne de texte : la greffe de l’écriture du français n’a assurément jamais pris dans leur cervelle (ce phénomène m’a toujours étonné).

Ces personnes qui font de la typographie malgré eux sans en connaître les usages n’en sont pas responsables, je le dis haut et fort, pour la bonne raison que l’écriture typographique ne s’enseigne actuellement nulle part (sauf bien sûr dans quelques écoles et lycées professionnels quand même, comme l’École Estienne). Dans la vie courante, on n’en parle jamais.

Il y a à cela des raisons :
Premièrement : depuis Johann Gutenberg, à partir du milieu du XVe siècle, jusque dans les années 1970, c’est-à-dire du temps de l’imprimerie en plomb, les textes étaient composés par des typographes qui avaient reçu sur le tas, à l’imprimerie même, une formation laborieuse mais performante. Ils finissaient, en une dizaine d’années, par maîtriser parfaitement le français, son orthographe, sa grammaire, sa syntaxe et bien sûr le code typographique. C’était une profession d’élites et ils le savaient. Organisée, comme les corporations du Moyen-Âge, en apprentis, compagnons et maîtres, cette profession était jalouse de son savoir et n’était pas prête à le partager. J’ai connu la fin de cette époque au plomb les toutes premières années lorsque j’ai commencé à travailler à partir de 1964 : c’était à Paris, aux Éditions de Montsouris (la fenêtre de mon bureau donnait sur le parc de Montsouris, ce qui n’était pas désagréable, j’en conviens) qui éditaient différentes revues dont Le Petit Écho de la Mode et Rustica. Je me souviens de ces grands ateliers où travaillaient des dizaines de compositeurs typographes, soit manuellement soit sur machines Linotype pour composer et fondre, ligne par ligne, les colonnes de textes.

Et deuxièmement : dès la fin du XIXe siècle, quand sont apparues les premières machines à écrire de secrétariat (auparavant on était « employé aux écritures » lorsqu’on possédait une belle graphie manuscrite), les syndicats des typographes n’avaient jamais voulu s’abaisser à collaborer avec les écoles de secrétariat alors naissantes (comme Pigier) : ils auraient pu permettre d’élaborer des règles d’écriture associant et les contraintes techniques rudimentaires de ces nouvelles machines et un minimum de règles typographiques, pour la beauté et le respect de notre langue. Cela ne s’est jamais fait, et c’est là l’origine de règles désolantes de composition, basée sur rien, que l’on a enseignées pendant un siècle dans les écoles de secrétariat et qui continuent encore de nos jours à être plus ou moins appliquées en traitement de texte, et par méconnaissance de l’existence du code typographique.

Et aujourd’hui, il n’y a plus personne pour transmettre. Cette profession, après cinq siècles d’existence, est complètement morte en moins de 20 ans, des années 1960 aux années 1980. Le plomb a été remplacé par la photocomposition, elle-même remplacée depuis une bonne dizaine d’années par la PAO, grâce à l’émergence de logiciels de traitement de texte, comme Word de Microsoft, et plus particulièrement de logiciels de mise en page, comme XPress de Quark et très récemment Indesign d’Adobe.

On se retrouve devant un vide complet, et cela grâce à la bêtise humaine. À part quelques chercheurs passionnés, comme Jacques ANDRÉ, à l’Irisa de Rennes, dont je trouve les travaux autant intéressants que courageux, mais qui concernent plus particulièrement l’écriture de besoins scientifiques et universitaires, à part quelques fous comme moi (mais combien sommes-nous au juste ? guère !), j’ai l’impression que tout le monde s’en moque. Sur le plan culturel, c’est désolant !

Même dans les écoles professionnelles d’arts graphiques, le plus souvent les jeunes qui seront les créateurs graphiques de demain se désintéressent des règles de l’écriture typographique. Ils lui préfèrent le « global design », le visuel, le Web, le multimédia. C’est plus passionnant, on « s’éclate » mieux, et puis comme ces jeunes, dans leur majorité, ne maîtrisent pas le français (et je suis gentil), pourquoi voulez-vous tendre de bâton pour être battu ? Ils s’orientent donc tout naturellement vers d’autres disciplines que celle de l’écriture typographique du français… dont ils ne peuvent pas se passer non plus. C’est un peu la quadrature du cercle !

Je recentre mon propos sur le texte.

Voilà un certain nombre de questions qu’il faut se poser avant de commencer son travail. Sinon on est en porte-à-faux, comme ces écoliers qui, rentrés chez eux, commencent par faire leurs devoirs avant d’avoir appris la leçon.
Je tape du texte pour transmettre quoi ? à qui ? et de quelle façon ?

Ce qui pose le problème de posséder un certain nombre de polices de caractères pouvant répondre à ces différents cas de figure complémentaires, car le caractère passe-partout, pouvant répondre à tous les besoins typographiques, n’existe pas.

Et puis, autant posséder de beaux caractères, bien conçus, permettant un « confort de lecture » et sortir de la panoplie obsolète livrée avec Windows, dont seuls le Times et l’Arial sont les moins minables. Pour mémoire, le caractère Times New Roman a été créé en 1932, par l’Anglais Stanley Morison, pour le journal londonien The Times. Depuis 71 ans, on a quand même créé d’autres caractères plus performants et conçus pour une utilisation numérique. Comme par exemple le caractère Le Monde Journal, créé par le Français Jean-François Porchez en 1995 pour le journal du soir Le Monde, caractère qu’il a décliné en cinq variantes avec et sans empattements. L’Helvetica du Suisse Max Meidinger date de 1957, l’Univers du Suisse Adrian Frutiger également.

Je terminerai cet exposé en abordant quelques sujets d’écriture typographique sur lesquels les gens pataugent, encore une fois par manque de connaissance.

  1. L’écriture des symboles
    Dans le cadre de la grande famille des abréviations, qui sont typographiquement définies pour que tout le monde se comprenne de la même façon, les symboles sont déterminés par la loi. Ainsi en était-il du franc français.

    Le symbole du franc est le F capitale, sans point et invariable. Pas de S au pluriel :

    1 F   154 F

    Cela aurait dû être enseigné aux petits Français dès l’école primaire, et dès l’institution de l’école de la République gratuite, laïque et obligatoire, dans le dernier quart du XIXe siècle.

    Faute d’information, vous avez pu constater comme moi l’imagination débridée des gens à répondre à ce problème chacun à sa manière : sur les catalogues des produits à prix « sacrifiés », les tracts de vente à la sauvette, les indications écrites à la craie sur les panonceaux des étals des marchés, et avec quelle préciosité graphique dans les vitrines de produits artistiques.

    F   f   fr    FR   Fr   frs   FRS   Frs

  2. Les lettres majuscules doivent être accentuées.
    « On ne met pas d’accent sur les majuscules » fait partie de ces idées reçues qui ont la vie dure et qui n’ont plus de raison d’être, un peu comme « On ne coupe pas la salade dans son assiette » qui a marqué l’éducation de mes grands-parents.

Ne pas couper la salade dans son assiette vient de l’époque où, l’acier inoxydable n’étant pas encore inventé, le vinaigre de la sauce noircissait les lames de couteaux. Pour éviter cet inconvénient ménager, on érigea cette règle de « bonne éducation ». Aujourd’hui, si cette règle a perdu sa raison d’être depuis l’apparition des couteaux en inox, cette idée reçue reste quand même dans la tête des gens car, entre-temps, elle est devenue synonyme d’être « bien ou mal élevé ».

Voici l’historique.
En typographie française, et depuis le courant du XVIe siècle, on met les accents sur les bas de casse, c’est-à-dire les minuscules, et sur les capitales pour traduire les subtilités de la prononciation et éviter les contresens. En fait, il n’y a pas à faire de différence entre l’accentuation des minuscules et des majuscules : c’est la même règle qui s’applique dans les deux cas de figure. Les choses ont vraiment été codifiées dans le courant du XIXe siècle, comme d’ailleurs l’orthographe. Pour des raisons techniques des siècles passés, il arrivait que certaines polices soient créées sans accent (à cause de problèmes de hauteur des lignes de plomb ne permettant pas toujours de respecter l’interlignage), mais le bon typographe les rajoutait manuellement dans ses montages quand c’était possible.

Enfin, et pour des raisons de contraintes techniques cette fois-ci, est apparue, à la fin du XIXe siècle, l’impossibilité d’accentuer des capitales :

Petit à petit, on s’est habitué aux capitales non accentuées, bien qu’elles n’aient plus permis le respect de l’orthographe exigée par notre langue. Pendant près d’un siècle, on a justifié ces contraintes techniques par cette idée reçue idiote (On ne met pas d’accent sur les majuscules), on se l’est répétée de génération en génération, alors qu’il aurait été plus honnête de reconnaître : « On ne peut plus mettre les accents sur les capitales parce que les machines ne le permettent pas. » Ce que les typographes et autres professionnels étaient les seuls à savoir.

Aujourd’hui, la micro-informatique a remédié à ces lacunes : les polices numérisées sont conçues avec non seulement les accents en usage en français, mais également en usage dans bien d’autres langues. L’informatique permet à chacune d’elles de retrouver ses particularismes orthographiques.

Le dernier obstacle actuel reste un certain enseignement de la frappe du texte non actualisé, qui finira bien par réviser ses vieux manuels, au bénéfice de la bonne tenue des publications dans notre langue française, y compris celles provenant des secrétariats.

Au sujet des accents sur les majuscules, combien de jeunes femmes (pas celles formées il y a 30 ans) m’ont répondu : « Ah bon ! mais pourtant à l’école [de secrétariat], on nous avait toujours dit qu’il ne fallait pas les mettre ! C’était même une faute ! »

Et pourtant, en typographie :
l’accent sur les capitales, comme sur les minuscules d’ailleurs :

LES ENFANTS LEGITIMES : LÉGITIMES ou LÉGITIMÉS ?
L’AUGMENTATION DES RETRAITES : des RETRAITES ou des RETRAITÉS ?

L’ETUDE DU MODELE : du MODÈLE ou du MODELÉ ?

L’Imprimerie nationale préconise l’utilisation systématique des capitales accentuées, y compris sur la préposition À quand elle vient en capitale en début de phrase. Si déjà nous, francophones, butons sur le sens de certains mots non accentués, à plus forte raison qu’en est-il des étrangers qui lisent, par exemple, nos documents touristiques !

Aujourd’hui, c’est bien dans le cadre de la bureautique que l’écriture typographique du français devrait être enseignée, c’est-à-dire l’enseignement du code typographique, et ce n’est pas bien compliqué. Encore fallait-il être conscient de ce sujet qui existe forcément et concerne toute frappe de texte, mais dont on ne parle jamais. S’il est évidemment nécessaire d’enseigner le fonctionnement des ordinateurs et des logiciels concernés, il est non moins nécessaire d’enseigner ce que l’on va faire avec. Dans le train des sujets enseignés en bureautique il manque actuellement ce wagon et il est de taille.

3. Pour terminer mon exposé, je vous parlerai encore de la « majusculinite », c’est-à-dire de cette maladie qui consiste à mettre des majuscules partout, là où il ne devrait pas y en avoir.

La majuscule met en valeur, que dis-je ? sacralise, déifie le concept que représente le mot concerné. Pensez donc ! « Le Président du Conseil Général a convoqué la Commission des Affaires culturelles, Jeudi 10 Juillet. » Et la secrétaire qui tape ce genre de textes y met tout son cœur, tout son amour : elle vient de sacraliser la commission des affaires culturelles ! N’est-ce pas formidable ? Même si tout le monde va se disputer lors de cette réunion, la commission, elle, restera sacro-sainte. Quant au Président, c’est bien la moindre des choses de lui mettre une capitale initiale puisque c’est le président, c’est le chef ! En France, on a beau être en république, quelques relents de l’Ancien Régime ça sécurise quand même un peu tout le monde : la secrétaire comme le président !

Le malheur, c’est que dans cette phrase tous les mots employés étant des noms communs, aucun ne doit porter de capitale initiale. Des présidents : il y en a des milliers, que dis-je : des centaines de milliers, comme des commissions. Des conseils généraux : il y en a un par département.

Par contre, on trouve tout à fait normal de ne pas mettre de capitale initiale au concierge et aux femmes de ménage du conseil général. Si l’on n’en met pas au boucher et au boulanger du coin, c’est normal parce que ce sont des noms communs, tout le monde le sait, comme le garagiste ou le coiffeur. Mais les femmes de ménage, que voulez-vous, ce sont de petites gens, humbles et laborieuses, alors que le Président, voilà un grand personnage (la majuscule, dans les articles de presse, dans les dossiers, sur les cartons d’invitation, renforce sa crédibilité, donc sa respectabilité, donc son pouvoir).

Je plaisante, vous vous en doutez, mais combien est-ce attristant de constater la vanité de bien des personnes en ce qui concerne la typographie de leur titre distinctif : le maire, le député, le colonel, le ministre, le curé, le cardinal, le directeur, le conservateur du musée, le receveur de la poste…

Vanitas vanitatum,et omnia vanitas !

Faudrait-il mettre une capitale initiale au Directeur de cabinet du ministre et ne pas en mettre au directeur de la prison ? Irions-nous vers une « typographie à deux vitesses » ?

On rejoint là, dans le subconscient, l’effet produit solennel des inscriptions tout en capitales : depuis la capitale romaine sur les monuments romains, comme les arcs de triomphe, les pierres tombales et autres monuments aux morts, les frontons des monuments officiels comme ASSEMBLÉE NATIONALE, les titres de dossiers et autres travaux de bureautique, etc. La capitale officialise. Elle en impose et ça rassure ! Mais ceci est déjà le début d’une autre histoire…

Par contre, il est tout à fait normal et courtois de mettre cette capitale initiale dans les correspondances, parce que dans ce cas précis il s’agit d’une formule de politesse :

en débutant par : Monsieur le Maire,

et terminant par : Veuillez agréer, Monsieur le Maire,….

Mesdames et Messieurs (avec deux M capitales initiales, formule de politesse), je vous remercie de votre patience à mon égard et vous en remercie.

Yves Perrousseaux
La Tuilière, F-04110 Reillanne
E-mail : yves.perrousseaux@wanadoo.fr
Site : http://www.perrousseaux.com


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Éditeurs : Bernard André
Georges-Louis Baron
Éric Bruillard
© INRP/GEDIAPS

Mis en ligne le 2 octobre 2003
Dernière mise à jour le 15 octobre 2003