Et toujours le bidouillage

Réflexions après la lecture d'une enquête
 

     Pour ce qui concerne les TIC, de plus en plus de jeunes se débrouillent. La souris, les différents périphériques, quelques logiciels courants, ne sont plus des obstacles - du moins pour les fonctionnalités de base - pour la plupart d'entres eux. Peut-on dire pour autant qu'ils « maîtrisent » les TIC, qu'ils en pratiquent « une utilisation critique et raisonnée » ? Certes non et les enseignants le savent bien !

     On se demande bien d'ailleurs par quel miracle ils pourraient y arriver sachant - pour ne prendre que ces deux exemples - quelles sont par ailleurs les difficultés auxquelles se heurte l'apprentissage de notions élémentaires de logique ou celui de la démarche critique quel que soit l'objet disciplinaire.

Écoutons quelques collègues


Comment des professeurs voient leurs élèves des filières scientifiques (au lycée)

- Extraits -

   « Ils manipulent correctement l'outil informatique et sont très à l'aise avec internet. Sont souvent beaucoup plus à l'aise que moi. Le mythe de l'élève en avance sur ses aînés dans ce domaine est largement surfait (d'après moi). Ils connaissent l'ordinateur et l'internet car, pour eux, cela a toujours existé. Néanmoins, ils en sont très rarement des virtuoses (en milieu technique en tout cas).

   « Téléchargement de MP3, divX, échange de mails, chat, sites pour jeux vidéo, traitement de texte et, pour certains, conception de pages Web, mais très peu utilisent ou connaissent l'intérêt d'un tableur (à ce titre, la calculatrice est également très mal utilisée).

   « Très à l'aise ; considèrent que c'est un outil indispensable à condition de n'avoir qu'à cliquer sur la souris.

   « L'ordinateur est considéré (plus ou moins consciemment) comme un objet de loisir et non pas comme un objet de travail. Interlocuteur privilégié pour beaucoup. La majorité des élèves ont accès à un ordinateur à la maison et savent bien l'utiliser, en particulier pour « surfer » sur internet.

   « En Terminale où, cette année, il est particulièrement utilisé, il est assez peu apprécié par les élèves qui le dominent mal. On retrouve les mêmes appréhensions qu'avec l'oscilloscope il y a 20 ans ! En seconde, les élèves apprécient encore assez de travailler avec l'ordinateur car les activités sont plus variées (recherches, simulations, maîtrise du traitement de texte...). On l'utilise beaucoup en seconde, ce qui permet aux habitués de se démarquer et à ceux qui n'en ont pas, d'apprendre les bases. 

   « Pour s'amuser, s'ils en ont un. Une minorité pratique l'informatique avec plaisir. Très peu disposent d'un ordinateur. Ils ne semblent pas très motivés finalement pour des recherches par ce support. Tout le monde n'en possède pas, mais ils semblent plutôt attirés par ce moyen. Je crois qu'un bon nombre de garçons notamment passent beaucoup de temps à jouer ou à surfer sur le net, pensant qu'ils travaillent. Certains sont très très forts dans ce domaine. Les élèves aiment utiliser l'ordinateur qui ne les effraie pas du tout : ils n'hésitent pas à partir à la découverte de n'importe quel logiciel. Sont demandeurs de son utilisation et savent réinvestir l'outil, par exemple dans les TPE. Les parents se plaignent des heures quotidiennes passées devant l'écran pour jouer, etc. Et en plus, cette station assise devant l'écran est souvent justifiée par les recherches personnelles (TPE !!).

   « Fascinés. La panacée. Certains sont passionnés. D'autres ne l'utilisent que pour les jeux. Un jouet et un moyen de communication avec les copains ; plus rarement un outil de travail (quelques recherches via internet). Tout est sur internet, mais... qu'en faire ? Jouer et surfer sur internet. C'est bien... Mais la « maladie commence à passer... On ne peut pas tout apprendre avec ! L'ordinateur et en particulier internet : la solution à tout.

   « Terrible leurre, que nous n'avons pas toujours le temps de démasquer. Constatation fascinante : le paradoxe entre la maîtrise de l'outil et l'immense naïveté face aux données reçues. On sait comment remédier à cela ; au lycée, nous avons les outils nécessaires (équipement informatique plus que convenable). Ce qui manque, c'est le temps, car il faut qu'ils soient confrontés à l'obstacle pour être convaincus. Très à l'aise, l'utilisent encore trop souvent comme un jeu, rarement comme un outil. Cette attitude évolue tout au long du lycée car l'ordinateur y est fréquemment utilisé pour l'expérimentation ou la réalisation de comptes rendus ou rapports. Curieux, mais beaucoup ne savent pas s'en servir. Nous faisons de plus en plus d'EXAO, ils aiment bien, en général, quand le tableur trace les graphes à leur place, mais ils n'aiment pas que celui-ci refuse leur réponse ; contrairement aux jeux vidéo, ils baissent vite les bras, l'accusant de tous les maux. Ils aiment approcher l'expérimentation à l'aide de logiciel plus qu'avec un crayon et un papier, mais refusent souvent d'être critiques par rapport à ce que ces logiciels peuvent leur fournir.

   « C'est "fun", un espace de liberté. Une connivence, un passe-temps, un support, un compagnon, une mine de renseignements, un outil. Pas magnifié, pas porté aux nues, intégré, ingéré. Ils l'utilisent très souvent et ils l'apprécient ou le détestent. »

etc.

     Peut-on dire honnêtement que tout ceci - et nous aurions bien d'autres témoignages - correspond à une « maîtrise » de l'outil ? Cela ressemble plus à un bidouillage qui malheureusement se prolonge dans trop d'activités professionnelles. Qui n'a pas plusieurs anecdotes sur l'utilisation calamiteuse de l'ordinateur dans la vie quotidienne ?

     Pourquoi le ministère de l'Éducation nationale ne reconnaîtrait-il pas que l'ordinateur est un objet conceptuel, que son utilisation « raisonnée » nécessite un apprentissage spécifique, rigoureux, cohérent et progressif. Que sous leur « convivialité » et leur « simplicité » proclamées (par les vendeurs et malheureusement par le MEN) les logiciels cachent une réelle complexité dès qu'on s'éloigne un peu des fonctionnalités de base. Que les TIC doivent être reconnues comme un objet scientifique et technique nécessitant un enseignement spécifique par des enseignants correctement formés.

     Ce serait certainement moins coûteux pour la Nation que les conséquences d'un bidouillage généralisé et plus porteur d'avenir pour un pays qui veut s'imposer dans les hautes technologies.

JB
15-01-2005

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Association EPI
Janvier 2005

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