Lecture EPI
du rapport du groupe de travail
pour le développement des TIC dans l'Éducation nationale
 

   Ce rapport collectif  [1], résultant d'une commande du Ministre datée du 22 mars 2006, dresse un bilan plutôt lucide et se révèle être, pour un lecteur attentif, une charge sévère contre les politiques successives en matière de développement des TIC dans le système éducatif.

   On devine que la tâche des rédacteurs n'a pas été facile. Dire les échecs de ces politiques sans paraître trop négatif ! C'est raté.

   Dès la première phrase les rapporteurs donnent le ton en annonçant un « diagnostic partagé quant à l'état réel des TIC dans le système éducatif ».

   Et si le rapport débute par quelques déclarations convenues quelque peu excessives : « le développement des TIC atteint aujourd'hui un niveau satisfaisant », « la mutation est en bonne voie », « la banalisation des TIC à l'École », « 99 % des élèves de 11 à 18 ans déclarent utiliser un ordinateur dans le cadre de la classe » (à condition de ne pas se montrer trop exigeant sur l'analyse et les méthodes des sondages !)... il pointe surtout sur les insuffisances et les échecs, d'ailleurs signalés (par l'EPI et d'autres) depuis longtemps.

   Nous avons ainsi relevé que :

  • Le système éducatif français est en retrait. Dans les financements publics des contenus ainsi que dans les équipements et les usages, la France est largement distancée par ses voisins de l'Europe du Nord.

  • L'École reste en retrait par rapport à l'explosion de l'image et du son numériques.

  • Le développement des TIC reste inégal selon les niveaux, les disciplines, les territoires. De nombreux freins existent encore.

  • L'implication des disciplines dans l'utilisation des TICE est très inégale. Les usages dans le cadre des domaines d'enseignement restent trop timides... Il est évident que les disciplines qui disposent de salles spécialisées et d'effectifs réduits ont des conditions plus favorables.

  • D'une façon générale, dans les réflexions et les décisions concernant les TICE, le traitement des données numériques ne paraît pas suffisamment affirmé comme objectif important d'enseignement et d'éducation.... le fonctionnement de base (de l'ordinateur), qui repose sur des processeurs réalisant des calculs, est oublié (nul doute que les rapporteurs suggèrent là la nécessité d'un enseignement spécifique, après avoir dénoncé par ailleurs l'insuffisance de l'implication des disciplines existantes...).

  • Compte tenu du rôle premier des corps d'inspection, qui est l'évaluation individuelle des enseignants, la prise en compte d'objectifs transversaux comme ceux qui concernent les TICE, est « malaisée ». Les corps d'inspection ont un rôle déterminant inégalement assumé. (Ecrit une vingtaine d'années plus tôt et même moins, un tel rapport aurait pu stigmatiser l'hostilité active de la plupart des corps d'inspection à l'égard de l'informatique et des enseignants engagés dans les expérimentations pionnières !)

  • Le pilotage national de la politique des TICE s'appuie plus sur l'évaluation des conditions matérielles que sur celle de la qualité des usages. (effectivement, et même quand on parle d'usages il est très rarement précisé que quels usages il s'agit).

  • La difficulté d'accès aux matériels, la mécanique complexe de réservation des salles et l'absence trop souvent d'une « assistance professionnalisée et réactive » restent des facteurs limitants.

  • Le poids de l'inconfort technique et de l'inconfort pédagogique dû à une insuffisante formation (y compris pour les jeunes enseignants quoi qu'en dise le rapport) est un frein supplémentaire.

  • L'adhésion encore très limitée des enseignants pas forcément convaincus de la plue-value apportée par les TICE (le manque de formation, toujours). Les TICE continuent de susciter un questionnement quant à leur efficacité (plus de 35 ans après l'introduction d'ordinateurs en lycée d'enseignement général ! Jusqu'à quand se posera-t-on des questions ?)

  • La mise en commun de la richesse potentielle (des productions logicielles des enseignants) est encore peu organisée. L'indexation des ressources pédagogiques reste une initiative pionnière.

  • La question d'une plus grande souplesse dans l'organisation des enseignements est posée (certes, et depuis bien longtemps. Gageons que le problème n'est pas près d'être résolu !)

  • Les usages des TIC scolaires et extrascolaires correspondent pour les jeunes à des univers distincts qu'il est urgent de rapprocher... cette continuité est mal assurée, faute d'une prise de conscience claire des enjeux...

   La charge est sévère mais plutôt juste. Rien qui n'ait déjà été dénoncé dans des rapports et des écrits divers (à commencer par ceux de l'EPI) mais le répéter pédagogiquement à l'intention du Ministre n'est peut être pas inutile. Même si on en doute.

   À partir de leur diagnostic, les rapporteurs avancent 15 propositions : 3 concernent les disciplines, 5 la formation des enseignants, 2 les collectivités territoriales, 1 le soutien aux ressources et services numériques et 1 le haut débit partout et pour tous. Ce serait trop long de les détailler ici, il suffit de se reporter au texte du rapport.

   Disons que beaucoup ont un goût de déjà vu, y compris dans des textes officiels. Par exemple, la mesure n° 1 (introduction dans les programmes et les examens de pratiques pédagogiques fondées sur l'usage des TIC) était une exigence importante du Conseil National des Programmes dès le début des années 90. On connaît la suite. Comme quoi il ne suffit pas de proposer... Autres exemples, la formation de formateurs pour les IUFM a déjà été préconisée mais pas forcément réalisée, la généralisation des volets TICE dans les projets d'établissement, la coordination des acteurs publics et privés en matière de logiciels...

   La majorité de ces propositions ressemble à des évidences : nécessité de valider les compétences TIC, former le personnel d'encadrement, prendre en compte les pratiques TIC des enseignants, reconnaître institutionnellement les enseignants acceptant de partager leurs productions pédagogiques, prendre en compte des usages des TIC dans les concours de recrutement, utiliser les ressources de la formation à distance pour assurer la formation continue, assurer la synergie entre l'État et les collectivités territoriales... On s'étonne qu'il faille les répéter en 2006, 35 ans après l'introduction des premiers ordinateurs dans des lycées d'enseignement général. Et accessoirement, 35 ans après la fondation de l'EPI, dont il est intéressant, à ce propos, de relire les déclarations * et propositions des assemblées générales successives...

   Mais l'essentiel pour nous n'est pas là.

   Il est dans la quasi impossibilité de piloter un développement harmonieux des TIC dans un système éducatif fondamentalement basé sur les disciplines et non sur les démarches transversales. Peut-être un jour se rendra-t-on à l'évidence (après avoir perdu bien des années) qu'une discipline « informatique et TIC » serait la solution raisonnable. Ce qui n'exclut évidemment pas l'approche par les différentes disciplines mais au contraire la soutient et la renforce. Les plus anciens se souviennent que jamais la pratique informatique dans les disciplines (on parlait alors d'EAO) ne s'est mieux développée que dans les lycées qui disposaient de l'option informatique.

   Pour l'instant, nous sommes obligés de constater que le système éducatif français qui fonctionne tant bien que mal sur le principe des disciplines spécifiques, avec leurs enseignants spécifiques, leurs associations, leurs inspections... peine depuis des années à intégrer les démarches transversales. Le fera-t-il un jour ? Toujours est-il que le choix qui a été fait, depuis maintenant plusieurs décennies, d'introduire l'informatique et les TIC par le biais des différentes disciplines, sans vouloir en créer une nouvelle, est un échec qu'il est bien difficile de masquer par des mots. En témoigne une fois de plus ce énième rapport qui donne l'impression assez juste que rien ne fonctionne vraiment.

   On peut se demander si le choix qui a été fait, et qui perdure, n'est pas trop coûteux pour des résultats trop maigres. En final, nous avons des jeunes dont les activités informatiques dominantes (en temps consacré) sont quasi exclusivement ludiques. L'École n'est pas capable de leur montrer toutes les richesses potentielles de l'ordinateur et de leur donner la possibilité et l'envie de les exploiter. L'École en ne voulant pas assumer résolument la transmission (par des enseignants correctement formés et dans le cadre d'un enseignement structuré) des connaissances et des pratiques raisonnées, ne répond pas à sa mission.

   En final, le citoyen est mal formé et insuffisamment armé pour faire face à la déferlante numérique. Les responsables successifs du ministère de l'Éducation nationale en portent l'entière responsabilité.

EPI,
Paris, 2 septembre 2006

* Quelques avis divergents

- École : La Toile ne fait pas recette
http://www.acteurspublics.com/lme/actu/24/dossier2.php,
http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l0601v.htm.

- Les Régions engagées dans les TIC pour l'éducation bien au-delà de leurs obligations
http://www.arf.asso.fr/index.php/bibliotheque/tic/ octobre_2005_les_regions_engagees_et_vigilantes_pour_l_avenir_des_tic _dans_l_education_position_de_l_arf,
http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l0601u.htm.

- Société de l'information : la France doit se réveiller !
René Trégouët, Sénateur honoraire, Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat.
http://www.tregouet.org/article.php3?id_article=438,
http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l0605f.htm.

Quelques textes EPI

- Déclarations des Assemblées générales de l'EPI (voir notamment celle de 1990)
http://www.epi.asso.fr/association/txt_epi.htm.

- L'EPI, l'enseignement de l'informatique et des TIC, et le logiciel libre
Communication du Bureau national de l'EPI pour le Congrès ASTI 2005
Jean Bernard Viaud, Président de l'EPI
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d0511a.htm.

- Pour une culture générale intégrant l'Informatique et les Technologies de l'Information et de la Communication
Jacques Baudé, Président d'honneur de l'association
http://www.epi.asso.fr/revue/editic/jb-asti.htm.

- Une culture technique sans les TIC ?
Jean-Pierre Archambault
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0311a.htm.

NOTE

[1] Rapport du groupe de travail pour le développement des TIC dans l'Éducation nationale (34 pages)
http://www.educnet.education.fr/chrgt/rapport-tice-2006.pdf.

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Association EPI
Septembre 2006

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